
Remake : quand le jeu vidéo va plus loin que le simple portage
C’est un peu une sale habitude de la part des éditeurs. Depuis que les consoles nouvelles générations permettent facilement de rapatrier les anciennes gloires à moindre frais, les actionnaires ne se gênent plus pour capitaliser sur des versions à la peinture fraîche et jouant sur la nostalgie des joueurs, histoire de rentabiliser des développements qui coûtent de plus en plus cher. Mais il faut bien différencier les portages et les remasters HD des remakes, ces refontes plus élaborées qui permettent de redécouvrir un jeu que l’on aurait exploré de fond en comble. À l’occasion de la sortie du remake de Resident Evil 2, penchons-nous sur ces grandes restaurations de titres cultes qui ont marqué un tant soit peu les esprits.
Resident Evil Rebirth
Jamais appelé officiellement « Rebirth » ailleurs que par des journalistes européens, ce Resident Evil est un remake du tout premier épisode, sorti originellement sur GameCube en 2001 (et après un peu partout). Cinq ans après la sortie de l’épisode original, Capcom annonce en grandes pompes sa volonté de remaker tous les épisodes sortis sur PsOne (les trois premiers). Face à des journalistes interloqués, Capcom balance une première vidéo, et les doutes disparaissent : le jeu est transformé, aussi bien dans les décors (toujours en 3D fixe) que dans les modèles des personnages. On est face à un tout nouveau titre, même si la structure du jeu reste sensiblement la même. Une manière pour Capcom de revenir à une valeur sûre dans une époque où la saga connaît quelques remous, notamment avec tous les soucis de développement de Resident Evil 4 (dont la première version se transformera en Devil May Cry).
Mais le jeu modifie également quelques mécaniques un peu obsolètes. Les zombies se collent un peu trop au joueur ? Aucun problème, il bénéficie maintenant d’armes défensives comme un couteau ou une matraque électrique. Mais ces pauvres zombies, me direz-vous, ils n’ont plus aucune chance ? Le passage à l’ère GameCube leur donne un surplus d’intelligence, puisqu’ils peuvent maintenant descendre des escaliers ou ouvrir des portes, parfait pour mettre constamment la pression. Capcom ajoute quelques énigmes supplémentaires, de nouvelles zones et aussi Lisa Trevor, une créature intégrée à la mythologie de la série qui fera office de monstre ambulant dans le manoir.
Si les remakes/remasters ne sont pas légions en 2001, la qualité de ce remake permet de placer la barre très haut et est souvent considéré comme un modèle du genre pour tous ceux voulant réhabiliter un titre en le modernisant. Certes, ceux qui veulent l’expérience originale en auront pour leurs frais, mais difficile de contester la qualité du boulot abattu pour rendre justice à un tel titre.
Metal Gear Solid: The Twin Snakes
Probablement l’un des remakes les plus dingues que le jeu vidéo ait connu, autant pour ses bons que pour ses mauvais côtés. Peut-être poussé par le succès du retour de Resident Evil trois ans plus tôt, Konami lance la production d’un remake de Metal Gear Solid, mais exclusif à la GameCube. Il débarque après la sortie de Metal Gear Solid 2 et c’est Silicon Knights qui se charge du développement, après avoir marqué les esprits avec Eternal Darkness: Sanity’s Requiem. Développé en un peu plus d’un an, les fans ne voyaient pas d’un bon œil qu’une équipe canadienne s’occupe d’un titre culte japonais, tout autant que l’équipe elle-même, assez impressionné par l’aura du jeu. L’équipe japonaise montée par Kojima pour superviser tout ça se chargeait également des nouveaux modèles de personnages et le titre en a profité pour glaner quelques mécaniques issues de MGS2, comme pouvoir se cacher dans des placards ou une vue FPS pour tirer à l’arme à feu.
On notera des anecdotes irrésistibles autour du développement, comme le fait d’avoir réenregistré tout le doublage américain : la carte-son de la GameCube était plus performante que celle de la PsOne, ce qui faisait apparaître le bruit du trafic derrière l’enregistrement original, fait dans un hangar miteux en banlieue américaine à l’époque. Mais le plus gros ajout de ce remake, ce sont les nouvelles cinématiques, toutes complètement refaites et réalisées par Ryūhei Kitamura, auteur de films d’actions japonais comme Versus. Passer d’une réalisation classieuse de série B à une mise en scène décomplexée où l’on ne se préoccupe plus de la gravité terrestre est un grand moment de n’importe quoi : les bullets-time s’enchaînent à tour de bras quand ce ne sont pas les frasques du ninja qui prêtent à sourire. Cela ne plaît évidemment pas à tout le monde. À titre personnel, j’aime beaucoup cette nouvelle mouture, prenant le jeu comme une vision totalement différente (et WTF) d’une histoire identique. Reste que le jeu lui-même devient beaucoup moins rigide que l’original, plus agréable à parcourir et en gardant toutes ses immenses qualités.
