[Relecture] Thor par Walter Simonson

[Relecture] Thor par Walter Simonson

Note de l'auteur

On ne pouvait pas faire autrement sous peine d’encourir la colère d’Odin. La sortie de Ragnarök est l’occasion parfaite pour revenir sur le cycle de Thor par Walter Simonson. En presque quatre années, le scénariste et dessinateur va marquer aussi durablement le titre que son compère Frank Miller sur Daredevil. Endosse ton armure et prépare ta monture, voici la geste de Thor.

 

thor simonson - 1La majorité des lecteurs actuels ont souvent tendance à oublier (ou ne pas savoir) que le personnage de Thor tel qu’il est décrit aujourd’hui dans les comics ou films Marvel est le résultat d’une évolution durant les années 60. Conçu à la base comme un super-héros comme les autres, Thor a une identité secrète, celle du docteur Donald Blake. Quand le danger est là, celui-ci frappe sa canne sur le sol pour devenir le puissant dieu du tonnerre. Durant les premières années de ses aventures, il n’est alors qu’un super-héros capable de voler, possédant une grande force et ayant une identité secrète. À bien des égards, il est l’équivalent de Superman.

 

La différence, c’est Jack Kirby qui la fera comme souvent. Créateur du personnage, il en laissa la garde à Stan Lee, Joe Sinnott ou bien encore Don Heck pour les aventures au quotidien, plus intéressé par le fait de raconter sa jeunesse et ses aventures dans le cadre même de la mythologie nordique. Avec les courts récits Tales of Asgard, le roi Kirby va donc construire toute la cosmologie Asgardienne : le roi Odin, Thor et son frère Loki, Heimdall, Balder, les guerriers Fandrall, Hogun et Volstagg les trolls, les enfers etc.

 

Quand il s’installe durablement sur le titre, le créateur des Quatre Fantastiques exporte toute cette imagerie et trouve dans ces pages l’opportunité de créer un monde à la hauteur de son imagination. La science-fiction et la fantasy vont se marier comme rarement faisant de la série un incontournable de l’éditeur Marvel. En novembre 1968 (Thor #158), Jack Kirby achève la transformation du personnage en révélant que Donald Blake est une création d’Odin dans le but d’apprendre l’humilité à son fils. Dès lors Thor n’est pas (du moins n’est plus) un humain se transformant en dieu du tonnerre mais le dieu lui-même.

 

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La nuance est importante et Walter Simonson saura s’en rappeler quand il arrive sur la série au numéro #337 (novembre 1983). Depuis le départ de Jack Kirby (qui rejoint DC pour créer un Quatrième Monde qui restera dans les annales), la série a connue des hauts et des bas. Elle n’est pas au mieux de sa forme et risque même l’annulation. Une situation qui rappelle celle de Daredevil quelques années auparavant et de la même manière que Frank Miller redonna un souffle nouveau au justicier aveugle, le dessinateur du fantastique Les X-men et les Jeunes Titans profitant d’une liberté totale va créer un cycle magistrale.

 

En se plaçant dans la droite ligne de Jack Kirby, le scénariste et dessinateur renoue avec une tradition quelque peu perdue, celle de la geste. Se présentant tel un narrateur auprès d’un feu de cheminé prêt à raconter moult aventures, Simonson pose d’emblée la tonalité épique de sa saga. Encore enchaîné il y a peu dans un triangle amoureux et un choix à faire entre sa terre natale (Asgard) et celle d’adoption (Midgar c’est-à-dire la Terre), le personnage de Thor vivotait. Dès les premiers épisodes (Thor #337) un nouveau souffle se met en branle. Le lien entre Thor et Donald Blake est rompu et le docteur disparaît ensuite de la série. Thor devient donc l’unique personnage de sa série, du moins avant qu’arrive Beta Ray Bill.

 

thor simonson - 7Création de l’auteur, cet extraterrestre à la carrure athlétique permet de replonger la série dans une science-fiction épique, d’offrir un digne compagnon à la guerrière Sif et donne à Thor un rival puis un allié de poids. En effet, par sa bravoure, sa force et son courage, le gardien de tout un peuple est jugé digne de porter Mjöllnir. Ce qui sera tout d’abord une source de conflit (donnant lieu à un superbe combat dans Thor #338) deviendra par la suite une opportunité pour éviter de retomber dans le sempiternel dilemme Asgard/Terre. En acceptant Bill comme son égal (il est d’ailleurs prêt à lui céder son marteau), Thor fait montre d’une grande sagesse et d’une noblesse qu’il conservera pendant toute la série.

