
Scandale : harcèlement, mensonges et Fox News
En 2016, la présentatrice vedette de Fox News porte plainte pour harcèlement sexuel contre son tout-puissant patron, Roger Ailes. Avec les impériales Nicole Kidman, Charlize Theron et Margot Robbie dans ce film étendard de l’ère #MeToo.
Dans l’Amérique de Donald Trump, les cinéastes de comédie n’ont plus le cœur à rire. Réalisateur de Very Bad Trip,Todd Phillips signe Joker, le film le plus désespéré de 2019, brûlot politique et qui prophétise les luttes sociales qui éclatent partout dans le monde. Avec Vice, Adam McKay révèle sur 40 années les coups tordus de Dick Cheney, vice-président toxique de George W. Bush qui a déstabilisé le monde pour encore de longues décennies. Et c’est au tour de Jay Roach, le papa d’Austin Powers (« Yeaaaah baby ») de mettre quelques clous dans le cercueil avec Scandale, qui lève le voile sur les coulisses peu ragoûtantes de Fox News, chaîne d’infos la plus regardée des Etats-Unis, aux positions politiques réactionnaires.
Nous sommes en 2016. En pleine campagne présidentielle qui va voir l’élection de Trump, une bombe à fragmentation explose soudain. Evincée, une star de la chaîne en mal d’audience, Gretchen Carlson, incarnée par Nicole Kidman, va traîner son PDG, Roger Ailes, devant la justice pour harcèlement sexuel. Conseiller de Nixon, de Regan et de Bush, Ailes est un manipulateur toxique, un idéologue qui utilise SA chaîne pour propager ses idées extrêmes contre l’islam, les élites et les immigrés, ainsi que les théories du complot à l’égard des démocrates, les Clinton et Barack Obama en tête. Mais surtout, l’onctueux vieillard Roger Ailes n’aime rien tant que « tester » ses présentatrices et pratiquer le droit de cuissage, enfermé à triple tour dans son bureau du deuxième étage…
Tourné comme un thriller, le film – intense et ravageur – est une peinture à l’acide de l’Amérique de Trump, un scud qui fonce à 200 à l’heure. Une charge explosive contre une chaîne qui désinforme 24h / 24h avec des fake news et donne du temps de cerveau disponible aux publicitaires (©TF1). Comme l’assure une assistante : « Demande-toi ce qui effraierait ma grand-mère ou énerverait mon grand-père et tu as un sujet Fox. » Une chaîne misogyne qui transforme les femmes en robots, en mutantes. D’ailleurs, toutes les présentatrices se ressemblent, blondes, longilignes, en jupes courtes et talons hauts, souvent botoxées (Charlize Theron s’est fait la tête de son modèle et elle est effrayante). Mais Jay Roach ne fait pas dans l’angélisme et refuse d’opposer les gentilles présentatrices au méchant Roger Ailes. Les personnages sont complexes, supérieurement écrits, avec leurs parts d’ombre, et une partie du suspense réside dans le fait de savoir si certaines femmes qui ont accepté la promotion canapé contre un poste en haut de la chaîne alimentaire vont parvenir à témoigner.
Scandale est donc une vraie réussite, notamment grâce à l’abattage de John Lithgow, un Ailes onctueux et dégueulasse, Nicole Kidman, Charlize Theron et Margot Robbie. L’actrice de Harley Quinn et du dernier Tarantino propulse le film dans une autre dimension lors d’une séquence d’anthologie. Pour obtenir enfin un poste d’animatrice, cette Républicaine biberonnée à Fox News doit remonter sa jupe devant Robert Ailes, placide, qui se régale en demandant de mater toujours un peu plus. Avec cette scène insupportable, Roach tape dans le mille et donne à voir l’humiliation de toutes les femmes depuis des siècles de domination masculine. C’est d’ores et déjà la séquence la plus puissante de l’ère #MeToo, dans ce film qui accompagne une société en train de se métamorphoser encore trop lentement.
Scandale
Réalisé par Jay Roach
Avec Nicole Kidman, Charlize Theron et Margot Robbie
En salles le 24 janvier 2020
Marc Godin : « C’est d’ores et déjà la séquence la plus puissante de l’ère #MeToo, dans ce film qui accompagne une société en train de se métamorphoser encore trop lentement. »
Il est, hélas, bien là le péché du cinéma contemporain : suivre le courant dominant. Le cinéma (ou la télé) n’a jamais été aussi mauvais que lorsqu’il suivait la tendance du moment ou qu’il allait quémander son certificat de bonne conduite en bonne et due forme et en particulier sur des sujets aussi sérieux. Cette subite « révolution » (sic) passera aussi vite qu’elle est venue. Il en restera bien peu de choses et il est fort probable qu’elle ne soit paradoxalement guère favorable aux femmes, dans le long terme, travaillant dans le cinéma ou la télévision.
Et puis, une autre question peut légitimement se poser : est-ce que franchement tout cela méritait un film ?
Oui ça méritait un film, comme tout sujet de société majeur. Le fait que celui-ci vous dérange indique que la question reste gênante et qu’on en a vraisemblablement pas encore fait le tour.
Mais je fais probablement un procès d’intention, veuillez m’excuser.
Philip a écrit :
Cette subite « révolution » (sic) passera aussi vite qu’elle est venue. Il en restera bien peu de choses et il est fort probable qu’elle ne soit paradoxalement guère favorable aux femmes, dans le long terme, travaillant dans le cinéma ou la télévision.
Et puis, une autre question peut légitimement se poser : est-ce que franchement tout cela méritait un film ?//
Quand on affirme ce genre de chose en parlant dont ne sait où et qu’on finit par ce genre de question, c’est qu’on fait parti du problème.