Le succès fut présent, mais pas autant que les épisodes précédents. Le jeu étant développé par Silicon Knights, Kojima n’a jamais voulu intégrer cette version dans les différentes compilations sorties, sans l’accord du studio canadien. Je croise les doigts pour le voir débarquer un jour, puisque la boîte originale est très difficile à dénicher à un prix décent.
Silent Hill: Shattered Memories
Alors là, je triche un peu. Car si ce Silent Hill: Shattered Memories sorti à l’époque sur Wii et PSP est vendu au départ comme un remake du premier épisode, il diffère tellement de son modèle qu’il est compliqué de parler de remake au sens strict du terme. On dirige toujours Harry Mason qui, suite à un accident de voiture, se voit déambuler dans les rues de Silent Hill pour retrouver sa fille Cheryl. Jusqu’ici, on retrouve ses pantoufles brumeuses. Mais là où le jeu se démarque, c’est quand le joueur se retrouve propulsé dans un cabinet de psychiatre (après les événements, a priori), en vue subjective, pour parler de ce qu’il s’est passé, et influencer également sur les éléments qu’il rencontre dans la ville suivant vos choix.
Un concept fort alléchant, avec twists inattendus et une vraie dimension psychologique, collant parfaitement à l’ambiance de Silent Hill. Mais il s’éloigne également du jeu de survie en faisant disparaître les affrontements avec les monstres pour les remplacer par des courses-poursuites pas bien trépidantes. Même si le joueur n’est pas sur des rails et bénéficie toujours de l’ambiance poisseuse du premier épisode, il manque ce mélange d’énigmes sordides et cette pression constante due à la faiblesse du personnage et le peu de munitions à disposition. Le jeu rajoute aussi des mécaniques comme une glace bleue qui vient recouvrir la ville et incite les monstres à poursuivre le joueur.
Si le jeu est aussi particulier, c’est grâce au concepteur principal de l’équipe de Climax, chargé de ce remake : Sam Barlow. Si ce nom vous dit quelque chose, c’est bien normal. Le bonhomme est connu depuis pour son jeu indé, Her Story, qui mettait en scène une jeune femme dans des séances d’interrogatoires et le joueur devait savoir si oui ou non elle était innocente. Un parallèle intéressant avec Silent Hill: Shattered Memories et ses séances chez le psy. Depuis, il est au travail sur son prochain jeu narratif bien plus ambitieux : Telling Lies.
Tomb Raider Anniversary
Si vous faites encore des cauchemars en pensant à l’horrible Tomb Raider : l’Ange des ténèbres de 2003, vous avez passé le plus dur. Car fort heureusement, Crystal Dynamics, célèbre pour Pandemonium et Gex, reprend le flambeau quelques années après, avec Tomb Raider Legend, nouvel épisode bien plus recommandable sans être incroyable. En 2006, une vidéo tombe sur la toile et dévoile un Tomb Raider: Anniversary Edition, l’épisode premier mais dans un nouveau moteur. Il s’agissait d’une vidéo test réalisée par Core Design (les développeurs originaux), tentant de revenir aux affaires pour reprendre la main sur la licence. Mais dépité par les anciennes ventes du studio, Eidos préféra donner ce remake aux nouveaux développeurs, Crystal Dynamics.
Et l’équipe débute le développement avec la meilleure chose à faire dans ce cas-là : reprendre le moteur graphique de Legend et jouer à fond à l’épisode original pour écarter tout ce qui n’a plus d’intérêt pour un gameplay moderne. Ils ont donc enlevé toutes les phases de plateformes obsolètes et inutiles, qui devenaient bien plus faciles avec la maniabilité plus souple de Legend. Le jeu a été remanié en profondeur, pour ramener le côté grandiose des décors en profitant du nouveau moteur, notamment le décor du célèbre T-Rex. Plein de petites choses ont été améliorées, comme se concentrer sur l’humanité (toutes proportions gardées – elle zigouille quand même quelques espèces disparues) du personnage en évitant de lui faire tuer des humains avant la fin du jeu, pour marquer un tournant dans la vie de l’aventurière. Le gameplay au grappin pour résoudre des énigmes vient directement de Legend, et l’épisode introduira même des QTE pour certaines cinématiques.
En somme, Tomb Raider Anniversary est le parfait exemple du remake qui a tout compris : le jeu conserve sa structure, élimine tous les éléments trop vieux pour l’époque, gonfle tout le graphisme pour le rendre encore plus beau, garde l’esprit aventure du premier opus, et parvient même à inclure ce remake comme une espèce de flashback, s’incorporant parfaitement au scénario de la trilogie de Crystal Dynamics (Legend – Anniversary – Underworld). L’épisode Wii sorti plus tard possède même un gameplay à la WiiMote tout à fait adapté au jeu.
