
Salut Nounou (Servant S1 / Apple TV+)
Dans le tumulte des premières séries Apple TV en novembre 2019, on a eu droit à une accroche sorkinienne et un casting quatre étoiles (The Morning Show), à un Aquaman aveugle en peau de bêtes (See) et une course lunaire en mode Guerre Froide uchronique (For All Mankind). Une fois cette première salve passée, la hype descendue, une petite dernière a débarqué quelques semaines plus tard, chapeautée par Tony Basgallop et produite par M. Night Shyamalan: Servant.
Si Tony Basgallop s’est illustré dans le domaine des séries par l’écriture de productions britanniques comme To the Ends of the Earth avec Benedict Cumberbatch, il est surtout connu pour être le créateur de la série Hôtel Babylon. Quant à M. Night Shyamalan, inutile de le présenter en détail: Sixième Sens, Incassable ou tout récemment Split et Glass, le bonhomme est célèbre pour ses œuvres de cinéma, même s’il n’a jamais caché son intérêt pour le format télévisuel en lançant avec peu de succès la série Wayward Pines. Et lorsque l’on regarde les premières images de Servant, la patte de Shyamalan est évidente, reprenant l’esthétique et l’ambiance de ses films les plus marqués par le thriller à suspense. Il n’est pas étonnant que l’on retrouve le monsieur à la réalisation des épisodes 1 et 9, une manière de poser les bases d’une série reposant principalement sur son mystère et son ambiance.
Et si l’on se demande pourquoi Shyamalan est associé à ce projet de série, le pitch balaie toutes nos interrogations tant il rentre dans ses thématiques les plus chères. Servant raconte les mésaventures d’un riche couple new-yorkais dont le nouveau-né est malheureusement décédé il y a peu de temps. La mère, Dorothy Turner (Lauren Ambrose), n’arrive pas faire le deuil et son mari Sean (Toby Kebbell) investit dans un poupon pour l’aider à passer cette épreuve. Mais Dorothy perd de vue la réalité et continue de croire que cette poupée est bien son enfant encore vivant. Elle finit par engager une nourrice pour s’occuper de son « bébé » pendant qu’elle reprend le travail, sous l’œil désemparé de Sean. Sauf que cette nourrice en question s’avère bien plus mystérieuse qu’il n’y paraît. Une histoire intrigante, très prometteuse, qui subit des accusations de plagiat de la part de la réalisatrice d’un film, La Vérité sur Emmanuel. Elle accuse M. Night Shyamalan de lui avoir volé son oeuvre en lançant sur une grosse plate-forme de streaming une série reprenant point par point le scénario de son oeuvre. Et quand on compare les deux projets, on se pose effectivement la question.
Problèmes juridiques mis à part, le pilote parvient sans mal à plonger le spectateur dans une angoisse persistante. Cadres serrés, esthétique froide et léchée, mise en scène inspirée, Servant commence sous les meilleures auspices, d’autant plus que la série choisit un format 30 minutes qui lui réussit très bien. Dans une époque où les épisodes tutoient l’heure de durée quitte à rallonger la sauce, Servant préfère l’efficacité de son script pour miser sur une atmosphère pesante qui ne laisse aucun répit. Le casting limité laisse peu de place aux personnages secondaires et évite de se disperser, surtout avec une distribution de cette qualité. Quel plaisir de revoir Lauren Ambrose, révélée chez Six Feet Under, excellente en mère désespérée, et Nell Tiger Free, qui incarne la jeune nourrice Leanne, parvient à restituer avec brio un mélange d’innocence et de perversité qui se dévoile au fil des épisodes. Chez les hommes, Toby Kebbell se révèle parfait en mari dépassé par les événements, et Rupert Grint, le fameux Ron de la saga Harry Potter, se glisse à merveille dans le rôle du frangin protecteur un peu trop portée sur la boisson. On notera aussi l’excellent Boris McGiver dans un rôle secondaire, parfait représentant du caractère dérangeant de la série.
