
Rien ne va plus chez les Bouley, Sauve qui peut les Lepic
Cela faisait déjà un an que les spectateurs de Fais pas ci pas ça avaient laissé les Lepic et les Bouley dans l’anarchie bon enfant qui caractérise la série depuis 2007. Pour cette septième saison de 6 épisodes seulement, ses créateurs semblent avoir trouvé leur rythme de croisière et mènent tranquillement leur barque sur le flot d’audiences constantes : un honorable 18% de part de marché mardi dernier. Pour ceux qui n’auraient pas tout suivi, le topo est on-ne-peut-plus simple : deux familles vivent à Sèvres dans des maisons mitoyennes. Dans l’une, les Lepic, famille catholique, bourgeoise et traditionnelle ; et dans l’autre, les Bouley, bobos de gauche, bien pensants et écolos. Le principe de base reste le même : raconter les déboires à la fois improbables et ordinaires de personnages en constante dichotomie. Droite vs gauche, tradis-coincés vs bobos-loufoques, stabilité vs inconstance, entreprenariat vs free lance, et ainsi de suite.
A cela s’ajoute des adolescents en questionnement (homosexualité refoulée, grossesse prématurée, premières amours difficiles) et des parents qui n’en mènent pas large non plus (difficultés professionnelles, financières, voire nutritionnelles). Si la série connaît un tel succès, au point d’être la gloire du prime time « made in France », c’est grâce à un marketing efficace, où les personnages prennent vie sur les réseaux sociaux : on peut tweeter avec Soline Lepic ou clavarder sur Facebook avec Eliott Bouley. Mais c’est surtout grâce à la simplicité de son fonctionnement : des personnages ordinaires, mis dans des situations quotidiennes, le tout avec une distance comique. Cette année, on ne change pas une équipe qui gagne, et chaque épisode est une variation autour des problèmes quotidiens des foyers de classes moyennes.
Tel est le filon de la FPC, FPC: la normalité, perturbée par les réalités socio-économiques. Et le rire. Outre-Atlantique, les scénaristes américains l’avaient compris depuis bien longtemps, l’une des clés du succès cathodique, c’est l’identification des spectateurs aux personnages, qui est ici rendue possible par l’ancrage du scénario dans un certain réalisme social – un peu mou du genou certes – mais tout de même. Car ici, tout y passe : la remise en question de la politique présidentielle, l’invasion de l’industrie française par les chinois, le mariage pour tous… Les Lepic et les Bouley forment alors un ilot de familiarité, dans les deux sens du terme, évidemment. Ils sont tous archétypaux, pas franchement malins, mais inexorablement attachants. Et leurs déboires face au frigo vide, à l’éducation des enfants et même petits enfants, ou aux fins de mois difficiles permettent au spectateur de s’identifier. Car ce dernier, alors qu’il se trouve en plein milieu de semaine, doit gérer le spleen de Noël, la fatigue, et l’hiver, ne peut qu’apprécier la simplicité réconfortante de la narration.
C’est la caractéristique principale de la série, celle d’être chaleureuse, rassurante comme un feu de cheminée. Il a beau arriver des tuiles à ces deux familles dont la vie est – il faut le dire – assez mouvementée, tout finit par revenir à la normale. Comme souvent dans les programmes de France Télévisions, on retrouve une apologie de l’ordre social. Mais justement, ici, cette formule qui avait si bien marché vole en éclat, et toutes les certitudes s’effondrent, au point que Renaud Lepic, homme de tradition, s’essaye au naturisme et au rap. Le propos de cette saison, toujours aussi jovial, mais de plus en plus caustique, se résume finalement dans le titre de son quatrième épisode : « le changement, c’est (vraiment) maintenant ». Ou presque.
En effet, la critique sociale se fait davantage sentir même si elle reste ténue. Les institutions, qu’il s’agisse du mariage, de la religion, de l’Etat, sont mises à mal d’une manière beaucoup plus brutale et explicite qu’auparavant. Les personnages secondaires — une Isabelle Nanty en nonne sérievore ou un André Manoukian en producteur musical idiot — témoignent d’un ton quasi-grinçant, et assurément hilarant. Cette nouvelle saison séduit ainsi par ce paradoxe entre les ingrédients de son succès passé (la stabilité des personnages, l’humour inchangé et la pérennité de la structure familiale) et une forme nouvelle d’impétuosité, une prise de risque dans des arcs narratifs : le divorce, la rébellion des enfants, la perte d’un emploi. C’est finalement une stratégie d’identification osée : en temps de crise, plutôt que d’insister sur une stratégie narrative d’évasion, dans un « changeons nous les idées » dérisoire, les auteurs ont ici pris le parti de faire vivre à leurs personnages de véritables épreuves et de critiquer les travers de la société contemporaine. Oui, mais en rire et en fanfare, et l’on peut parier à l’avance que le final ne sera ni larmoyant, ni tragique.
Bref, la finesse de Fais pas ci, Fais pas ça est d’arriver à faire rire du quotidien, mais c’est aussi sa limite : il s’agit avant tout d’une fiction de prime time, financée par un service public fragilisé par la crise et la concurrence. Si audace et sarcasme il y a, ils n’y sont que mesurés, et pour la franche impertinence, il faudra donc repasser. Si l’on prend un plaisir sincère à se laisser bercer par Fais pas ci fais pas ça, le plaisir sera tout aussi grand, après la diffusion des deux derniers épisodes la semaine prochaine, de passer à autre chose.
D’accord avec beaucoup d`aspects de la critique, sauf cette conclusion assez méprisante. Justement, je suis triste de voir FPCFPC être écourtée à 6 épisodes cette saison. Encore plus cette année, c’est un vrai plaisir de voir une série française grand public, ambitieuse et réussie sur ses différents tons.
J’étais aussi un peu déçue d’avoir deux épisodes en moins mais finalement après réflexion, je préfère une saison de 6 écrits et rythmés qu’une saison de 8 qui accuse des lenteurs et des passages à vide. Il y a tellement de séries qui devraient avoir un peu plus d’autodiscipline, que pour une fois on ne va pas trop faire la fine bouche 🙂
Il nous reste le dernier épisode à regarder (merci Pluzz) mais j’ai, comme d’habitude, trouvé cette série encore très réussie cette année… 🙂