
Réhabilitons le Formula Show !
Au départ, il y a un tweet de Renan Cros : « La série Tv actuelle crève de son bon goût auteuriste en oubliant ce qui fait d’elle un format singulier : répétition et variation ». Et l’épisode spécial en cinq parties (4×19 – 4×23 : Hindsight) de Major Crimes qui reposait la question du feuilletonnant contre le formula show. De quoi motiver la rédaction d’une humble tentative de réhabiliter un style de séries que l’on préfère trop souvent taire, voire mésestimer.
Répétition et variation, c’est (c’était) un peu les deux mamelles de l’art sériel. Mais la série à formule ou à épisodes bouclés est devenue, au fil des mentions répétées d’un certains « âge d’or », un paria, où il est devenu plus acceptable de mentionner les qualités de The Wire que celles de CSI. Avant que Dallas et Hill Street Blues viennent révolutionner la narration dans les séries, le formula show régnait en maître à la télévision dans (presque) tous les genres : le policier de Dragnet, l’espionnage de Mission Impossible, le judiciaire de Perry Mason ou le western d’Au nom de la loi, sans oublier que la plupart des sitcoms répondent au schéma du formula show.
Quel intérêt ?
La série à épisodes bouclés est une œuvre à mémoire de forme qui pose une simple question : Comment raconter la même histoire ? Par un phénomène de variation. Celle qui fait vaciller une flamme sans l’éteindre. La lumière danse légèrement, les ombres évoluent et dessinent de nouvelles formes. Pourtant, la source est identique et à la fin, la flamme reste inchangée. Le formula show possède une croissance verticale, les histoires s’empilent, s’amassent ; son développement est ascensionnel par compilation. La série feuilletonnante avance, se déploie de façon horizontale. Elle ne fixe pas un point, il est constamment en mouvement. À sa droiture exponentielle, la série à épisodes bouclés répond par un mouvement ondulatoire.
Pour saisir tout l’intérêt du formula show, il faut regarder du côté de la musique où la variation possède une réelle valeur technique, artistique et historique. L’art musical repose sur une combinaison de notes limitées. Sur ces bases minimales, interviennent différents motifs de variation (mélodique, rythmique et harmonique*). La série à épisodes bouclés fonctionne sur un schéma similaire : sur un socle reconduit d’épisodes en épisodes interviennent des éléments étrangers qui finissent par produire une oscillation des principes élémentaires de la série. Ce(s) facteur(s) inconnu(s) ne transforme(nt) pas l’œuvre, il(s) la modifie(nt) temporairement, puisqu’elle reprendra sa forme initiale à son terme. Si la partition est déjà écrite, la surprise intervient dans la façon de l’interpréter. Tout le caractère permissif du formula show repose sur la liberté d’accaparer une œuvre, de la torturer, sans mettre en péril la cohésion et la structure de la série.
C’est toujours la même chose, ça ne change jamais !
De la répétition naît la richesse. Une série à épisodes bouclés n’accumule pas (toujours) les épisodes de façon stérile mais finit par révéler un dessein plus grand. Vu dans son ensemble, le formula show développe une vision globale parce qu’elle accroît petit à petit jusqu’à former une masse imposante dont il faut démêler les fils. C’est un jeu à deux échelles : l’épisode et la série. CSI ou Law & Order mettent en scène, chaque semaine, des policiers ou scientifiques qui doivent résoudre des enquêtes. Si l’on effectue un pas en arrière et regarde selon une vue d’ensemble, on voit le portrait des États-Unis, la déliquescence d’une société en proie aux pires instincts, où le coupable révèle souvent un mobile pathétique, entre mauvaise passion et jalousie matérialiste. C’est une vision extrêmement sombre, reflet des pages faits divers des journaux locaux. Cold Case ausculte le passé et y révèle l’évolution d’une société et les contradictions d’un présent parfois inefficient. Without a Trace (FBI : Porté disparu) illustre notre persistance dans un monde en mouvement. Les multiples affaires de Boston Legal entretiennent un rapport direct avec la société américaine, pointant ses aberrations morales ou institutionnelles. Des thèmes qui n’apparaissent qu’après plusieurs épisodes, par sa façon de creuser, d’insister… de (se) répéter.
Répéter n’est pas synonyme de reproduire et n’engage pas à une évolution anesthésiée. Le rythme s’adapte à l’échelle d’une infusion lente, infime à l’épisode mais révélatrice sur la série. Le formula show ne contracte pas le temps, il le laisse se diffuser, s’écouler et entretient un rapport plus intime par sa façon de se poser en miroir de nos propres existences. Le personnage d’une série à épisodes bouclés est semblable à celui du soap : il effectue une course d’endurance, le temps importe moins que la distance parcourue et comment cette distance l’influence. Il ne souffre pas d’inertie mais se construit et évolue dans un rapport moins direct aux événements. Les virages ne s’effectuent pas à 90° mais entreprennent une courbe large et ample afin d’apprécier la progression.
Condamné au purgatoire ?
Entre l’explosion de la demande (Peak Tv), les changements de mode de diffusion (binge watching) et un renouvellement en panne d’inspiration, les formula shows ne retiennent non seulement plus l’attention mais sont également relégués au purgatoire par une sériephilie accro aux récits feuilletonnants. Il existe, encore aujourd’hui, de grandes séries à épisodes bouclés : Longmire, Major Crimes démontrent avec beaucoup d’intelligence, de modernité, qu’il est possible de proposer des œuvres fines, subtiles et riches dans un format souvent réduit à des stéréotypes castrateurs.
*source wikipedia
« Il existe, encore aujourd’hui, de grandes séries à épisodes bouclés : Longmire, Major Crimes démontrent avec beaucoup d’intelligence, de modernité, qu’il est possible de proposer des œuvres fines, subtiles et riches dans un format souvent réduit à des stéréotypes castrateurs. »
Hélas, j’ai envie de dire, il y a tellement de séries à voir qu’on a tendance à privilégier les feuilletonnantes (nouveautés et nouvelles saisons) au détriment des procedurals. Et puis bon, ceux-ci ne sont plus trop à la hauteur de nos jours et les séries citées plus haut ne suscitent pas non plus -et c’est peut-être injuste- un enthousiasme à l’évocation de leur nom. Libre aux fins observateurs et spécialistes de les mettre en lumière pour donner envie d’y aller jeter plus qu’un oeil (i.e. y a pas que Game of Thrones dans la vie).
SI encore c’est procédural serait de qualité !!!
Hein?
Mouais… De mon côté, je ne regarde pas de formula show. Pas par snobisme, mais parce que très vite, j’ai effectivement cette impression de revoir la même chose. J’ai déjà vu des épisodes de CSI, et bien aimé. Mais dès le deuxième, ça coince. Chaque année j’essaye des séries parce que le thème me tente, et au bout de quelques épisodes, si je m’aperçois qu’on est en mode formula show, je laisse tomber. Même les séries feuilletonnantes mais avec son « enquête » à chaque épisode, j’ai du mal. Person of Interest est la seule qui arrive à s’en sortir à mes yeux.
Et encore une fois, nulle question de noblesse ou de je ne sais quoi. Après, peut-être n’ai-je pas vu les bonnes séries, mais cet article ne m’a pas convaincu d’y revenir.