« Rebecca » : retour en film noir

« Rebecca » : retour en film noir

Note de l'auteur

REBECCA_jaqu.qxp_DAPHNE REBECCAL’histoire : Jeune narratrice anonyme, fille désargentée, rencontre un jour Maximilien de Winter, son aîné, veuf, dans un hôtel de Monte-Carlo. Ce dernier est le propriètaire du très beau domaine de Manderley, et a perdu sa femme, Rebecca, dans un accident de bateau. Elle en tombe follement amoureuse, se marie et arrive dans sa nouvelle demeure anglaise, tenue par la sinistre Mme Danvers. Quel passé hante donc les murs de cette maison ?

Mon avis : Il n’est jamais trop tard pour lire un classique du roman gothique, d’autant plus quand il s’agit d’une nouvelle traduction. Et l’on peut dire que l’histoire de Daphné du Maurier n’a pas pris une ride. Tout d’abord, et par exemple, tellement prise par le livre, je ne me suis pas rendue compte un instant que l’héroïne…. n’avait pas de prénom.

Rebecca est l’histoire d’un premier amour, d’une fille qui devient une femme, dans l’Angleterre des conventions sociales, une fille qui n’es tpas riche et se retrouve à la tête d’un domaine. C’est l’histoire de l’amour d’un lieu, de Manderley, mais d’un lieu hanté. Rebecca hante les pages et la vie de la nouvelle Madame de Winter, une présence glacée dans des couloirs qui semblent d’un coup trop grands. Comment vivre pleinement quand on se croit mise en concurrence avec une défunte ?

Alors, certes, le message du livre est ambivalent. Qui était réellement Rebecca ? Sans doute aurait-elle été écrite différemment aujourd’hui. Il ne faut pas oublier le contexte non plus, le livre ayant été écrit en 1938, et parfois, on aurait bien envie de secouer notre narratrice. C’est un brin vieillot et parfois retrograde. Et pourtant… Il y a quelque chose d’émminement poétique dans ce premier amour, une innocence que Daphné du Maurier décrit, brode comme une dentelle… avant qu’elle ne soit brisée. La volonté de bien faire et d’aimer quand on a jamais ressenti celà. Un côté Jane Eyre aussi, Daphné du Maurier ayant été une grande lectrice de Charlotte Brontë. Mais l’innocence de la narratrice est aussi mise en balance avec une pulsion sexuelle sourde qui traverse tout le roman.

Joan Fontaine et Judith Anderson dans "Rebecca", d'Alfred Hitchcock

Joan Fontaine et Judith Anderson dans « Rebecca », d’Alfred Hitchcock

Manderley, c’est l’île au trésor où tout enfant à un jour rêvé d’aller. C’est l’endroit où l’on espère pouvoir se reposer. Avant de se rendre compte que ce que nous prenions de loin pour un vaste terrain d’herbe moelleux est couvert de ronces.

Autour du livre : Alfred Hitchcock a adapté cette histoire dans un film éponyme en 1940. Rebecca est aussi un classique de la littérature anglaise, classé en 1990 par la Crime Writer Association, une association d’auteurs anglais, n°6 sur les 100 meilleurs romans policiers de tous les temps .Cette nouvelle traduction, réalisée par Anouk Neuhoff, de cet ouvrage est sortie en même temps que le dernier livre de Tatiana de Rosnay, Manderley for ever, qui retrace la vie de l’auteure.

Si vous aimez : Tendre est la nuit de Scott Fitzgerald, les premiers émois, le passage à l’âge adulte.

Extrait :  » Je me levai lentement, gagnée à nouveau par la nervosité, et sortis dans le hall. J’aurai préféré l’attendre, puis prendre son bras pour monter visiter les chambres avec lui. Je n’avais pas envie d’y aller seule, en compagnie de Mme Danvers. Comme le grand hall semblait immense maintenant qu’il était vide ! Résonnant sur les dalles, mes pas se répercutaient jusqu’au plafond, et j’avais honte de faire autant de bruit, comme parfois dans une église ; je me sentais intimidée, et tout aussi contrainte. Mes pieds produisaient un cli-clac grotesque, et je me disais que Frith, avec ses semelles de feutre, devait me trouver ridicule.
« C’est très grand, n’est-ce pas ? » fis-je d’un ton trop guilleret, un ton forcé d’écolière attardé, mais il me répondit en toute solennité. « Oui, Madame, Manderley est une grosse maison. Pas aussi grosse que certaines, bien sûr, mais assez grosse. Ce hall était autrefois la salle des banquets. On l’utilise encore dans les grandes occasions, comme les dîners d’apparat, ou les bals. Et puis, Manderley est ouvert au public une fois par semaine…
– Oui », acquiesçai-je, toujours consciente du bruit de mes pas derrière lui, et du fait qu’il me considérait comme un de ces touristes qui venaient visiter la demeure. »

Sortie : février 2015, éditions Albin Michel, 535 pages, 25 euros.

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