Rom’ Com’ au poil (critique de Ted, de Seth MacFarlane)

Rom’ Com’ au poil (critique de Ted, de Seth MacFarlane)

Personne n’a vu venir Ted : sorti le 29 juin aux Etats-Unis, le petit ours mal léché a déjà franchi la barre des 395 millions de dollars de recettes mondiales. Alors même qu’il n’est pas encore exploité chez nous, le film a cartonné aussi bien aux States qu’au Royaume-Uni, où il a éclipsé The Dark Knight Rises dés son premier week-end de sortie. Pas mal pour une fausse rom’ com’ dissimulant sous son décadent concept un bijou de geek-movie classé R, aux dialogues blindés de « fuck » et de « shit », braquage sans scrupule d’une figure séminale de l’univers enfantin. Laquelle ressort grandie de ce traitement de choc jubilatoire, tellement plus rafraîchissant qu’une énième niaiserie émasculée auquel le pitch de Ted aurait pu se prêter.

Un peu à l’image de celui qui ouvre le film (la transformation de la peluche Ted en être vivant doué de parole), c’est donc un joli petit miracle que vient d’accomplir Seth McFarlane. Mû par un monstrueux culot, le créateur de la série animée Les Griffin réussit une périlleuse suspension d’incrédulité en donnant vie, dans un film live, à un ours en peluche transformé en homologue d’Howard The Duck en plus trash. Certes, McFarlane peut compter sur la crème des technologies numériques (je vous épargne le détail, j’y entrave queue de chie) pour recréer en CGI un joujou poilu qui parle, picole, fume et tâte les nénés des bimbos dans une interaction totalement bluffante avec son environnement.

Mais l’exploit technique, aussi crucial soit-il, n’empêcherait pas toute cette entreprise de sombrer dans le grotesque sans les authentiques qualités d’écriture et de mise en scène de ce film hautement casse gueule. Joué au quart de poil par McFarlane, en performance capture et voix off, Ted débite non seulement des répliques vachardes à pleurer de rire mais aussi incarne une palette d’émotions d’une incroyable richesse et surtout, son personnage ne se résume pas juste à un guignol en fourrure. Ted, c’est notre part d’adulescence à tous, le symbole de tous les doudous culturels ou comportementaux qui disent « merde » au temps qui passe, l’incarnation d’une trouille typiquement masculine de la vie d’adulte et ses responsabilités à assumer, particulièrement pour les rejetons de la génération Star Wars.

Derrière la rom’ com’ (le sort du couple John/Lori), derrière les gags pipi-caca-sperme (et quasiment tous hilarants, loin de la beauferie minable des Very Bad Trip), Ted cache ainsi la quintessence d’une jolie fable qui touchera en plein cœur geeks et grand public : une avalanche de références cultes génialement brassées, articulées au récit d’une aventure au terme de laquelle le héros (John) deviendra un homme. Ce « coming of age » inévitable doit-il se faire nécessairement au prix du deuil de notre enfance – précisément ici, John devra-t-il couper les ponts avec Ted pour sauver son couple avec Lori ? Un critique du Guardian a par ailleurs très justement souligné la lecture freudienne cristalline du trio Ted-John-Lori : à Ted le rôle du « ça » (berceau des pulsions primitives dans l’inconscient), Lori celui du surmoi (les normes et interdits issus de l’éducation familiale) et John celui du moi qui se débat comme il peut entre les deux.

Foin de dissection oiseuse et retenons avant tout une comédie ricaine qui, hormis quelques pains de rythme, tient remarquablement la route étroite qu’elle emprunte au-dessus du vide. En fait, dés le prologue, situé en 1985 et bercé façon conte disneyen par la voix off de Patrick Stewart, on sent bien que la partie est gagnée. En plein zoom satellite sur un paisible quartier résidentiel enneigé, Stewart nous explique que le passe temps favori des gosses de Boston durant les fêtes consiste à tabasser les petits juifs du coin : forcément, on rit. Lorsque John le solitaire demande au groupe de cogneurs s’il peut se joindre à eux et que les gamins, y compris leur victime à terre, lui répondent en chœur de dégager, Ted s’impose définitivement en comédie griffée, pas un produit estival mollement soldé par le studio… La pirouette finale hilarante du monologue de Stewart et tout le reste du film sont à l’avenant, à commencer par ce désopilant générique narratif à base de polaroïds et vidéos relatant l’amitié indéfectible de Ted et John au fil des ans, en parallèle avec la gloire nationale puis la déchéance de Ted et sa retombée dans l’anonymat.

Entre gags visuels ou dialogues bien sentis, McFarlane décline avec une tendresse évidente tous les clins d’oeils possibles à la pop culture qui l’a nourri, des classiques (E.T, Star Wars, Indiana Jones, Jurassic Park, Airplane…) au nanars eighties cultes (Octopussy et surtout, surtout, un IMMENSE trip autour du Flash Gordon de Mike Hodges) en passant par You Tube et les talk shows de son enfance… L’humour « méta », dans la justesse de son exploitation, évoque souvent Community, série à laquelle Ted emprunte d’ailleurs son héros Joel McHale en second couteau hilarant. Même le recyclage de guest stars dans leur propre rôle, ficelle éculée pour comédies feignasses, évite ici le lourdingue et Norah Jones, Tom Skerrit ou encore Sam Jones (colossal !!!) ressortent grandis de leur cameo. Enfin, non content d’assurer une mise en scène alerte et inventive, Mc Farlane a su tirer le meilleur de ses acteurs : d’un Wahlberg étonnamment à l’aise dans sa partition à Mila Kunis via Giovanni Ribisi dans un énième rôle de désaxé, pas une seule fausse note. Même la courte panouille muette de Ryan Reynolds (son meilleur rôle à ce jour) fonctionne du feu de Dieu.

Bref, malgré quelques scories vénielles, Ted s’impose aisément comme LA comédie référentielle de l’année et un film culte en devenir. Une jolie déclaration d’amour à l’imaginaire, tendrement moqueuse comme pouvait l’être le précurseur Galaxy Quest, ainsi qu’un film qui pète parfois, certes, mais jamais plus haut que son cul. Faites un gros calin à Ted en salles : vous allez rire, sourire, trembler lors d’un final à la Joel Silver et même peut-être , qui sait, retenir une micro larmichette comme dans Pinocchio. En gros, vous ne le regretterez pas.

 

TED, de Seth MacFarlane. Sortie nationale le 10 octobre (1h47).

 

Partager