 

Les situations amoureuses sont toujours présentes via notamment l’arc où le dieu de la foudre est victime de la magie (autre point commun avec le fils de Krypton) de Lorelei mais celles-ci sont bien moins basiques qu’un simple triangle amoureux. On se retrouve d’avantage dans un amour romantique et pudique, l’auteur n’hésitant d’ailleurs pas à passer sous silence les discussions intimes entre Thor et Sif. Au final, ce qui intéresse Simonson est ailleurs. Avec un sens de la mise en scène et une gestion des intrigues qui force le respect, l’auteur va construire de grands récits épiques qui font la part belle aux batailles et aux combats entre dieux et démons. En total confiance et en phase avec un personnage qu’il suit depuis sa jeunesse, il lance dès le départ plusieurs intrigues qui convergeront dans une bataille en plein Manhattan dans laquelle s’affronteront démons, guerriers d’Asgard et super-héros new-yorkais.

 

Que ce soit Surtur et la création d’une épée gigantesque (The sword of doom) dans une forge au proportion cosmique, la quête galactique de Beta Ray Bill pour protéger son peuple, le mal-être du puissant Balder, les machinations de la tentatrice Lorelei, la malice de Loki, les intermèdes comiques de Volstagg ou bien encore le complot de Malekith et de ses elfes noirs, le scénariste saute de l’un à l’autre sans arrêt afin de créer pour le lecteur un sentiment d’attente et de suspens terrible. Et tout cela ne représente que le premier quart du cycle de l’auteur !

 

thor simonson - 9Appuyant l’analogie avec Superman, Walter Simonson va décrire un héros à la fois majestueux, à la stature gigantesque et pourtant toujours proche des gens. En se créant l’identité secrète de Sigurd Jarlson (l’occasion d’un questionnement comique quant à l’efficacité des lunettes comme déguisement avec l’apparition surprise d’un célèbre journaliste), Thor se retrouve quelque part plus libre qu’il ne l’était auparavant et capable alors d’affronter des menaces à l’échelle galactique tout en se posant comme un justicier défenseur du plus faible. À ce titre, on citera en exemple les épisodes #364 à #366, dans lequel le fils d’Odin devenu grenouille n’hésite pas à défendre les batraciens contre une armée de rats.

 

Bien sûr, ce qui fait la force magistrale du cycle de l’auteur sur Thor c’est son dessin. Artiste complet à l’instar du roi Kirby, Walter Simonson va marquer durablement les rétines des lecteurs avec un découpage et un travail graphique remarquable apportant une grande vivacité aux histoires. C’est cette alliance de l’écrit et du dessin (qui trouvera son épanouissement complet dans le travail effectué sur les onomatopées) qui fait de son passage l’un des plus remarquables de la série. Sans hésiter, le plus important après celui de Kirby. La relève de Sal Buscema au dessin (à partir de Thor #368) est d’autant plus à saluer par l’exploit qu’il représente. S’il n’égale pas Simonson, le dessinateur qui marquera à jamais la série The Spectacular Spider-man offre un de ses plus beaux travaux notamment par ses visages et leurs expressions qui feront pour beaucoup lors de l’arc sur le massacre des Morlocks (l’un des rares moments où la série se trouve liée à un événement de l’univers Marvel¹) et sur la souffrance d’un Thor qui après avoir subit un sort de Hela devient immortel mais incapable de guérir la moindre de ses blessures.

 

thor simonson - 8Bien que héros de la série qui porte son nom, Thor ne sera pas le seul protagoniste important de l’histoire. Bien conscient de la variété importante du bestiaire à sa disposition, Simonson va, à un moment ou à un autre, offrir des moments de gloire à tous les grands personnages Asgardiens. Le noble Balder partira en quête (et aura même le droit à une mini-série), Loki jouera sur plusieurs tableaux, l’enchanteresse gagnera notre sympathie, Odin notre admiration et même l’énorme Volstagg saura nous montrer quel valeureux guerrier et père de famille il est. Mais c’est bien sûr Thor qui restera le plus majestueux et cela jusqu’à un final époustouflant où le dieu de la foudre affrontera le serpent Jörmungand tel qu’annoncé dans la mythologie. Thor #380 où comment en 22 pages composées quasi intégralement de splash page², Simonson et Buscema vont capturer et rendre au centuple toute la puissance du super-héros Marvel.

 

Quand la mythologie nordique est mise au service des demi-dieux modernes, les plus éloquents des conteurs en tirent des histoires magistrales. Publié partiellement en France en 1988, le cycle de Walter Simonson fut ensuite proposé par Panini Comics à travers quatre intégrales, malheureusement aujourd’hui épuisées. Avec l’arrivée du prochain film Thor en 2017, on espère vivement que l’éditeur saura proposer à nouveau ce diamant dans l’écrin qui lui fera honneur.

 

 

 

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Thor par Walter Simonson – Thor #337 à #355, #357 à #369, #371 à #382

Dessiné par Walter Simonson (#337 à #354, #357 à #367, #380) et Sal Buscema (#355, #368 à #382)

Critique basée sur les épisodes publiés dans les quatre intégrales Thor (1983-1984, 1985, 1986, 1986-1987)

 

 

 

¹ Écrit par Louise Simonson, l’épouse de Walter. Ça reste en famille !

² Illustration unique sur l’ensemble de la page généralement utilisée pour la première page d’un comic book afin d’accrocher le lecteur

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