Si Servant fonctionne aussi bien à court terme, c’est dans sa capacité de déjouer constamment les attentes du spectateur, relançant les doutes sur ce qu’il est en train de voir. Y a-t-il vraiment un aspect fantastique ? Qui est cette mystérieuse Leanne ? Que s’est-il réellement passé avec le bébé du couple Turner ? On en vient à douter de ce qui nous est montré à l’écran, attendant chaque seconde qu’un twist si cher à Shyamalan nous saute à la figure. La série le sait et joue constamment avec nos interrogations, entretenant un malaise permanent dans sa réalisation. La caméra multiplie les cadres étouffants, jouant avec la perpendicularité de la maison, sur les apparitions surprises de Leanne ou les recettes de cuisines toujours plus cringe de Sean (difficile de manger innocemment des choux à la crème après ça). Mais c’est surtout dans sa volonté d’enfermer le spectateur à l’intérieur de cette maison que Servant arrive à conserver un aspect atypique.
Mis à part quelques scènes extérieures autour du pâté de maisons, Servant se déroule intégralement dans la maison des Turner. Le point de vue de la série devient celle de la maison, véritable témoin des événements et les artifices pour nous contraindre à rester dans ce lieu sont multiples. Que ce soit des appels en Facetime lorsque le couple est en déplacement ou bien les reportages télés de Dorothy quand elle est à son travail, Servant rappelle constamment qu’il n’y a pas d’échappatoire possible. Le spectateur est tellement confiné dans cette étrange baraque qu’il finit par connaître les pièces par cœur, que ce soit la cave à vin humide, la chambre de Leanne ou encore la salle à manger, théâtre de dîners généralement agrémentés de bouteilles de vins et de discussions gênantes. C’est grâce à cette ambiance que Servant touche sa thématique du bout des doigts: comment un couple tente de sauver les apparences alors même qu’il lui reste tout à reconstruire, alors même que tout autour d’eux leur rappelle le drame qui hante les lieux ?
Si chaque épisode parvient à capter facilement le spectateur, la série peine un peu à satisfaire sur la longueur. On sait qu’une saison 2 est d’ores et déjà commandée, mais difficile de ne pas éprouver de la frustration arrivé au bout de cette fournée. Si certains points sont éclaircis et que l’on discerne un peu mieux là où la série veut nous emmener, il manque un élément conclusif à cette première saison. Servant a clairement été pensé pour être découpée en plusieurs saisons, mais il est dommage de ne pas trouver un minimum de satisfaction sur le dernier segment, perçu comme un épisode classique et non un Season Finale.
Alors que le voyage était franchement plaisant, imprégné par la silencieuse douleur des Turner, la fin de cette saison n’est qu’une étape parmi les autres au lieu d’être un marqueur important dans l’histoire. La direction de la série et son ambition ne sont pas complètement claires, même si les thématiques se détachent clairement, et il faudra donc attendre la suite pour véritablement se prononcer sur l’orientation finale de Servant. En attendant, la qualité visuelle de la série, le casting impeccable et le format 30 minutes font de Servant une très jolie surprise facile à suivre, qui pourra accoucher d’une véritable pépite si les saisons suivantes sont du même acabit, la frustration en moins. On l’espère sincèrement.
SERVANT (Apple TV+) 10 épisodes disponibles en France sur Apple TV+
Série créée par Tony Basgallop
Épisodes écrits par Tony Basgallop
Épisodes réalisées par M. Night Shyamalan, Nimrod Antal, Alexis Ostrander, Daniel Sackheim, Lisa Brühlmann, John Dahl
Avec Lauren Ambrose, Toby Kebbell, Nell Tiger Free, Rupert Grint, Mason et Julius Belford, Philip James Brannon, Tony Revolori, S.J Son, Jerrika Hinton…