Reckless – L’envoyé du diable
Dernier opus du tandem aux doigts d’or, Brubaker – Phillips, Reckless est à ranger dans la classe des thrillers chocs. Dans une société hollywoodienne désenchantée, on passe vite à la face B, celle derrière le miroir aux alouettes. Avec une noirceur folle, ce récit trempe dans une ambiance crasse avec tous les éléments nécessaires à ce genre (luxure, violence, corruption et paradis artificiels). On y trouve même du crypto-nazi dedans.
L’histoire : c’est le retour d’Ethan Reckless qui se trouve en bien mauvaise posture au départ de cette aventure qui le verra fouiller et descendre dans les tréfonds de l’Hollywood du mitan des années 80. Toujours aussi fureteur, le privé va, par amour et désir, se lancer dans une enquête qui pourrait lui coûter cher car il ne fait pas toujours bon déterrer des cadavres bien cachés dans le placard. Surtout quand ledit placard se trouve dans les quartiers de rupins. Pas grand-chose à gagner mais peut-être beaucoup à perdre…

Mon avis : c’est un énorme oui. Le duo de choc recomposé entre deux papes des comics, Ed Brubaker et Sean Philipps, nous offre une nouvelle pépite assez addictive et foutrement bien léché. Faut avouer que les deux compères ont mis beaucoup d’ingrédients pour livrer ce deuxième opus de Reckless. Sea (un peu), sex (pas mal) and drugs (beaucoup) sont trois ingrédients de base de la potion à succès. Ensuite, l’intrigue est méchamment bien ficelée. C’est le gros point fort de ce récit. Une plongée dans le L.A. noir des eighties avec une histoire à tiroirs où certains couinent un peu et peinent à s’ouvrir pour livrer leurs secrets. Il y a une forme de descente assez vertigineuse pour un héros qui sait bien, qu’au fond, s’il parvient au bout de sa quête, cela aura forcément des conséquences nocives pour lui. Mais en bon ex-agent infiltré et en homme de devoir, on sent bien le côté fils de « Marines » du scénariste, il ira au terme de la mission.
Le scénario est bien construit, haletant et ne mène pas forcément là où on l’attend. Mais et comme au ballon, avec la formule consacrée, il faut être deux pour un faire un bon match, le récit ne serait pas forcément si bon avec un dessin pas à la hauteur. Là, on est servi avec le trait de celui qui compile les prix Eisner. Le dessinateur britannique livre des planches à couper le souffle dans son style caractéristique avec des personnages qu’on croirait sortis des James Bond des meilleures années. Le cousinage est évident et sert à merveille la narration.
On est saisi par ce récit auquel je n’ai pas trouvé de défauts majeurs. Juste envie de se laisser emporter dans ce voyage abyssal dans la noirceur de l’homme puis d’attendre, avec hâte, la prochaine aventure.

Si vous aimez : la magnifique affiche du From Russia with love de Terence Young.
En accompagnement : Fondu au noir, du même duo. Thriller hollywoodien qui mérite également un arrêt buffet.
Autour de la BD : les deux artistes aiment à créer ensemble. Cela fait plus de 20 ans qu’ils collaborent avec plus ou moins de temps entre chaque album. On leur doit l’excellent Pulp, Un été cruel, Seul contre tous et tant d’autres… Leur complicité saute aux yeux et leurs productions roulent comme du papier à musique.

Extraits : « Maggie est partie pour Hollywood à l’été 1976. Au début, elle m’appelait toutes les semaines pour me raconter sa nouvelle vie. Comment elle s’est constitué un book photo, allait à des castings. Les gens connus qu’elle croisait. Elle parlait de m’inviter chez elle , un jour où sa colocataire serait en voyage. Et puis, elle a cessé d’appeler. Je me suis dit qu’elle était occupée. Le travail ou autre chose. Mais le numéro de son appartement a été déconnecté. Et on n’a plus eu de nouvelles pendant trois mois. »
« Seigneur’
« Ouais. Et au bout de ce temps, la police n’avait quasiment rien pour avancer. »
« Qu’as-tu fait alors ? »
« Pas grand-chose. D’après le proprio, Maggie et sa coloc’ l’avaient grugé sur le loyer. Mais il ne se souvenait même pas de la dernière fois où il les avait vues. L’inspecteur a dit à mon beau-père que ça arrivait souvent… Des gamines vont à L.A. Puis tombent dans la drogue ou des trucs.Il a dit qu’elle reviendrait , ou appellerait peut-être lorsqu’elle aurait besoin d’argent. Ils l’ont fichée aux personnes disparues et ça a été un peu près tout. Nul ne l’a jamais revue. »
Écrit par Ed Brubaker
Dessiné par Sean Phillipes
Édité par Delcourt