
Rencontre avec Tony Grisoni (Séries Mania)
Du 15 au 24 avril se déroule la septième saison de Séries Mania à Paris, et comme chaque année, le Daily Mars vous offre une couverture du festival. Au programme, critiques, bilans de conférences et autres surprises…
Tony Grisoni est un habitué de Séries Mania. Cette année, il vient en tant que membre du jury de la compétition internationale. Bouleversés par Southcliffe au festival il y a deux ans, nous ne pouvions pas rater cette rencontre pour en apprendre plus sur lui, pour en apprendre plus par lui.
Animée par Marie-Elisabeth Deroche-Miles, la structure de la rencontre parcourt en ligne droite la chronologie (ce qui ne sera pas le cas dans cet article) de cet auteur résolument dramatique, nous en ressortirons avec l’impression d’un parcours plein de tournant et d’une personnalité pleine d’humour.
L’écho de l’histoire familiale
À la mention de ses origines familiales, Tony Grisoni évoque le courage des réfugiés qui décident de fuir leur pays lors de la Seconde Guerre mondiale, comme son père parti d’Italie et la résurgence du phénomène aujourd’hui. Plus tard dans la rencontre, on ne peut éviter de faire le lien quand il parlera du film In This World avec le réalisateur Michael Winterbottom. Le film suit deux jeunes réfugiés afghans qui tentent de rejoindre illégalement Londres depuis un camp nord pakistanais grâce à des contrebandiers. Les quelques anecdotes (le contexte post 9/11, les réactions d’un officier des douanes, le parcours du jeune Jamal Udin Torabi, amateur de 14 ans casté dans un camp de réfugiés, qui a depuis demandé l’asile en Angleterre et vit à Londres, évoquent une expérience rare de vie autant que d’écriture, mixant planification et écriture improvisée au travers de rencontres sur place. Il en parle aujourd’hui comme de son meilleur souvenir d’écriture.
Quelques temps destiné à devenir un moine bénédictin, c’est le directeur de ces moines qui l’incite à se rapprocher du cinéma qu’il aime déjà quand vient le moment de chercher du travail. Il écume les petits boulots dans le milieu avec pour but de rester toujours proche de cet univers. Mais la mode, et l’argent, dans les années 80 sont aux clips ce qui l’intéresse peu. Il quitte Londres et apprécie la liberté que lui laisse sa nouvelle vie de famille pour écrire. Ses manuscrits trouvent l’accès aux bureaux de ses anciens collègues du milieu qui ont gravis les échelons depuis, rappelant que les contacts se font à tous les niveaux, à tous les moments.
Il rit de la notion du temps

Il en a parlé aussi : Tideland de Terry Gilliam
Le script de son premier film Queen of Hearts est écrit très rapidement : et pour cause ! la rémunération 50% avant / 50% après le dépôt du script est une bonne motivation. Les échanges avec Terry Gilliam quand celui-ci lui propose un premier scénario ensemble, Thésée et le Minotaure, disent en eux-mêmes la nécessité des projets multiples et la patience récompensée. Grisoni lui laisse un message pour accepter de travailler sur le projet. Sans nouvelle, il rappelle poliment et régulièrement. Quand Gilliam le rappelle enfin, il s’étonne. 4 ans ont passé, Gilliam lui réplique qu’il était occupé. Toujours avec Gilliam, pour Las Vegas Parano cette fois, à l’affirmation que l’adaptation en scénario a été effectuée en 10 jours, il pose un faussement sérieux : “c’est lui qui le dit !” et rappelle le désastre critique que le film subit à sa sortie à Cannes.
Sérendipité : Les aléas du métier
Pour Tony Grisoni, les livres quatuor du Yorkshire (1974, 1977, 1980, 1983) de David Peace, se lisent comme s’ils avaient été écrit par un adolescent en colère. Il raconte le plaisir de se plonger dans cette adaptation quand lui-même était à l’époque énervé de la fin brutale d’un autre projet. Il se réjouit pour Keith Fulton et Louis Pepe et leur carrière après Lost in La Mancha et explique simplement qu’il revient toujours deux fois par an depuis 16 ans sur le scénario de The Man Who Killed Don Quixote et nous assure en riant que ça devient bon. Pour lui, il est important d’avoir à l’esprit que la carrière d’un auteur n’est pas une droite vers le firmament mais une longue sinusoïde que l’on peut espérer globalement ascendante.
Finalement il chérit avant tout la liberté

In This World de Michael Winterbottom
De ses premiers pas d’auteur, il retient les expérimentations plus ou moins fructueuses mais formatrices. Dans son premier film Queen of Hearts (qui sera décrit comme une histoire d’amour, de vengeance et de capuccinos et deviendra culte aux États-Unis), il prend le point de vue plus imaginatif des souvenirs d’un enfant, peu clair, infidèle à la réalité. Il nous vante les mérites de l’autobiographie inventée. Il se réjouit de l’opportunité de préparer The Red Riding Trilogy (basé sur le quatuor du Yorkshire) pour Channel 4, sans traitement, sans note, la liberté d’une première version complète pour cette œuvre de grande ampleur.
Il raconte la participation à The Young Pope, projet de série en cours de développement avec Jude Law, où Paolo Sorrentino avait posé une règle étrange. Chacun des auteurs devaient écrire 2 épisodes. Il demanda donc que contrairement à l’usage où les auteurs se rencontrent régulièrement pour garder une ligne commune, ils n’en parlent pas entre eux pendant l’écriture. D’abord déconcerté par cette règle ridicule, Tony Grisoni s’en est senti libéré dans l’écriture et y pris finalement un surprenant plaisir. Plus nous avançons à ses côtés en survolant son parcours, plus l’image s’imprègne : chaque contrainte contient en son sein même l’envie d’en faire fi ou l’occasion de la transformer consciemment en avantage.
Son actualité
Il s’excuse auprès de nous de prendre trop de temps en parlant de ses travaux en cours. Actuellement sur In the Wolf Mouth, sur la libération de la Sicile, King’s Land, une série en 6 épisodes située dans son quartier de Londres sur la diaspora kurde, impliquant directement la communauté locale, The City and the City où deux villes coexistent l’une et l’autre au même endroit et où les deux populations ont appris à s’ignorer au point de ne plus se voir… Quand pourra-t-on les voir ? Sa réponse laisse chaque fois la place à l’impondérable et en écrivant ces lignes, je ne peux me défaire de la sensation que Tony Grisoni murmure dans ma tête : la vie est imprévisible. Au lieu de nous en inquiéter, soyons-le aussi.