Final Fantasy IV (et autres RPGs)
Square-Enix, à l’ère de la Nintendo DS, a fait le choix de miser à fond sur les remakes de ses grands RPGs japonais de l’ère 16 bits. Moins chers à produire (puisque sur une console portable avec un moteur graphique accessible) et possédant des assets moins conséquents que les gros jeux PS2, difficile d’en vouloir à l’éditeur japonais de réhabiliter ses succès pour les proposer à un nouveau public friand de la licence. Après un premier essai sur Final Fantasy III, c’est toujours Matrix Software qui s’occupe de ce remake. Le studio, qui a débuté par un certain Alundra sur PsOne (ça parlera à certains), est depuis spécialisé dans le remake ou jeux dérivés pour le compte de Square-Enix. On pourra signaler le remake complet de Dragon Quest V sorti sur PS2.
Nouveau moteur 3D oblige, il a fallu travailler la mise en scène des dialogues, et pas simplement entrer des lignes de texte pour faire parler des personnages. Une partie de l’équipe originale revient pour superviser tout ça, notamment les combats qui gagnent en dynamisme. Les dialogues sont doublés, quelques nouveautés de gameplay sont ajoutées, la bande-son est refaite pour l’occasion : encore une fois un excellent remake pour (re)découvrir l’un des meilleurs épisodes de la saga, le premier à avoir un scénario plus complexe que les trois précédents. Niveau Dragon Quest, Square-Enix ne s’est pas non plus privé, puisque la saga bénéficie d’excellents remakes sur Nintendo DS par le studio ArtePiazza, bossant sur les épisodes IV, V et VI sur Nintendo DS, et les épisodes VII et VIII sur Nintendo 3DS. Doublages, modernisation de certaines mécaniques et le tout dans un moteur 3D bien emballé : l’éditeur ne prend que très peu de risques, choisissant simplement un dépoussiérage de ses licences plutôt qu’un chamboulement complet du titre. On notera aussi Sword of Mana, sorti sur GBA, qui est surtout le remake du premier épisode de la saga, nommé Mystic Quest en occident.
The Secret of Monkey Island: Special Edition
En 2008, l’équipe de LucasArts décide de se lancer dans le remake de leur propre jeu, The Secret of Monkey Island. L’idée était de réhabiliter le point’n click culte en gardant au maximum l’ambiance tout en modernisant le titre pour l’adapter aux consoles, notamment dans toute l’interface textuelle du titre, adaptée principalement à la souris. Plus que la plupart des autres remakes, le parti pris graphique est audacieux, car s’éloignant du style pixel art (pourtant populaire sur la scène indé) pour aller dans un style artistique bien plus cartoon avec des décors léchés. Le design de certains personnages est assez étrange, notamment Guybrush et son front démesuré mais pourquoi pas. On a droit à un doublage intégral, une bande-son remastérisée et une option sacrément bien pensée : le passage de l’ancienne version à la nouvelle en une seule touche !
Ce qui était un ajout rigolo devient un gimmick presque indispensable pour les nostalgiques en herbe, et force même les développeurs à se caler au millimètre près du jeu original, empêchant tout débordement. La structure du jeu est donc identique, le remake devient limité, et c’est finalement uniquement la plastique du titre qui profite de ce ravalement de façade. Avec le succès de ce remake, LucasArts enchaîne deux ans plus tard avec le second épisode, bien meilleur sur le design des personnages, et plus cohérent sur son style visuel. Un style de remake pour des jeux 2D de plus en plus populaire. On pourra penser récemment à Wonder Boy: The Dragon’s Trap, un superbe remake de Wonder Boy III et un choix de style visuel plus proche de la BD, mais sans omettre la fameuse touche pour switcher entre les deux versions. En 2016, LucasArts enchaîne avec Day of the Tentacle Special Edition, un simple upgrade graphique tant le jeu original était déjà très bien, tout comme pour Grim Fandango et Full Throttle, simples portages HD.
On citera également Duck Tales Remastered, un excellent remake du Duck Tales original, réutilisant les designs du dessin animé La Bande à Picsou, mais avec tous les avantages de la HD. Le remake en profite également pour rallonger les niveaux et offrir un monde final supplémentaire, toujours afin de corriger les erreurs du titre original.
