Scandinavrant (Ragnarök / Netflix)

Scandinavrant (Ragnarök / Netflix)

Note de l'auteur

Remâchage superficiel de la mythologie nordique, noyé dans d’abrutissants non-événements de vie lycéenne et d’hormones qui bouillonnent : voici Ragnarök, une belle occasion manquée.

Après plusieurs années d’absence, Magne, son frère Laurits et leur mère Turid reviennent dans la petite ville d’Edda, en Norvège. Turid doit prendre son nouveau poste au sein de l’entreprise de la riche famille Jutul. En arrivant à Edda, Magne rencontre une vieille femme qui le regarde intensément et lui touche le front, ce qui provoque un changement dans les yeux de l’adolescent.

Si l’action se passe en Norvège, la production est danoise – une dimension apparemment soulignée par les critiques norvégiens pour justifier en parie la piètre qualité de l’œuvre. Il faut dire que les Danois de SAM Productions envoient du lourd, avec la finesse de Thor balançant Mjöllnir dans un pare-brise.

Au-delà du titre de la série bien sûr, le nom de la bourgade dit tout : Edda, littéralement « grand-mère, bisaïeule », désigne deux ouvrages fondamentaux de la culture nordique. L’Edda de l’Islandais Snorri Sturluson, est un manuel d’initiation à la mythologie nordique, tandis que l’Edda poétique, comme son nom l’indique, comprend une série de grands poèmes sacrés et héroïques. Donner à la ville le nom d’Edda, c’est affirmer d’emblée que non, il ne s’agira pas ici de suivre un jeu de pistes ou de résoudre une énigme complexe. Pas de vrai mystère à attendre, pas de sous-entendu à décoder.

L’idée est de coller aux basques de Magne dans sa réalisation qu’il est une réincarnation du dieu Thor. La phrase qui précède ne contient pas de spoiler. Et un niveau basique de connaissance de la mythologie nordique suffit, en principe, à démêler l’écheveau (tout relatif) de Ragnarök. Mis à part un léger twist sur l’identité des dieux vs les géants, la surprise n’est pas de mise.

Des ados mal dans leur peau (c) Netflix

Les scénaristes se sont davantage attachés à décrire l’émergence d’une conscience adolescente. Magne-le-marginal rencontre Isolde-l’ecowarrior, peu de temps avant que celle-ci ne meure dans des circonstances troubles. Un parallèle passablement appuyé est établi entre la survivance des anciennes croyances, des anciens dieux et autres créatures fantastiques, avec leur mainmise discrète sur l’économie et la vie de ce petit bout septentrional de Terre (et pourquoi pas sur le reste du monde ? pourquoi se contenter d’Edda, ses maisons en bois et son glacier qui se fait la malle ?), d’une part, et d’autre part la lente et raisonnée dégradation de l’environnement.

Une fois cette proposition posée, on n’en sortira plus guère. Tout est évident très tôt dans la saison. Les scènes de lycée sont interminables et la plupart du temps interchangeables ; les personnages évoluent peu, font du surplace, s’opposent sans jamais s’affronter. Tout ça hésite, avance pour mieux reculer, part sur une piste avant de sauter sur une autre. Les scénaristes confondent source d’étonnement et comportement inexpliqué, comme lorsque Laurits-Loki (encore une fois, pas un spoiler) se déguise en directrice du lycée pour délivrer le discours de fin d’année.

L’ennui est parfaitement incarné par Magne, interprété par David Stakston, qui traîne sa tête de rien, sa bouche entrouverte et ses yeux vides, ses atermoiements tièdes, ses interrogations vite avortées, ses expérimentations au hasard durant six longs épisodes de 45 minutes en moyenne, soit 270 minutes, soit 4 heures et demie de votre vie qui ne reviendront pas. On passera sur les actions peu crédibles, les événements téléphonés, le fait que la famille Jutul ait pu traverser les âges avec les mêmes tronches sans que personne, depuis l’invention de la photographie, des archives et de la presse, ne s’en soit rendu compte.

Voici le type même de saison qui se termine là où on aurait dû se trouver au 3e épisode, mettons. Cet affrontement violent qui clôt la S1 s’est trop fait attendre : à ce moment du jeu, on se moque de sa résolution. Les scénaristes ont fait trop de promesses a priori, avant de repousser inlassablement leur réalisation. On revient, comme souvent, à la question de la promesse : Ragnarök promettait un retour de Thor dans un corps d’ado inconscient de sa nature divine, l’éclatement d’une guerre marquant la fin des temps, des dieux et des géants, et on ne reçoit qu’un discours entendu et rabâché sur la pollution et le mensonge.

Vidar, chef du clan Jutul, et Magne (c) Netflix

Hors des vues sur les paysages superbes – on dirait une séquence de Des racines et des ailes sur la Norvège, ses chutes d’eau, ses glaciers, ses lacs scintillants et ses montagnes – on ne plonge guère dans une culture pourtant d’une richesse incroyable. La mythologie n’est qu’un vague prétexte à se complaire dans les relations entre ados. Et même là, on sort rarement du lieu commun. Sans parler de toutes les références possibles aux comics, le trio Lee-Lieber-Kirby ayant dès les années 60, pour Marvel, revisité le personnage de Thor en lui adjoignant un alter-ego humain physiquement déficient.

La caverne cachée pleine de fûts empoisonnés évoque trop l’allemande Dark pour être honnête. À choisir, cette dernière – du moins, sa saison 1, la suivante se perdant quelque peu dans ses propres méandres – lui est, et de loin, supérieure. Peut-être la seconde saison de Ragnarök sauvera-t-elle la sauce, mais il est permis d’en douter.

Ragnarök (Netflix) Saison 1 en 6 épisodes
diffusés sur Netflix le 31 janvier 2020
Série créée par Adam Price
Épisodes écrits par Adam Price, Simen Alsvik, Marietta von Hausswolff von Baumgarten, Christian Gamst Miller-Harris et Jacob Katz Hansen
Et réalisés par Mogens Hagedorn et Jannik Johansen
Avec David Stakston, Jonas Strand Gravli, Herman Tømmeraas, Theresa Frostad Eggesbø, Emma Bones, Henriette Steenstrup, etc.

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