
Replay sur… Mirror’s Edge
Contre vents et marées, Electronic Arts a, dans sa grande mansuétude, accordé à Dice de faire une suite à son Mirror’s Edge sorti il y a huit ans déjà. Avant de passer sur le grill ce nouvel épisode, retour sur cet OVNI vidéoludique, sorti d’on ne sait où par un EA qui à l’époque voulait tenter de se sortir de son carcan mercantile et a donné carte blanche à deux équipes pour produire ce qui restera deux jeux injustement boudés du grand public : Dead Space et Mirror’s Edge.
C’est fait par qui ?
Mirror’s Edge premier du nom est développé par Dice. Le studio suédois dans la girouette d’Electronic Arts depuis un long moment déjà, est surtout connu pour être l’instigateur de la licence Battlefield depuis le tout premier épisode. Avant de se lancer dans cette licence militaire, le studio était déjà à l’œuvre depuis un petit moment, puisque leur premier titre se révèle être Pinball Dreams, un excellent jeu de flipper sorti sur AMIGA et SUPER NINTENDO, entre autres. Puis Dice a tenté de percer plusieurs fois, sans grand succès, cantonné à des petits jeux sans envergure comme une adaptation de Shrek, avant de se lancer dans le grand bain en 2002 avec Battlefield 1942 et le succès qu’on lui connaît.
On est en 2007. Ben Cousins, le directeur créatif de Dice explique à un journaliste que le studio travaille en parallèle de Battlefield à un projet plus frais, plus léger, histoire de diversifier son palmarès de jeux. Quelques mois plus tard, Electronic Arts annonce officiellement Mirror’s Edge, un FPS censé révolutionner le genre du FPS. Ce ne sont pas les superlatifs qui étouffent l’éditeur américain, mais voyant une potentielle pépite qui pourrait plaire à une bonne frange de joueurs, il fera confiance à Dice pour proposer quelque chose de neuf et de jamais vu. Les premières vidéos feront effectivement état d’un graphisme épuré mais réaliste. Le fameux Frostbite Engine de Dice, utilisé sur tous leurs jeux actuellement, n’est pas encore tout à fait terminé et Mirror’s Edge utilisera une version de l’Unreal Engine, couplée avec un système d’éclairage, le Beast, capable de simuler des lumières plus douces et naturelles, à savoir réussir à simuler ce qu’on appelle la Global Illumination mélangée avec un système d’Ambient Occlusion. Le jeu ne bénéficiera d’absolument aucune interface en cours de jeu, excepté un petit réticule au centre de l’écran, qui servira autant de repérage que d’élément visuel empêchant les gens sensibles d’être malade. Mirror’s Edge sortira en novembre 2008 sur PC, XBOX 360 et PS3, et fera un flop retentissant malgré des critiques souvent élogieuses : pour un objectif de 3 millions, le jeu ne se vendra qu’à 150 000 exemplaires les deux premières semaines de sa sortie. Il bénéficiera d’un très bon bouche à oreille malgré tout et atteindra en tout les 2 millions de ventes.
Ça raconte quoi ?
Mirror’s Edge conte l’histoire de Faith, une jeune femme faisant partie des Messagers, un groupe chargé d’effectuer des livraisons hors du système afin de garantir l’anonymat de ses clients. La ville du titre est une cité futuriste totalitaire, où ce genre de société est totalement illégal. Après un accident, Faith reprend du service et effectue quelques livraisons. Elle intercepte un appel de police dans les locaux de Robert Pope, candidat aux municipales et ami de ses parents. Sur place, elle tombe sur le cadavre de Pope et sur sa sœur Kate, agent de police et totalement désemparée. Dans la main de Pope se trouve un papier marqué « Icarus ». Kate demande à Faith de découvrir la vérité et de l’innocenter, en l’aidant à s’échapper. L’héroïne devra donc enquêter sur cette conspiration et libérer sa sœur par la même occasion.
Pourquoi ça vaut le coup ?
Résumer Mirror’s Edge à un simple FPS serait largement diminuer les sensations que l’on éprouve la première fois que l’on pose ses mains sur le titre. On pourrait plus parler de jeu de plates-formes à la première personne tellement il diffère complètement de l’image que l’on donne d’un vulgaire FPS. Le soft de Dice surprend par sa maniabilité et sa précision : les gâchettes servent aux sauts et aux glissades, indispensables pour parcourir les niveaux, et le reste des touches est attribué au combat. L’une des forces de Mirror’s Edge est de reposer avant tout sur le contexte et les situations. Les niveaux ne sont pas uniquement une succession de murs ou de rambardes à escalader pour faire le beau. Faith est une messagère, constamment poursuivie par les forces de l’ordre, et forcée à effectuer les plus incroyables pirouettes dans des situations extrêmes. Être coursée par un hélicoptère en furie en glissant le long d’une paroi en verre ou sauter de justesse sur une rame de métro avant que débarque une flicaille légèrement agacée par vos expéditions virevoltantes, c’est le genre de situations proposées par Mirror’s Edge.
