
Record Men (Pilote automatique de Vinyl, HBO/OCS)
HBO lance sa première série dramatique de 2016. C’est un projet ambitieux, comme la chaîne les affectionne, à l’image d’un pilote tutoyant les deux heures et signé Martin Scorsese. Cette entrée en matière de Vinyl est d’ailleurs une étrange compilation des marottes du cinéaste, parfois mue par un souffle exaltant, mais loin d’être suffisant pour convaincre que nous tenons là une grande série.
L’histoire. En 1973, à New York, Richie Finestra peine à maintenir sa maison de disques – American Century records – à flot. Il croit entrevoir la solution en vendant à Polygram, mais les décisionnaires allemands de ce label sont très pointilleux et surveillent avec attention l’éventuelle signature de Led Zeppelin que prépare Finestra. Pour séduire ses acheteurs, Richie harangue ses troupes tout en arpentant la ville à la recherche d’une nouvelle émotion musicale.
Autour de la série. Il y a une vingtaine d’années, Mick Jagger (ce chanteur d’un modeste groupe répondant au nom métaphysique s’il en est de “pierres qui roulent”) eu l’idée d’un film qui retracerait l’histoire de l’industrie musicale déployée sur une quarantaine d’années. À contre-pied de ce qu’on pouvait attendre d’un chanteur charismatique, il envisage un récit centré sur ces hommes de l’ombre qui font et défont les artistes.
Jagger se tourne donc vers son ami, Martin Scorsese (ce cinéaste qui aime le chauffeur de taxi et les mafieux de toutes sortes), et lui confie vouloir un Casino avec des patrons de labels musicaux. Le duo missionne William Monahan (Infiltrés) afin de monter un scénario pour un film alors intitulé “The Long Play”. Le projet passe de studio en studio car son ampleur effraie jusqu’à ce qu’il parvienne chez HBO en 2010.
Jagger et Scorsese connaissent bien le milieu musical, mais ils s’entourent du journaliste Rich Cohen (Rolling Stone magazine) et n’hésitent pas à s’inspirer d’essais* décrivant l’histoire de cette industrie afin de construire un tableau pleinement exhaustif.
Scorsese fait alors confiance à celui avec lequel il a déjà travaillé sur Boardwalk Empire et le Loup de Wall Street : Terence Winter (ce scénariste aussi passé par Les Sopranos), lequel s’associe avec George Mastras (Breaking Bad) pour écrire un pilote qui sera filmé durant l’été 2014. HBO signe dans la foulée pour dix épisodes, tournés l’année dernière.
L’avis. Vinyl est immédiatement une expérience assez grisante pour l’amateur de musique. La série offre un mélange réussi entre personnages réels et fictionnels. Le téléspectateur se trouve plongé au milieu d’un dédale de personnalités plus ou moins connues, d’un Robert Plant avec sa parure capillaire aisément reconnaissable, aux remuants mais déjà relativement plus confidentiels New York Dolls. La liste** des artistes reproduits dans ce pilote et les épisodes suivants est impressionnante, et il faut reconnaître ici une prise de risque indéniable dans la mesure où un soin tout particulier a été apporté aux prestations dans leur environnements spécifiques telle cette block party de Kool Herc et ses deux platines au 1520 Sedgwick Avenue.
Étonnamment, les Rolling Stones sont les grands absents de cette reconstitution. Le fils de Mick Jagger (James) est bien présent au casting pour interpréter le chanteur d’un combo punk fictionnel (les Nasty Bits) mais aucune allusion aux Stones ne survient. Ce qui, sur le long terme, ne devrait pas manquer de soulever quelques interrogations sur un éventuel manque d’objectivité, notamment lorsqu’on découvre un Robert Plant surtout obnubilé par son pourcentage.
Toutefois, les personnages de fiction dans Vinyl ne sont pas en reste. À commencer par son protagoniste principal, Richie Finestra, flamboyant de bout en bout de ce pilote grâce à Bobby Cannavale qui l’incarne. D’origine italo-cubaine, l’acteur est bien plus magnétique ici qu’il ne l’était avec un second rôle dans Boardwalk Empire (pour lequel il a pourtant obtenu un Emmy).
À ses côtés, on retrouve une habituée du cinéma indépendant, l’actrice anglaise Juno Temple, déjà très convaincante dans le rôle d’une jeune assistante qui cherche à se faire une place au service A&R (Artists and Repertoire, le service en charge de la découverte de nouveaux artistes).
