
Re-Anime: Spring and Chaos (de Shôji Kawamori)
Au sommaire de ce nouveau Re-Anime, de la poésie, des chats et une quête du bonheur… Sorti en 1996, Spring and Chaos transpose la vie du poète japonais Kenji Miyazawa et accouche d’un étrange trip aussi contemplatif que psychédélique. Une vie en poème et en animation pour un résultat intriguant à défaut d’être totalement réussi.
Kenji Miyazawa… Ce nom ne vous dit certainement rien mais il est l’un des plus grands poètes nippons. Né en 1896 et mort en 1933, il s’est aussi bien illustré dans la poésie que dans le conte fantastique. De confession bouddhiste, ses préoccupations principales furent la condition de la paysannerie et le rapport de l’homme à la terre. Il a laissé derrière lui une œuvre complète comptant seize tomes dont fait notamment partie Goshu, le violoncelliste, adapté par Isao Takahata en 1981. Du haut de ses 50 minutes, Spring and Chaos tente d’appréhender les réflexions personnelles de l’écrivain, tout en condensant sa courte vie. Plutôt que de verser dans le biopic classique, Shôji Kawamori (que le Daily Mars avait eu l’honneur d’interviewer à la Japan Expo en 2013) opte pour une approche plus abstraite, basé sur une collection de poèmes intitulés Haru to Shura (le fameux Spring and Chaos du titre).
On va donc suivre Miyazawa (ou plutôt son avatar félin) dans différentes périodes de sa vie, à travers de nombreux va-et-vient dans le temps. Par petites touches, Kawamori cherche à montrer différentes facettes de la vie du célèbre poète. Elle fut remplie d’événements douloureux avec, entre autres, une sœur très malade. Son décès l’affecta forcément beaucoup et pesa sur son œuvre pleine de mélancolie. Devenu professeur dans une école agricole, Miyazawa agit de manière excentrique mais réellement passionné. Ses élèves voit en lui une figure aussi bien paternel que spirituelle. Agissant souvent de manière énigmatique, il fascine autant qu’il interroge.
Le film nous permet d’effleurer le parcours et l’œuvre d’un auteur qui nous est quasiment inconnu en Occident et on ne peut regretter qu’une chose de ce point de vue, c’est de ne pas détenir suffisamment de clés afin d’apprécier l’anime dans son intégralité. En effet, on peut perdre pied à certains moments du récit en raison d’un manque de connaissances sur l’auteur. Néanmoins, le voyage n’est pas inintéressant si tant est qu’on veuille bien se laisser embarquer. Sur la forme, Spring and Chaos ne se pose pas de limite et se permet des grands écarts graphiques surprenants pour ne pas dire parfois douteux. L’intégration et le rendu d’éléments 3D, comme très souvent, ne fonctionne pas. C’est franchement moche et même si ce n’est que par touche, c’est clairement dispensable. A ce titre, la première scène n’est pas franchement engageante mais c’est quand on va plus loin que le film montre ses meilleurs atouts. Afin d’illustrer les songes et hallucinations de Miyazawa, Kawamori s’adonne à toutes les formes graphiques dans une succession d’images barrées. Le film prend alors une toute autre dimension, plus étrange, plus tordue voir plus torturée. En dehors de ces quelques séquences hallucinogènes, le dessin et le chara-design se veulent minimalistes et enfantins et ne brillent malheureusement pas toujours par leurs qualités. Un petit mot sur la musique de Shang Shang Typhoon qui apporte un réel supplément d’âme à travers des chants japonais collant parfaitement à l’ambiance.
Très intéressant mais difficile d’accès dans le fond et assez inégal dans sa forme, Spring and Chaos parvient quand même à nous faire découvrir une figure emblématique de la littérature et de la poésie japonaise. Force est de constater que le film aurait pu être bien plus abouti qu’il ne l’est, cependant il contribue à faire vivre et à alimenter une certaine vision du monde et à interroger sur la place de l’Homme dans l’univers en perpétuant l’œuvre d’un humaniste et vu notre époque, on en a bien besoin.
Spring and Chaos de Shôji Kawamori (1996) – Groupe TAC