Red Box : ouvrez la boîte de Pandore

Red Box : ouvrez la boîte de Pandore

Note de l'auteur

Œuvre cultissime au Japon, vénéneuse en diable et troublante de bout en bout, Red Box de Toshio Saeki se voit rééditée par Cornélius. Parallèlement, une exposition est organisée par la galerie parisienne Arts Factory.

Le livre : Publié en 1972, Red Box (Akai Hako) est le livre le plus célèbre de Toshio Saeki. Son éditeur, Haga Shoten, réputé pour publier des auteurs influents comme Nagisa Oshima, lui donne alors carte blanche. Seul le titre lui est imposé comme point de départ. À l’époque, l’épouse de Saeki est poursuivie et menacée par un détraqué. Cela n’a pu qu’influencer l’ambiance générale de cette œuvre troublante, suite de scènes qui parfois se répondent, parfois se reproduisent partiellement, mais toujours questionnent le lecteur et le renvoient à ses propres voyeurisme et limites.

Mon avis : La quasi-ligne claire de Red Box en fait une œuvre à part, tant pour le lecteur japonais que pour son correspondant occidental. En 1972, bouclant son ouvrage en à peine deux mois, Toshio Saeki développe une grammaire tout à fait originale, jouant sur l’angoisse et le grotesque pour éclater le cadre de ses scènes. Les couleurs en aplat – avec cette impression étrange de colorisation par ordinateur – n’offrent pas de nuance dans les volumes, et ajoutent ainsi à l’angoisse qui s’en dégage. Les décors sont réduits à leur plus simple expression. Il suffit parfois d’un ciel noir, d’un sol bleu, et d’un disque orange pour signifier le soleil couchant.

L’éditeur bordelais Cornélius a, comme toujours, soigné sa présentation. Derrière sa couverture toilée avec marquage à chaud, cette édi­tion a été intégralement réalisée à partir des originaux. Les illustrations se concentrent sur les seules pages de droite (sauf pour la double centrale), la page de gauche n’arborant qu’une couleur unique.

Dans son petit théâtre sexuel et grotesque, Toshio Saeki explore les extrêmes, et d’abord dans les rêves. Il n’est pas nécessaire ici d’interpréter : les illustrations se suffisent à elles-mêmes. Elles sont complètes dans leur monstration ; elles n’exigent pas que le spectateur remplisse les blancs. Dès le premier dessin du recueil (ci-dessus), le lecteur est confronté à une scène de chambre où, sur la paroi derrière le lit, une femme nue tient une lame dans une main et dans l’autre une tête tranchée dégoulinant de sang, une tête aux yeux fermés dont le sang coule sur son sexe et le haut d’une cuisse. Derrière la femme, un corps sans tête avance bras tendus. La femme regarde l’enfant couché dans le lit à l’avant-plan. Le garçon a les yeux ouverts et paraît sourire ; la tête coupée est a priori la sienne.

L’auteur interroge aussi les extrêmes dans le mélange des âges. Telle cette vieille femme assise sur le dos d’un jeune homme accroupi. Elle lui lèche le haut du crâne, pendant qu’un serpent à tête de femme, enroulé autour du tronc d’un arbre proche, pleure en observant la scène. Ou cette autre scène où l’on voit une jeune fille s’enfuir de la couche révélée où deux vieillards font l’amour. Ils la regardent d’un air étonné. Elle a une main sur son entrejambe. A-t-elle été violée ? Était-elle simplement excitée par la scène, avant de voir sa présence subitement perçue et de devoir s’enfuir ?

Parfois les éléments se répètent, comme ces deux dessins successifs (ci-dessus) où Saeki reproduit le même homme, un genou à terre, une faucille lui découpant le haut du front. Dans le premier dessin, une jeune fille joue au ballon à côté de lui ; dans le second, une silhouette de fantôme à tête démesurée arbore la même faucille, mais en miroir.

D’autres scènes évoquent le kinbaku, l’art japonais du bondage sexuel. Qu’il s’agisse d’un homme (d’un démon ?) liant de mèches de cheveux noirs une femme nue, ou plus simplement de tenir quelqu’un en laisse (un écolier, une jeune fille dénudée de force).

Les difformités sont au rendez-vous, bien entendu. Des créatures sans yeux, petites, aux proportions étranges, sortent la langue (pour se moquer du lecteur ? pour exprimer leur perversion ?), se prêtent à des jeux sexuels, s’invitent en surimpression d’une scène de coït.

Au-delà des difformités des monstres, Saeki explore les variations corporelles humaines, telles que la cécité (une femme aveugle partiellement dénudée et dont un homme, dans une rue nocturne et sous la lumière violette d’un lampadaire, embrasse le sein). Parfois, il s’agit d’une simple juxtaposition, comme cette fille nue et prostrée, les yeux fermés, surmontée d’une canne et jouxtée d’un homme aux lunettes noires, tirant la langue.

Les animaux ne sont jamais loin, eux non plus, rappelant que Toshio Saeki est l’un des maîtres de l’ero guro, mouvement artistique mêlant érotisme et grotesque voire macabre. Telle cette fille nue laissant un énorme escargot lui monter sur la cuisse. Cela rappelle le célébrissime Rêve de la femme du pêcheur d’Hokusai, où une femme complètement nue (rare dans l’estampe japonaise) a des rapports sexuels avec deux pieuvres.

Les démons japonais ne sont pas oubliés, notamment dans cette scène où un diable mâle ouvre au sabre le ventre d’une fille assise sur lui. Le sang gicle comme une vague noire hokusienne vers le visage aux yeux clos d’un garçon tenu par un démon femelle, qui lui pose la main sur la fesse (voire le pénètre par l’arrière). Parfois, démons et animaux fusionnent, notamment en cette étrange créature mi-tortue mi-humaine, à la tonsure monastique, sur le point de mordre de son bec le bras d’une femme sans doute consentante.

Certaines images, très fortes, semblent annoncer des auteurs comme Clive Barker (et son Cenobite), telle cette tête sans yeux, au crâne hypertrophié, plantée d’aiguilles dont le sang s’écoule en courtes rivières (ci-dessus). Des aiguilles plantées par l’épouse de l’homme, tandis que leur garçon paraît hurler dans son oreiller.

En accompagnement : On peut revisionner Urotsukidoji, un classique des animes hentai. Et un petit tour à l’exposition Saeki, qui se tient jusqu’au 20 avril à la galerie parisienne Arts Factory, s’impose.

Si vous aimez : Les mangas vénéneux de Suehiro Maruo, dont les œuvres merveilleusement atroces sont publiées en France au Lézard noir.

Red Box
Dessiné par
Toshio Saeki
Édité par Cornélius (sortie prévue le 28 mars 2019)

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