Revue de presse : Les Revenants ou l’hallucination collective ?

Revue de presse : Les Revenants ou l’hallucination collective ?

Comme attendu, la série fantastico-psychologique de Fabrice Gobert a réalisé la semaine dernière une entrée fracassante sur Canal +, aussi bien publique que critique. En attendant une review plus complète de cette première saison à l’issue de sa diffusion, petit panorama angoissé d’une presse unanime pour crier à la révolution.

Les aminches, je me sens bien seul : je n’ai que très modérément aimé Les Revenants. Le drame intimiste de Fabrice Gobert est une oeuvre de qualité, ça ne fait aucun doute, au moins sur le plan formel. La photo, l’étalonnage et la mise en scène des Revenants lui permettent de regarder droit dans les yeux ses consoeurs anglo-saxonnes ou scandinaves. Mais pour autant, elle a laissé votre serviteur presque aussi froid que ses macchabées ambulants. Face au concert de panégyriques tonitruants, j’ai l’impression qu’une appréciation globalement plutôt positive (notez les pincettes) ponctuée de réserves passe déjà pour le rejet violent d’un pisse-vinaigre aigri. C’est pourtant loin d’être le cas, mais les motifs d’agacement sont bien là, au premier rang desquels cette impression tenace qu’on veut absolument me faire avaler, stratégie média du diffuseur comprise, que Les Revenants est LE grand bouleversement du french original programming. A partir du moment où 99% de la presse française s’époumone à le clamer, c’est forcément une réalité mais je reste désespérément presque indifférent à cette histoire.

(ATTENTION : le paragraphe suivant contient un avis d’ensemble sur la série qui pourrait passer pour un léger spoiler)

Pour sûr c’est beau, très beau même et la création d’un univers (bien plombant et mâtiné d’un zeste de prétention, musique incluse) est bien là. Mais de son générique photocopié sur les schémas esthético-narratifs des dramas psychologiques de HBO à son absence totale de la moindre trace d’humour (on cause de la mort coco, normal…), du jeu ampoulé et maniéré d’une partie du casting à la mollesse mortifère du rythme, de la succession d’invraisemblances à un final qui ne répond à peu près à AUCUNE des questions soulevées sur 8 épisodes…. Non, décidément, je ne saisis pas, malgré les qualités évidentes des Revenants, ce qui justifie les envolées lyriques de certains confrères, victimes peut être d’hallucination collective. (Fin de l’alerte spoiler)


Lisez plutôt ! Commençons par Le Point, où Emmanuel Berretta cerne habilement les enjeux de fond de l’intrigue : « Les revenants sont tout à fait comparables aux vivants, eux-mêmes ne savent pas vraiment qu’ils sont morts. C’est dans cette sorte d’hébétude qu’ils créent à la fois l’effroi et la joie des retrouvailles. Mais quand le temps a passé, que chacun a plus ou moins fait son deuil, quelle place accorder à ceux que l’on a enterrés ? Quel avenir peut-on construire avec un être venu du passé ? La série déroule peu à peu cette problématique plus philosophique en même temps que le retour des morts crée toute sorte de dérèglements dans ce village coupé du monde ». Et Berretta de saluer unanimement tout le casting, « excellent », avant de conclure par un glorieux : « le fantastique n’a nul besoin d’une débauche de moyens quand il s’appuie sur quelques effets sonores et des dialogues justes. L’imagination des téléspectateurs fait bien souvent le reste ».

Haaaa… la traditionnelle posture française méprisante pour le genre fantastique. On le tolère mais à condition qu’il se fasse le plus discret possible, ravalé au rang d’alibi (exactement ici comme dans le film matriciel Les Revenants de Campillo, mouroir sur pellicule), enterré sous une bonne couche de résonances sociales ou intimes. Le Monde se réjouit, comme d’autres, de la spécificité adulte des Revenants : « loin du cinéma gore, des morts-vivants et des zombies, la série flirte avec le fantastique ». Cachez ce zombie grossier que je ne saurai voir, messieurs les créateurs : ça c’est bon pour nos amis américains. Chez nous, tradition française oblige, le revenant est poétique, magique comme Gérard Majax. Il ressuscite tout habillé, frais comme la rose, d’un ravin où son car s’est écrasé quatre ans plus tôt et interagit avec ses proches sans qu’à aucun moment aucun d’eux n’aille vérifier qui repose dans le cercueil ou ne se pose au moins la question. Mais oui je sais, le réalisme factuel n’est pas le propos de la série…. J’en reparlerai dans la critique d’ensemble de cette première saison.

