
ROUGE PROFOND : CRITIQUE DE LA PLANETE DES VAMPIRES
Sur une planète déserte, des astronautes affrontent une puissance mystérieuse. Une symphonie de rouge et de bleu, chorégraphiée par le maestro de la lumière, Mario Bava. Retour sur un classique à l’occasion de sa sortie récente en salles, dans une splendide version restaurée.
La Planète des vampires ! Pendant des années, j’ai fantasmé sur ce titre plein de promesses (c’est quand même plus troublant que Terrore nello spazio, soit « Terreur dans l’espace »). Puis, j’ai découvert le seul film de SF de Mario Bava sur une vieille VHS aux couleurs délavées. C’était cheap, (un peu) kitsch, une série B plombée par des acteurs qui grimacent comme dans un film muet, des fusées en plastique et un environnement lunaire en papier crépon. Et pas la canine d’un vampire !
Dans l’espace où personne ne vous entend hurler, deux vaisseaux spatiaux se dirigent vers une planète d’où provient un étrange signal. Bientôt, l’équipage est saisi d’une rage meurtrière, mais l’hiératique capitaine Mark empêche le carnage à grands coups de torgnoles dans la gueule et de mouvements de karaté peu conventionnels. Sur la planète, les rescapés découvrent bientôt que les membres du second vaisseau se sont entretués. Un ennemi invisible rôde et prend bientôt possession des cadavres…
Cinquante ans après sa sortie, La Planète des vampires revient nous faire un petit coucou, après un passage à Cannes et avec la bénédiction/réévaluation de Saint Nicolas Winding Refn, bien décidé à virer Quentin Tarantino de son trône d’Empereur du Cool. Et c’est une très bonne nouvelle, car cette sublime version restaurée rend enfin hommage au génie de Mario Bava, grand inventeur de formes et maître de la lumière. Dans une symphonie de bleu et de rouge, les personnages semblent en apesanteur, ils flottent dans un tableau psychédélique assez ahurissant, pas si loin des visions de Kubrick à la fin de 2001. Mario Bava, peut-être à cause de son budget de 25 centimes (un bout d’aspirateur est transformé en… couloir de vaisseau, véridique !), semble se désintéresser de l’intrigue, de la narration traditionnelle et abandonne même ses personnages qu’il tue un par un. Véritable poète, ce chef opérateur de génie (qui avait voulu être peintre) ne s’intéresse qu’à la forme. Il cisèle la plastique, sculpte la lumière d’une façon baroque, il éclaire des rochers de l’intérieur, fait de la couleur un personnage à part entière. Car la lumière, c’est toute la vie de Mario Bava.
Éjaculations de rouge et de bleu électrique
Il débute comme chef opérateur en 1939, travaille pour Roberto Rossellini, G. W. Pabst, Dino Risi, Raoul Walsh, s’occupe des effets spéciaux (sa passion) des Vampires (1956) et boucle le film en deux jours après le départ du réalisateur, Riccardo Freda. Dans Le Masque du démon, premier film pour lequel il est crédité comme réalisateur, il sculpte les ténèbres avec un noir et blanc gothique. Avec Six femmes pour l’assassin (1964), il jette les fondations de l’épouvante transalpine : le thriller est définitivement rouge, le tueur, ganté, masqué, fétichiste, habillé de cuir ; les victimes sont belles et froides, les crimes sont raffinés, sanglants, filmés avec un luxe de détails dans des éclairages outranciers et exécutés au rasoir, à la scie circulaire, à la hache… C’est Dario Argento qui lui dit merci ! Pour faire court, Bava a inventé le cinéma gothique italien, le giallo puis le splatter avec La Baie sanglante. Pas mal pour un seul homme ! Et avec à chaque fois, une intrigue moins importante que la mise en scène et l’esthète laisse libre cours à un délire visuel inédit, ponctué d’éjaculations de rouge sang et de bleu électrique. Que cela soit avec Danger : Diabolik !, un film de Vikings, une variation gore de Dix petits nègres ou même Shock, son dernier film, Mario Bava restera un inventeur de mondes purement mentaux baignés de couleurs irréalistes, un génie de l’image en fusion, un poète de l’hémoglobine pour qui le cinéma n’est que mise en scène, artifice.
Vous l’aurez donc compris, le scénario n’est pas le point fort de cette Planète des vampires, mais il révèle son lot de bonnes surprises. Sous influence de La Chose d’un autre monde et de Body Snatchers, le film – qui distille une sourde terreur – a servi de matrice à Alien avec les idées du signal extraterrestre qui attire les vaisseaux spatiaux et du squelette d’extraterrestre géant. Hallucinant !
Revoir La Planète des vampires en 2016 est une expérience hypnotique. Avec cette couleur restaurée, la musique envoûtante, la magie opère. J’avais l’impression pendant la projection d’avoir à nouveau dix ans, d’être propulsé dans un cinéma de quartier de mon enfance (Le Familia, Le Chartreux, Le Voltaire) et de décoller. Voilà, malgré les scories, mais grâce à de somptueux costumes cuir/latex (Hello Trinity !) d’Italiennes pulpeuses, ultra-bandantes, entre maîtresses dominatrix et bikers, Bava te propulse dans un ailleurs, un autre espace-temps. Le pays du rêve, le pays du cinéma, peut-être…
La Planète des vampires de Mario Bava (1 h 26). Avec Barry Sullivan, Norma Bengell, Angel Aranda, Evi Marandi.
En salles depuis le 6 juillet 2016, en version restaurée 4K (Bac films).