
Scary Serie (critique des deux premiers épisodes de Scream Queens)
Scream Queens a débuté la semaine dernière sur FOX. Menée par le trio Ryan Murphy, Brad Falchuk et Ian Brennan, la série pourrait se résumer par La Revanche d’une blonde pendant Halloween. Un tueur masqué, un campus, une sororité, les ingrédients sont connus mais le chef Murphy n’a pas son pareil pour les assemblages contre nature et les (dé)goûts atypiques.
Ryan Murphy. Un nom qui inspire des émotions contradictoires. Ses séries provoquent, fascinent, révulsent et exercent des forces opposées d’où jaillit un chaos insubmersible. Regarder une série de Ryan Murphy, c’est accepter de monter dans un manège à sensation sans ceinture de sécurité ; d’être pris au piège d’une machination perverse où l’auteur nous donne ce que l’on est venu chercher, tout en y ajoutant une touche bien personnelle nous rendant presque coupable de complicité. La méthode employée : l’absence de limite. Murphy ne se refuse rien. Comme un enfant un peu capricieux, il résonne selon un principe très simple : si c’est interdit, faisons-le !
Le projet Scream Queens pouvait susciter quelques interrogations. La série horrifique, le trio Murphy–Falchuk–Brennan, l’exposait sous toutes ses coutures dans leur anthologie American Horror Story. Chaque saison explore un genre, de la maison hantée à l’asile, du cirque itinérant au couvent ; une recomposition où le postmodernisme partage l’affiche avec la révérence clinique. L’horreur ainsi (re)visitée sous le scalpel de Murphy apparaît dans tout son dépouillement, au point parfois (souvent), d’assembler les couches de façon grossière et compulsive. La chaîne câblée FX sert d’écrin à la série de toutes les perversions, où le trio déviant peut exercer, avec beaucoup de liberté, leur art monstrueux. Avec une diffusion sur FOX, nous savons que les auteurs seront bridés. La question était de savoir si ces restrictions allaient être un frein ou une pulsion inspiratrice.
Ryan Murphy a plus ou moins répondu à la question quand est soulevée l’origine de la série. Scream Queens fut pensée en réaction aux commentaires trouvant American Horror Story trop dérangeante. L’auteur use donc de la comédie pour dédramatiser l’horreur et satisfaire une audience qui cherche le frisson sans la flippe. Et comme nous le soulignions un peu plus haut, Murphy ne va pas se contenter d’assouvir les désirs de son public.
En nommant ainsi leur nouvelle série, le trio d’auteurs ne cache pas son inspiration : les slashers de la fin des années 1980. Il est peut-être bon de rappeler que l’expression « scream queen » désignait les actrices devenues égéries du genre horrifique à force d’aligner les rôles de demoiselles en détresse poursuivies par un tueur. Et il n’est certainement pas innocent de retrouver Jamie Lee Curtis, celle qui fut Laurie Strode dans la saga Halloween. La série célèbre une figure symbolique, qu’elle ne cherche pas à théoriser mais à exploiter. Et le pluriel ne cache pas les intentions anthologiques, même si les auteurs révèlent qu’il régnera une continuité entre les saisons, où les survivants reviendront dans un nouvel endroit, théâtre d’un nouveau drame.
L’histoire prend place dans un campus américain, le cadre parfait pour une boucherie où l’étudiant constitue la matière première. La série exploite l’univers bien particulier des sororités, dont elle cherche à dépeindre le fonctionnement, les vices, comme reflet d’une société américaine défaillante, immorale et avide. Passée par le hachoir Murphy, la charge critique perd de sa saveur et l’ensemble sonne davantage comme une blague potache qu’une dénonciation noble. Seulement dans cet univers excessif où l’apparence est une arme et le succès la récompense, Ryan Murphy s’acoquine de référents délicieux qui ont également traité du thème dans une version comique. La descente de l’escalier de Channel (présidente de Kappa Kappa Tau), accueillie par sa cour toute dédiée à sa cause nous rappellera celle d’Elle Woods (Reese Witherspoon) dans La Revanche d’une blonde. Il y a, chez ces deux personnages, un même rapport étrange à la réalité, l’impression de vivre dans une bulle hermétique… jusqu’à ce que l’on se souvienne que c’est Ryan Murphy aux commandes et que Channel vomit quelques punch lines politiquement incorrectes.
Ce goût pour l’irrévérence, la provocation, l’excès, suinte par tous les pores du pilote. Murphy ne laisse aucun répit aux spectateurs. Nous subissons un torrent d’images et de mots à un rythme quasi inhumain. Une hystérie cocaïnée dont l’incroyable profusion ne cache pas une certaine vacuité ; où tous les personnages sont des poupées dont on devine les fils qui les actionnent. Et cette soudaine facticité est la porte de secours du trio d’auteurs. Par son traitement extrême, la série ne cherche pas à montrer notre réalité. Cette pratique devient un prétexte ou une excuse pour balancer les pires horreurs, les pires personnages dans un ensemble où les notions d’équilibre ne sont jamais respectées.
Pour entrer dans cet univers tourmenté, Murphy-Falchuk-Brennan ne nous facilitent pas la tâche. Jamais le pilote ne cherche à envoyer une invitation. Elle nous pousse, nous force à garder les yeux ouverts tout en alignant les situations absurdes et personnages détestables. Pas une prise d’otage, peut-être une déclaration de force pour nous montrer le degré surréaliste de la série. Se bousculent des logorrhées d’une bêtise crasse, un montage chaotique dans lequel surnagent des moments de pur génie (la discussion par sms entre le tueur et sa victime, la tondeuse à gazon). A travers ses séquences euphorisantes, les auteurs assimilent comédie et horreur afin de créer un genre hybride (dans un style différent d’Evil Dead ou Braindead). Cette absence de sérieux conjuguée aux effusions écarlates justifient le caractère insolent et jouent un joker dans une partie où le métadiscours semblait être l’unique atout (à tort quand on voit l’échec que fut Scream, la série).
Scream Queens est une série pop déviante. Un jeu de massacre dont on souhaite que personne n’en sorte vivant. En multipliant les personnages creux ou ignobles, purs représentations satiriques mais non dénuées d’une certaine vérité, le dernier rejeton de l’esprit tordu de Ryan Murphy affiche une forme de misanthropie qui nous pousserait presque à choisir le camp du tueur en costume de diable. L’auteur l’a annoncé à ses actrices et acteurs : à la façon des Dix petits nègres, il y aura une mort importante par épisode (une option répandue dans les dernières tentatives de mêler slasher et séries : Scream, Harper’s Island), personne n’est à l’abri.
Le sale gosse de la télévision a encore frappé. Il a ainsi enrobé son slasher acidulé d’une bonne couche de gras et de sucre. C’est un peu lourd à digérer. Certains ingrédients s’entrechoquent plus qu’ils ne s’assemblent et pourtant persiste un effet addictif évident. Murphy maîtrise la poésie du mauvais goût, la grâce pachydermique, la subtilité grossière et l’équilibre précaire. Il y a un côté drogue dure dans Scream Queens : on sait que c’est dangereux mais on éprouve le besoin d’y succomber. Seule ombre au tableau, la capacité régulière de l’auteur à provoquer l’overdose en une poignée d’épisodes, comme victime d’enthousiasme à ne jamais freiner pour préserver ses forces (même si le second épisode baisse un peu le rythme). On ne sait pas encore combien de temps les auteurs, comme nous, allons tenir. Jusque là, nous acceptons de prendre notre shoot hebdomadaire et sommes conscients des risques encourus.