Même les sacripans Garrigos/Roberts de Libération se font tout miel : « Voilà les Revenants, série fantastique française et, si l’on ose, hu-hu, fantastique série française (…) C’était l’idée du film éponyme de Robin Campillo un peu remarqué en 2004, mais dans son adaptation en série, le réalisateur Fabrice Gobert (Simon Werner a disparu) a gommé la dimension sociale pour s’attacher aux corps et aux cœurs. Et voilà nos morts nettement plus sensuels, sensibles, affectueux que leurs alter egos vivants, leur miroir à vif ». L’émotion : voilà donc, après l’esthétique, la première qualité prêtée aux Revenants par ses supporters… et moi de m’interroger sur mon éventuelle sensibilité éparpillée par petit bouts façon puzzle (ouais, j’ai regardé pour la 538e fois Les Tontons flingueurs sur France 2 hier soir, OK !). Suis je devenu un monstre à sang froid ? Pire : un beauf’ sans goût du beau ? Comment fais-je donc pour passer à côté de ce « récit souvent bouleversant, à la fois parsemé de clins d’œil à la culture anglo-saxonne et enraciné dans un paysage très français » (Frédéric Foubert dans Première) ?

Comment puis je voir à peu près l’inverse de ce qu’a vu l’ami Olivier Joyard, qui concède tout de même quelques « trous d’airs et pistes peu abouties (le personnage d’Anne Consigny, très statique) », avant de repartir plein pot : « Les Revenants épaissit son mystère au fil des 8 épisodes, et maîtrise de mieux en mieux son récit défiant les strates temporelles, avant une conclusion magistrale. L’addiction fonctionne en douceur, presque par surprise ». Tellement en douceur que je n’ai rien senti, dites ! Olivier rappelle aussi, fort à propos, la multitude des références à la culture anglo saxonne décelables plus ou moins discrètement dans la série. J’y reviendrai dans quelques semaines.

A Télérama, c’est l’extase : ici « Les Revenants, je l’aime à mort » de Pierre Langlais, là Isabelle Poitte, en transe : « … un thriller fantastique envoûtant mais tout entier porté par l’intimité des personnages et leurs magnifiques interprètes. [….] La sublime musique signée par le groupe Mogwai, la lumière, les silences, tout contribue à l’atmosphère nébuleuse et suspend la série entre cauchemar et poésie. Voici LA série française que l’on attendait ».

De son côté, Eric Maillard, du Nouvel observateur, prie très fort pour que l’issue des Revenants n’enterre pas le fol espoir d’un chef d’œuvre nourri par les premiers épisodes : « seule l’issue de la série et l’inventivité des réponses espérées permettront de faire entrer Les Revenants au panthéon des grandes séries de la décennie qu’aucune des autres productions locales n’a réussi à rejoindre ». Ha oui c’est sûr qu’au royaume des aveugles…  Sarcasmes martiens mis à part, soyons fair play face au score mirifique des deux premiers épisodes, lundi dernier sur Canal + : 1,4 million de téléspectateurs, soit 23,1 % de la population abonnée, soit la deuxième meilleure audience historique pour le lancement d’une série produite par la chaîne, selon son propre communiqué publié le lendemain. Le record reste détenu par Borgia et sa pointe à 1,7 million de personnes à l’automne 2011. La sauce devrait tenir sous toute vraisemblance ce soir pour la deuxième semaine de diffusion. Je serai devant pour une seconde couche et vérifier si, oui ou non, la série parvient à faire enfin battre mon coeur pour l’instant arrêté…

 

Les Revenants (8×52′), créée par Fabrice Gobert. Diffusion des épisodes 3 et 4 ce soir sur Canal+.

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