Et puis les seconds rôles de talents sont légions. Citons le toujours très bon Ray Romano (Tout le monde aime Raymond, Parenthood) dans le rôle du bras droit de Finestra, et surtout, une prestation remarquable de la part du comique Andrew Dice Clay en patron de radio complètement allumé.
Tout ce beau monde est balloté dans un New York délicieusement décadent. Martin Scorsese trouve avec Vinyl une ambiance plus nuancée que le pilote très ostentatoire qu’il avait mis en scène pour le compte de Boardwalk Empire. Les dorures des locaux d’American Century (situés dans le fameux Brill Building où se concentrait l’industrie musicale) cohabitent avec la vie nocturne d’une époque durant laquelle certains quartiers de New York constituaient d’authentiques coupe-gorge.
La filiation consanguine avec les premiers films du metteur en scène est évidente. Scorsese a d’ailleurs utilisé une séquence jusqu’ici non utilisée de ces prises de vue effectuées lors du tournage de Taxi Driver (en 1976) pour accompagner un passage durant lequel Finestra se déplace en voiture.
Hormis ce remixage de son propre travail, Scorsese est passionné par la musique et ça se voit. Pour avoir réalisé de nombreux documentaires autour des artistes, notamment lors de concert (comme Shine a Light avec les Stones justement), on se rend rapidement compte qu’il a longuement réfléchi sur la manière de filmer une performance de scène. Parallèlement, il trouve une énergie formidable lors de séquences imaginées par Richie comme ce Bo Diddley qui apparaît au-dessus d’une piscine et surtout, un Otis Redding percutant sous le contre-jour des éclairages.
Du reste, la série fonctionne mieux lorsqu’elle s’empare de son sujet musical. Paradoxalement, les passages où il est question du milieu professionnel de Finestra déçoivent. La proximité temporelle avec Mad Men est alors au désavantage de Vinyl. Il faut croire que Terence Winter tient en haute estime son confrère Matthew Weiner – avec qui il partageait la writers room des Sopranos – et qu’il lui rend ici un hommage appuyé (plus ou moins involontaire, c’est selon).
Tout comme Don Draper, Richie est issu d’un milieu modeste avant de gravir les échelons grâce à un véritable don dans son métier. De la même manière, il possède une vie familiale compliquée avec une femme – pourtant magnifique – et des enfants qui l’attendent dans un pavillon loin de New York. Mais ce n’est pas tout, histoire d’enfoncer le clou, Winter nous propose un personnage féminin qui a tout du Doppelgänger de la Peggy de Mad Men. Une assistante déconsidérée par ses collègues masculins, bien qu’elle possède le même don que son patron…
Épisode 2 ? Au-delà de la curiosité de voir comment la série trouve son rythme sans Scorsese aux manettes, il sera intéressant de voir comment Vinyl dépeint l’éclosion du punk, du hip hop et du disco. On attendra surtout une vraie perspective sur un métier qui a bien évolué depuis. Ce sera sans doute là l’occasion de vraiment se distinguer de The Get Down créée par Baz Luhrmann (attendue cet été sur Netflix), elle aussi consacrée à ce carrefour musical.
VINYL (HBO) SAISON 1 en 10 épisodes
Diffusée sur OCS City à partir du 15 février (20h55) en US+24
Créée par : Mick Jagger, Martin Scorsese, Rich Cohen et Terence Winter.
Pilote écrit par : Terence Winter et George Mastras.
Pilote réalisé par : Martin Scorsese.
Photographie : Rodrigo Prieto.
Avec : Bobby Cannavale, Olivia Wilde, James Jagger, Juno Temple, Ray Romano, Ato Essandoh, Birgitte Hjort Sørensen, Max Casella, P. J. Byrne, J. C. MacKenzie, Jack Quaid et Andrew Dice Clay.
Supervision musicale par : Randall Poster et Meghan Currier.
*: Howling at the moon de Walter Yetnikoff et Hit Men de Fredric Dannen.
**: Robert Plant, Lou Reed (The Velvet Underground), Little Richard, feu David Bowie (interprété par Noah Bean), Karen Carpenter, Otis Redding, Alice Cooper, Elvis Presley, Harry Nilsson, John Lennon et May Pang, Stephen Stills, David Crosby, Hilly Kristal ainsi que Peter Tosh.
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