
Music Mini Review : Sunn O))) – Kannon (Southern Lord Recordings)
Les Américains de Sunn O))) reviennent avec un nouvel album, Kannon. Ils célèbrent la spiritualité bouddhiste et délivrent une formule plus lumineuse de leur drone metal.
« Une expérience sonore sans précédent », une façon de résumer la musique de Sunn O))). Entre épitaphe et slogan publicitaire. Coller des mots sur le drone metal des Américains est un exercice périlleux, à la limite de la profanation. Dénaturer le sacré par un verbe malhabile, maladroit, incapable de rendre la puissance évocatrice d’une œuvre qui ne s’explique pas. Kannon est de ces réalisations que l’on ne doit pas chercher à comprendre mais à ressentir. Ce serait aller contre nature comme aborder de façon pragmatique Mulholland Drive de David Lynch. Echec assuré.
Stephen O’Malley et Greg Anderson, accompagné du fidèle Attila Csihar reviennent pour un nouvel album après deux collaborations (le décevant Soused avec Scott Walker et l’incroyable Terrestrials avec Ulver). Les prêtres du drone metal n’avaient pas exercé en solo depuis 2009 et le compact Monoliths & Dimensions, ils offrent aujourd’hui un nouveau visage. Les Américains n’ont pas abandonné leur style, ils lui offrent une nouvelle dominante. Plus lumineuse, sans pour autant sacrifier la pesanteur de leur musique faite de longs râles de distorsions. Sunn O))), c’est un peu observer un monochrome. On imagine entendre du bruit continu. Mais Sunn O))) ne s’écoute pas. Il faut fermer les yeux et accepter la main tendue. Ainsi, on entre dans une autre dimension. Et seulement, on perçoit les multiples variations et l’impressionnant travail autour du son.
Le langage est au bord de l’autisme. On comprendra l’exclusion que pourront ressentir certains. Pour les autres qui seront touchés, transportés, transcendés, il y a la promesse d’un voyage sur des ondes sonores oscillatoires. Il y a quelques mesures à prendre quand on décide d’écouter Sunn O))). Mettre un casque, monter le volume. Et laisser parler la musique. Sentir les basses telluriques remonter dans notre corps et plonger dans un mesmérisme musical. Expérience à la fois physique et astrale.
Kannon est composé d’un morceau découpé en trois mouvements. Si O’Malley et Anderson nous avaient habitués aux effluves abyssales, ce nouvel album cherche du côté de la lumière. La première partie semble mettre en musique l’aube, en temps réel. La répétition agit par vagues, ponctuée par des motifs variables et soulignée par une voix, entre incantation et mantras. Les Américains ont voulu célébrer le mysticisme à travers le bouddhisme. C’est l’éveil du monde, dans une ambiance méditative et miséricordieuse (Guanyin, dont Kannon est la prononciation japonaise, est « une forme abrégée de Guanshiyin qui signifie, l’Essence de sapience qui considère les bruits du monde »¹). Kannon II préfère sonder la terre avec son riff lourd et distordu, appuyé par un chant monocorde. Enfin, le dernier mouvement conduit l’épilogue vers une soudaine agitation atrabilaire. Kannon pourra se ranger aux côtés de Terrestrials pour cette ouverture à la lumière. Les Américains n’ont rien perdu de leur talent pour faire gronder les amplis et traverser nos corps des ondes graves. Mais il règne, dans ce nouvel album, une respiration éthéréenne. Une plénitude parfois sournoise, un peu malade et possédée. Une expérience sonore sans précédent, disait-on.
Sunn O))) – Kannon (Southern Lord Recordings), sorti le 4 décembre 2015.
¹ source wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Guanyin