
Rendez-vous de juillet : les souvenirs de Jean Becker
Début juin, Jean Becker présentait une sublime version restaurée de Rendez-vous de juillet, un classique de son père, le grand Jacques.
Les Fauvettes est l’un des meilleurs cinémas de Paris. Splendeur architecturale dans un écrin de verre et de bois, ce cinéma propose des bijoux du 7e art, dans des copies parfaites. De plus, pour animer la salle, Jean-Pierre Lavoignat invite régulièrement acteurs, réalisateurs et techniciens. Après avoir reçu Paul Verhoeven, Bertrand Tavernier, Marlène Jobert, ou Vladimir Cosma, Jean Becker (L’Été meurtrier) est venu début juin présenter Rendez-vous de juillet, un film de son père, le grand Jacques Becker (Casque d’or, Le Trou, Touchez pas au grisbi…), mort à 53 ans en 1960.
Le film, réalisé en 1949 et magnifiquement restauré, raconte les trajectoires d’une bande de copains, dans l’après-guerre. Étudiant en ethnographie, Lucien Bonnard, interprété par le jeune premier vibrionnant Daniel Gélin, cherche en vain des subventions pour financer son expédition en Afrique. Pendant ce temps, ses amis comédiens montent une pièce écrite par un jeune auteur. Pris dans un chassé-croisé amoureux, les couples se font et se défont…
Petit bijou de grâce et de légèreté mélancolique, Rendez-vous de juillet est surtout le formidable portrait d’une jeunesse – toujours mystérieusement absente des écrans à l’époque – qui vibre et qui vit à 200 à l’heure à Saint-Germain-des-Prés sur fond de jazz, d’existentialisme et de liberté. Avec en bonus un Daniel Gélin épatant, et un Maurice Ronet dans sa première apparition à l’écran.
Jean Becker :
« Je suis allé une seule fois sur le tournage de Rendez-vous de juillet, pour une apparition, sinon, j’étais tricard. Mais ma sœur qui y est passée souvent m’a raconté. La cave des concerts de jazz était située rue des Carmes, mais elle a été entièrement reconstituée en studio. Les caméras étaient tellement volumineuses que l’on tournait en studio à l’époque.
Il y a un vrai aspect documentaire dans ce film. En 1949, c’était une renaissance, avec ces jeunes gens qui sortaient de ce marasme qu’était la Seconde Guerre mondiale. Il y avait eu les zazous, mais là, c’était un peu différent. J’aimais bien l’amitié, la fraternité entre tous ces jeunes gars. Le cinéma des années 40 ne s’intéressait pas à la jeunesse. Le centre d’intérêt de mon père, c’était le jazz. Il avait entendu parler de l’orchestre de Claude Luter qui jouait dans une cave. Il a découvert cette jeunesse – qu’il ne connaissait pas vraiment – folle de musique américaine. Cela a été pour lui une révélation. Il a pensé qu’il devait faire un film sur ce mouvement. C’est presque un film précurseur de la nouvelle vague. D’ailleurs, Becker est un des rares cinéastes classiques que Godard, Truffaut aimaient bien.
Mon père était dévoré par sa passion pour le cinéma. Il ne me parlait pas beaucoup, même s’il m’aimait. Quand je lui ai dit que je voulais faire du cinéma, il m’a dit qu’il n’en était pas question. Dans sa jeunesse, mon père était censé travailler dans l’usine de son père, comme Daniel Gélin dans le film. Ce père autoritaire qui veut que Gélin mange avec la cravate, c’est vraiment un portrait de mon grand-père. Mon père a réglé ses comptes avec lui dans cette scène. Mon père ne voulait pas faire d’expédition en Afrique comme Daniel Gélin dans Rendez-vous de juillet, il voulait faire du cinéma. Il a rué dans les brancards et il a rencontré Jean Renoir. Renoir lui a dit : « T’as qu’à venir avec moi faire du cinéma ! » Il l’a suivi et son père lui a coupé les vivres. Il y a des bribes autobiographiques dans Rendez-vous de juillet. Plus tard, mon père a accepté ma vocation et j’ai commencé comme stagiaire sur ses tournages. J’ai tout appris avec lui. J’ai pourtant travaillé avec Verneuil, Duvivier, mais c’est avec lui que j’ai le plus appris. J’étais admiratif de son travail et dans mes films, j’ai toujours essayé de faire comme lui.
J’aime beaucoup son humanité, la façon dont il donne vie à ses personnages. Tous ont une petite histoire. Il n’y a pas de premiers et de seconds rôles ; que des personnages qui existent tous ! Mon père était un amoureux du détail.
De ses films, j’aime beaucoup Goupi mains rouges, Casque d’or, Le Trou, Falbalas… En fait, j’aime beaucoup les films de mon père. Je les regarde quand ils passent à la télé. Mon fils est devenu producteur et réalisateur mais il ne m’a pas demandé la permission. Il a commencé dans L’Été meurtrier.
Rendez-vous de juillet a été un succès moyen, mais il a eu le prix Louis Delluc. La copie est magnifiquement restaurée, elle rend hommage à la belle photo de Claude Renoir. »