L’autre point fort de Mirror’s Edge est sans nul doute sa direction artistique. En plus de faire disparaître toute trace d’interface pour laisser respirer le joueur, le titre propose un style flamboyant, épuré, jouant avec les contrastes d’un blanc omniprésent baigné dans des lumières éclatantes et des couleurs hyper saturées dès que l’on passe à l’intérieur de certains bâtiments. Ces figures abstraites sont mélangées avec une lumière douce et naturelle, permettant de jouer avec des ambiances délicieusement réalistes. Ce sens de l’épure renforce le côté architectural des niveaux : on profite à fond du level design, et au lieu d’être envahi par de multiples textures toujours plus complexes, cette simplicité extrême fait qu’on ne distingue plus que les plates-formes providentielles. La lecture du jeu en devient extrêmement limpide, mis à part deux-trois passages trop chargés. Les constructions deviennent des puzzles et l’artistique intègre directement le gameplay. Pour éviter tout parasitage, Dice a choisi d’afficher directement des indices visuels dans le décor pour ne pas perdre le joueur. D’une couleur rouge vive, certains éléments seront là pour lui indiquer le chemin le plus évident et ses objectifs. Évidemment, même si le jeu est linéaire, rien n’oblige le joueur à passer par ce tracé défini et sera même invité à tenter des cabrioles toujours plus risquées pour gagner de la rapidité.
C’est le body awareness du jeu, l’un des meilleurs du genre, qui permet aussi à Mirror’s Edge de proposer une expérience aussi immersive. Ce concept est un des plus compliqués à gérer dans les jeux en vue à la première personne. Il consiste à donner l’impression au joueur d’incarner un véritable corps pour lui faire ressentir les mêmes limites : le mouvement de la tête lorsqu’un corps est en mouvement, l’impression de poids ou encore le mouvement des bras lors de certaines actions. Il est toujours compliqué puisque cela peut vite conduire à rendre malade les utilisateurs. Mais Mirror’s Edge y arrive de manière impressionnante. Que ce soit les mains plaquées contre un mur automatiquement ou la focale de la caméra parfaitement gérée, en passant par le balancement de la caméra lors d’une course, le titre parvient à véritablement donner la sensation au joueur d’incarner Faith. Les multiples mouvements possibles (wall run, demi-tour, glissade) sont autant d’animations parfaitement intégrées qui donnent du réalisme et de la cohérence au personnage, sans en sacrifier la lisibilité. Un vrai tour de force.
Le jeu n’est pas exempt de défauts. À commencer par les confrontations directes avec les forces de l’ordre, dont certaines sont obligatoires. Le jeu possède un système de combat assez primaire, basé sur le réflexe pour contre-attaquer et voler l’arme de vos adversaires. Mais les sensations de tirs sont très limitées, et certains passages forcent le joueur à utiliser ces armes, sans pouvoir les recharger (puisque Faith n’a évidemment pas de munitions). C’est fort dommage, surtout sur la dernière ligne droite du titre qui oblige à foncer dans le tas en se confrontant frontalement à la police. On est loin de l’efficacité d’autres jeux du genre, et on maudira les développeurs sur dix générations quand on se prendra une salve de fusil à pompe par derrière alors qu’on pensait la salle nettoyée. On regrettera aussi la durée de vie minimale du jeu, de l’ordre de 4 à 5 heures de jeu, même si le plaisir de refaire l’aventure est bien là. Dice a aussi eu la bonne idée d’agrémenter le jeu de modes Time Trial sur les niveaux du jeu, et d’avoir créé de vrais petits puzzles au sein des niveaux qui forcent le joueur à faire preuve d’ingéniosité pour trouver son chemin. Les différentes vidéos trouvables sur le net montrent le talent de certains joueurs.
Perle de l’ancienne génération, Mirror’s Edge apparaît comme une anomalie, un jeu qui traverse les époques sans jamais trouver de concurrence vraiment sérieuse. Complètement à part dans son domaine et proposant une expérience riche et totalement nouvelle, Mirror’s Edge a réussi à développer à la fois un visuel épuré jouant avec les contrastes qui ne voient pas les années passer (les visuels qui parsèment l’article le prouvent facilement) et un gameplay incroyablement immersif dans une aventure pleine de courses-poursuites endiablées et intenses. Rarement on aura vu une expérience aussi unique, malgré des défauts qui peuvent agacer. Et vu le manque de prise de risques des éditeurs actuels, il faudra un certain temps avant de retrouver un jeu aussi audacieux et unique.
Mirror’s Edge
Développeur : Dice
Éditeur : Electronic Arts
Disponible sur PC, PS3 et XBOX 360