
Richesse et variété du câble américain : Showtime
Cet été, le Daily Mars explore avec vous l’univers du câble américain. Loin d’être un simple espace où tout serait « simplement » permis, les chaînes qui font partie du câble payant (comme HBO ou Showtime) ou du câble basique (AMC, FX, TNT, etc.) tirent leur épingle du jeu en proposant des séries qui participent à l’histoire de la télé américaine. Après AMC, FX/FXX, place aujourd’hui à Showtime.
La chaîne de Dexter.
Ce n’est peut-être pas un hasard si, aujourd’hui encore, la figure principale de Showtime est Dexter. Le tueur en série sociopathe à l’identité diluée par la pantomime caractérise une chaîne à l’esprit insaisissable. Regarder la programmation de Showtime, c’est plonger dans un océan fait de paradoxes, de logique, d’obstination et d’expérience. La chaîne devient une masse tentaculaire qui déploie ses membres dans de multiples directions, essayant de marcher sur les plates-bandes de ses concurrentes, tout en leur volant la vedette. “Dis moi ce que tu diffuse, je te dirai qui tu es” ne fonctionne pas dans le cadre de Showtime comme elle s’est appliquée à brouiller la donne par une profusion de genres et de styles. L’analogie avec Dexter devient fondamentale dans la façon d’aborder la chaîne parce qu’elle se définit par la somme de composants ajoutés, créés au fur et à mesure de son existence. Dexter s’humanisait progressivement, Showtime joue aussi de sa personnification.
Finalement, pour parler de Showtime, il faut savoir naviguer par mots clés. Expliquer Showtime, c’est cartographier une programmation qui fonctionne souvent par paire, par redite, comme une chaîne, encore jeune, qui chercherait la formule parfaite en piochant aussi bien dans son répertoire que chez le voisin. Showtime se veut insolente quand elle titille HBO jusque dans ses slogans (Showtime has the hits HBO misses – 1987 ; Here you see them. There you don’t – 1989), studieuse, opportuniste. Ne lui manquerait que la maturité pour prétendre à une forme de plénitude.
Fantastique.
Lorsque Showtime exploite le fantastique, elle capitalise sur l’héritage culturelle laissé par ses pairs. Résurrection de l’anthologie The Outer Limits, diffusion de Poltergeist, The Legacy, une entrée timide dans le genre, façon compilation, où la prise de risque est minime pour un résultat souvent tiède. Etude du genre fantastique par un bestiaire convenu, la chaîne cherche une identité dans la prolongation. Elle démontre toutefois une vision analytique. Visiter le passé littéraire avec Poltergeist, télévisuelle avec The Outer Limits, Showtime s’appuie sur des valeurs sûres autant pour se rassurer que poser des bases futures. De la même façon qu’elle investira la science-fiction par l’adaptation en série de films célèbre (Stargate en Stagate SG1, Total Recall en Total Recall 2070).
Aujourd’hui, c’est la même démarche qui anime Penny Dreadful où sont réunis dans la même série tout le fantastique de l’ère victorienne dans un traitement plus post-moderne et moins direct que les précédentes séries. Showtime semble aimer travailler le motif pour, sinon offrir mieux, être capable de variations/corrections.
Terrorisme.
24, emblème de la série post 9/11 a mis le terrorisme et la sécurité nationale au premier plan. La réponse de Showtime joue une carte opposée. A l’hystérie narrative d’une fiction rollercoaster, la cellule terroriste vu par la chaîne tient dans une formule tout aussi ambitieuse mais sans numéro de voltige. Montrer l’infiltration d’un agent du FBI musulman, c’est prendre le contre-pied de Jack Bauer. Avec Sleeper Cell, Showtime montre une grande maturité dans l’art de figurer la religion musulmane, le fanatisme, la faiblesse psychologique de certains américains convertis pour de mauvaises raisons. Une grande série qui n’aura pas la renomée qu’elle mérite et va diriger Showtime vers une nouvelle direction.
On retrouve cette vision générale d’une chaîne qui questionne ses échecs et tentent de régler les choses pour proposer une nouvelle création sur un thème similaire. Et comme pour les séries fantastiques, elle privilégiera une base de travail plutôt qu’un terrain vierge. Homeland, remake de l’israélienne Hatufim est un succès critique comme publique (malgré une existence houleuse par la suite), véritable épi-phénomène. Le traitement y est moins réaliste, favorisant le sensationnalisme pour un résultat plus terne. Mais Showtime a su corriger une trajectoire commerciale manquée vers une destination couronnée de succès. Et sur ce thème, Showtime assure la prise ferme, la propulsant au devant de la scène.
Sexe.