Crash Bandicoot N’Sane Trilogy / Spyro the Dragon Reignited Trilogy
Il y a une époque où Crash Bandicoot était officieusement la mascotte de Sony, de la même manière que Sonic et Mario. Ça, c’était à l’époque de la Playstation, avant que Naughty Dog mûrisse et se lance dans Jak and Daxter ou Uncharted, et qu’Activision récupère la licence, faute de studio capable d’assurer l’héritage. Fatalement, l’exclusivité en prend un coup, et le marsupial a pu atterrir sur tous les supports, mais dans des nouveaux jeux pas franchement mémorables. Activision étant assis sur une mine d’or pour les nostalgiques, il fallait saisir l’occasion de remettre en avant les épisodes originaux. Mais au lieu d’un simple portage, on a droit ici à un remake en profondeur, du moins sur l’aspect graphique : des graphismes adaptés aux consoles, quelques menues améliorations mais aucune modification en profondeur. C’est Vicarious Visions qui s’y colle, ayant déjà opéré sur deux spin-off sortis sur GBA. Mais Sony a beau leur avoir fourni le maximum d’éléments des jeux originaux, l’équipe n’a pu récupérer que les géométries de base, tout le contenu a donc été refait de zéro.
Des ajouts ont été faits, comme des nouveaux bruitages et animations, évidemment, mais la trilogie peut compter sur un système harmonisé, virant au passage l’indigeste système de password du premier opus. Dorénavant, Coco Bandicoot est jouable partout et le Time Trial est aussi disponible dans les épisodes 1 et 2. Une petite polémique a été soulevée à sa sortie, puisque la bounding box (l’espace utilisé par le personnage dans l’environnement 3D) est basée sur celle du troisième épisode (une sorte de gélule), qui est différente sur le premier (un rectangle), ce qui rend Crash Bandicoot 1 plus difficile qu’à l’époque, puisque le personnage glisse sur des petites plateformes (dû à sa nouvelle bounding box) au lieu de rester en équilibre.
Un an plus tard, c’est la trilogie de Spyro qui trouve le chemin du lifting visuel, reprenant les jeux à l’identique mais en modifiant tout l’aspect graphique. Tous les décors et personnages sont remis au goût du jour, ainsi que sa maniabilité pour l’adapter à nos nouvelles consoles. D’ailleurs, pour continuer l’étroite collaboration entre Spyro et Crash à l’époque des 32 bits (on pouvait débloquer des démos dans chacun des épisodes), un trailer du remake de Spyro est caché dans l’écran titre de Crash Bandicoot 3 new gen. Et Activision ne s’est pas trompé : capitalisant sur le succès fulgurant de ces remakes, l’éditeur lance pour cette année une nouvelle version du populaire Crash Team Racing.
Final Fantasy VII Remake
S’il y a un remake que tout le monde attend, ce serait évidemment celui de Final Fantasy VII. Espéré, fantasmé, Square-Enix répond à l’appel des fans à l’E3 2015 en lançant un trailer qui fera bouillir tous les fans de la planète, promettant de replonger dans cet œuvre culte dans une version intégralement refaite. Les rumeurs pour un tel remake remontent depuis très longtemps, lorsque Square-Enix lance Compilation of Final Fantasy VII, une série de jeux censés étoffer l’univers du jeu (le film Advent Children vient de là). En 2005, Square-Enix dévoile une vidéo pour montrer ce que la PS3 a dans le ventre, reprenant la séquence d’intro de Final Fantasy VII avec des nouveaux modèles 3D. Forcément, tous les fans sont en nage, en pensant à la possibilité d’avoir FF7 à un tel niveau graphique, mais Square-Enix défend que ce n’est qu’une démonstration technique (ou une manière de savoir si la hype autour du titre est toujours là – ils se posaient vraiment la question ??).
Comme souvent avec Square-Enix, les gros projets internes ont toujours des développements compliqués et celui-ci n’échappe pas à la règle. Yoshinori Kitase est a priori encore de la partie, mais c’est Tetsuya Nomura, encore à fond sur le développement de Kingdom Hearts 3, qui assure la fonction de réalisateur. Le jeu était géré en externe par Cyberconnect 2 (Naruto Ninja Storm) avant de revenir en interne en 2015 pour des raisons mystérieuses. Le jeu n’est pas clair sur ses ambitions, affichant à la fois une promesse d’un Action RPG à la FFXV et un titre qui se verrait fragmenté en plusieurs épisodes. Mais depuis, silence radio, seulement l’affirmation selon Nomura lui-même que le jeu a été annoncé trop tôt, ce qui nous fait une belle jambe, vous en conviendrez. On pensait les erreurs apprises du passé, il n’en est apparemment rien.
Toujours est-il que Square-Enix prévoit d’en montrer bien plus en cette année 2019, puisqu’une fois Kingdom Hearts 3 achevé en janvier, ce remake sera le projet principal de Square-Enix dans les tuyaux. Un titre toujours aussi mystérieux, dont beaucoup seront certainement déçus. Wait and see, comme on dit.