Rentrée Séries 2016 : Tempus Fugit*

Rentrée Séries 2016 : Tempus Fugit*

Depuis toujours les séries et le temps entretiennent une relation particulière. Il y a les corps que l’on observe vieillir au fil des épisodes. Symbole d’une diffusion du temps qui répond au nôtre. Et il y a le temps narratif, celui qui s’exprime de façon longue et linéaire ou que des auteurs s’amusent à décomposer, recomposer comme une matière docile et extensible. Le temps est au cœur de cette rentrée 2016.

the-cw_frequencyOn devinait la tendance à l’annonce des upfronts, le voyage dans le temps trouve un étonnant point de convergence. En attendant le romanesque Time After Time (ABC) ou la comédie Making History (FOX), Timeless (NBC) et Frequency (CW) occupent le devant de la vitrine et jouent aux grands écarts temporels. Si le pilote de Timeless ne nous a pas emballés, trop naïf et lisse pour convaincre, celui de Frequency a subtilement trouvé un équilibre entre efficacité brute et ambition. Dans les deux cas, on retrouve l’idée d’un présent recomposé. Et avec lui, l’allégorie d’une fiction encore en construction, écrite en réaction. Discours d’un art sériel toujours en mouvement, jonglant entre imagination, critique et audience pour modifier la trajectoire de son voyage et continuer à exister. Refaire le passé pour modifier le présent, ce sont les petits ajustements que l’on effectue pour régler la mécanique générale et corriger ses erreurs.

nbc_this-is-usLe voyage dans le passé peut aussi permettre de regarder différemment le présent. C’est le pari de This Is Us (NBC) qui assaisonne son drama d’un petit twist narratif voyant le temps se replier sur ses personnages. La formule aurait pu être artificielle, c’est tout le contraire : la série y gagne une soudaine et belle intimité. On observe ainsi une temporalité mouvante avec un passé en électron libre et un présent linéaire ; les deux périodes se répondant dans une discussion habile et inspirée, trouvant dans un procédé rigide la matière à explorer l’émotion.

Regret attendri ou désir vague accompagné de mélancolie,
définition de la nostalgie par le Larousse.

© Darren Michaels/FOX

© Darren Michaels/FOX

Une excursion dans le passé, à travers la mémoire ou les sentiments, s’est aussi incarnée dans cette rentrée. The Exorcist (FOX), Lethal Weapon (FOX) ou MacGyver (CBS) ont entrepris de jouer sur la corde sensible des spectateurs. Crise de la création ou symptôme d’un changement de génération dans les writer’s room ? À défaut de « faire à nouveau » comme les auteurs de Stranger Things, ces séries tentent de relier différentes époques en invoquant la mémoire des spectateurs tout en les accrochant au présent. The Exorcist annonce l’idée d’une contamination. Peut-être est-ce celle du passé qui s’invite en prenant possession d’une actualité un peu fragile, en manque de repères francs. La greffe de l’ancien sur le neuf a eu du mal à prendre de The Exorcist à MacGyver. Seul Lethal Weapon tiendra son pari en ne reproduisant pas des gimmicks mais en laissant le temps glisser sur lui.

BigBang-saison09-Howard-Bernadette-LapinIl y a les séries qui entrevoient leur futur. Comme une porte qui s’ouvre dans The Big Bang Theory (CBS) et une qui se ferme dans The Middle (ABC). Une confrontation au temps opposée mais qui se réunit sur le thème du changement de génération. Pour Sheldon c’est un passage, une étape supplémentaire dans sa réappropriation au monde ; pour Howard et Bernadette, c’est la naissance de leur enfant. Il y a l’idée d’un relais, d’une transmission. Dans The Middle, cette transmission pourrait arriver à son terme quand Frankie réalise que ses enfants grignotent leur indépendance. Dans les deux séries, même appréciation du temps qui défile (10 saisons pour l’une, 8 pour l’autre) mais deux utilisations contraires. Intégrer sa propre fin, c’est également un enjeu de Longmire (Netflix) et son shérif vieillissant au début de la cinquième saison. Combien de temps pourra-t-il tenir ? C’est l’idée sous-jacente de l’art sériel, récit dont la fin suspendue sonne autant comme une menace qu’un soulagement.

How to get away with murder

Le temps est une matière malléable. 24 l’a étiré jusqu’à figurer un temps réel. Lost l’a remixé, destructuré. Aujourd’hui, c’est How to Get Away with Murder (HTGAWM) qui joue les apprentis sorciers avec une construction aux lignes temporelles oscillatoires. Aux tracées ondulées qui se croisent et décroisent, la série de Peter Nowalk atteint un rare degré de virtuosité dans l’art de superposer les strates temporelles. Le procédé n’a rien de mécanique, gratuit ou ostentatoire. HTGAWM (ABC) cherche dans le passé le comburant pour exploser un présent, victime de déflagrations successives où les auteurs jonglent avec les retombées. Le passé-recomposé devient phénomène éclairant, troublant quand le futur-décomposé s’amuse de teasing vicieux pour nous balader de théories branlantes en mauvaises perceptions. La porosité temporelle active une hyperbole dramatique qui contamine tout, des événements aux personnages. Le temps détruit tout dans HTGAWM. Le temps est vénéneux.

Nous aurions pu citer le temps hypothétique de Designated Survivor (ABC) ; le temps parallèle de Bull (CBS) et son jury miroir ; le temps que l’on essaie de réparer ou d’abolir dans Conviction (ABC). Enfin, il y a le temps que l’on doit passer devant nos écrans pour regarder toutes les séries. À la croissance exponentielle de la production, il faut se résoudre à faire des choix. Ou sacrifier du temps. Cette année plus que les autres peut-être, le temps est devenu un enjeu.

*Le temps passe vite

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