Paradigme commercial : Le sexe fait vendre. Et Showtime semble étrangement l’inscrire dans un obscure cahier des charges. Complaisance mercantile, la marque Showtime semble s’appliquer par une simple idée : une scène de sexe dans le pilote. Comme un passage obligé, histoire de contenter un regard essentiellement masculin. Dans le genre, Californication et House of Lies se posent en maître d’oeuvre. Eloge de la vulgarité au point d’en devenir un objet d’étude. Si ces séries aguichent l’homme hétérosexuel, dans un soucis d’équité (ou d’une logique commerciale), elle pénètre l’autre orientation avec le remake de l’anglaise (une nouvelle fois, un remake servira de matrice) Queer As Folk puis The L Word.
Showtime, l’effrontée, s’amuse à provoquer les ligues familiales en tendant la joue plutôt deux fois qu’une. On se souvient de la première séquence du pilote de Californication et sa célèbre fellation par une bonne soeur, dans une église. La chaîne poil-à-gratter excite ainsi les associations vertueuses, créant par la même occasion, une publicité gratuite et efficace. Devant la respectable HBO, Showtime assume l’insolence par une sorte de gratuité dans l’acte provocateur, au risque parfois, de perdre en intérêt.
Il faut croire qu’avec Masters of Sex, la chaîne tente le coup de la maturité devant une série qui parle de sexe, qui en montre mais le fait d’une manière toujours justifiée parce qu’au coeur de l’histoire. La série de Michelle Ashford permet à Showtime de gagner en sagesse, en légitimité face au sujet racoleur par excellence. Elle s’offre une vitrine de luxe qui n’aurait pas fait défaut au catalogue de HBO. Coup gagnant puisque la série est plébiscité par une presse élogieuse.
Quadrilogie.
22 Mars 2010 : Nurse Jackie et United States of Tara débutent leur seconde saison.
16 Août 2010 : Weeds entame sa sixième saison et The Big C débute à l’antenne.
Pendant deux ans (jusqu’à l’interruption de United States of Tara, puis Weeds l’année suivante), Showtime peut se vanter d’avoir quatre séries portées par des personnages principaux féminins. Quatre séries dans des genres différents, au ton différent mais toutes se rejoignent par la complexité accordée à un sexe trop souvent utilisé comme faire valoir dans des séries à dominante masculine.
Cette intersection thématique permet une nouvelle fois de mesurer le caractère versatile de Showtime. Quand Californication accumule les bimbos dénudées dans le but de d’assouvir un oeil lubrique, The Big C ou United States of Tara montrent la maladie avec beaucoup de retenue et donnent aux actrices un véhicule magnifique dans lequel elles peuvent exprimer leur talent. Si ces quatre séries mettent à nue leurs héroïnes, elles ne ressentent pas le besoins de les effeuiller pour satisfaire un quota maison. Cela compose en partie le profil schizophrène d’une chaîne, peut-être simplement girouette, pour ameuter un pannel le plus large possible.
On peut voir en Nurse Jackie et Weeds les réponses qu’offre Showtime aux séries House et Desperate Housewives. Réccurence d’une chaîne qui bâtit son empire avec, semble-t-il, un besoins de référents. Ce mimétisme fascinant n’a, pour le moment, guère fait d’ombre à Showtime, chacune de ses séries jouissent d’une réception confortable. Sûrement parce qu’elles ont su s’extraire du modèle pour atteindre une vie propre.
Comédie.
Les paragraphes se suivent et se ressemblent… Lorsque Showtime aborde la comédie pure, elle le fait par un prisme méta. Episodes et sa quasi mise en abîme, le (faux) remake de Web Therapy et son formalisme conceptuel. Dans le premier, Matt LeBlanc joue une version de lui-même et il sera question de pénétrer derrière l’écran pour observer la fabrication d’une série. Dans le second, Lisa Kudrow incarne une psychologue réalisant ses séances par webcam. Que l’on retrouve deux anciens acteurs de Friends est probablement un hasard, mais que les deux séries s’appuient sur une généalogie pour exister poursuit le geste de la chaîne.
Chaque genre qu’elle occupe permet de voir en Showtime un ogre télévisuel qui digère des années de production télévisuelle. Et dans le cas de Web Therapy, elle s’est tournée vers le web. Récupération, recyclage, aucun terme n’est péjoratif aux yeux de Showtime pour sortir une série dont on parlera, que l’on regardera – même si Episodes et WebTherapy demeurent de maigres réussites.
Si ce portrait par mots clés a tout du cadavre exquis, il permet de dresser des récurrences, des motifs que la chaîne a fini par accumuler au fil du temps. Consciente ou inconsciente, cette démarche met en lumière une dominante pour une idée de la série en expérience. Prendre des choses existantes, les faire évoluer ou régresser afin d’atteindre un nouvel état. Une progression quasi scientifique pour atteindre un idéal. A l’heure où Netflix, entrée dans la danse, s’impose à coup d’un algorithme maison, Showtime fait figure d’artisans avec ce côté besogneux. Une méthode qui a peut-être fait son temps, maintenant que la chaîne est à un tournant. Elle doit gérer l’après Dexter, l’après Californication (ses deux séries-fleuves), chemin qui prendra peut-être la forme d’une sagesse enfin trouvée (Masters of Sex) ou un objet post-moderne façon Penny Dreadful.