
On A Fait Le Tri des Albums – Premier Trimestre 2015
Nos Martiens mélomanes ont écouté beaucoup d’albums dans leur coin pendant le premier trimestre de cette nouvelle année. Trois d’entre eux ont réuni le plus digne d’intérêt dans cette première édition de On A Fait Le Tri.
Le tri d’Owen Le Faucheux
MARILYN MANSON The Pale Emperor Je n’avais suivi la carrière de Marilyn Manson jusqu’ici plutôt distraite. Je ne me sentais pas trop concerné par le personnage, même si je pouvais comprendre la fascination qu’il exerçait et lui reconnaître une certaine habileté à incarner certains cauchemars des USA. Bref, personnage pas inintéressant, musique trop fabriquée, tendance un peu vaine à reprendre de vieilles rengaines niou ouève à sa sauce electro-rock-indus. Tainted love n’a jamais sonné mieux que chanté par Gloria Jones, on ne me persuadera pas du contraire. Et puis sort ce Pale Emperor en début d’année, à la pochette impeccable, une photo en noir et blanc de l’intéressé dans un élégant costume blanc, les traits du visage flous. A l’écoute du disque, l’image qui vient en tête, c’est celle du clown qui vient d’effectuer son numéro sur la piste, est rentré dans les loges et vient de se passer une serviette mouillée sur le visage pour enlever une première couche maquillage. La musique est débarrassée de ses afféteries. Moins mécanique, trempée dans le blues, elle ne perd rien de son impact et de sa noirceur, bien au contraire. On en apprécie d’autant plus le chant étranglé de Brian Warner. Marilyn Manson ne reprend ses vieilles habitudes que sur Deep Six, qui en découd sévère avec ses accents hard-rock. Titre choisi d’ailleurs comme premier single (pour ne pas dérouter la tribu de fans ?). On lui préférera Third day of a seven day binge, Birds of hell awaiting ou encore The mephistopheles of Los Angeles qui suinte la tristesse et le dégoût.
VIET CONG Viet Cong A une époque où tant de territoires ont déjà été défrichés et archi-labourés dans la musique, saluons ce premier véritable album de Viet Cong, groupe de Calgary où l’on retrouve deux membres de Women, Matthew Flegel et Mike Wallace. Un album déroutant, car il brasse de nombreuses influences à l’intérieur d’un même morceau, ne dût-il durer que 3 minutes. Par commodité, on rangera Viet Cong dans le tiroir du post-punk, ne serait ce que pour sa raideur et cette envie d’expérimenter à l’intérieur d’un rock en bout de course. Viet Cong, c’est donc des éclairs de rock psyché des années 60, des ambiances sombres à la Joy Division, des passages bruitistes, sans renoncer aux mélodies… Le groupe arrive à organiser avec une facilité déconcertante tous ses penchants et à faire tenir debout ses compositions. On ne se lasse pas des sept titres labyrinthiques offerts sur ce disque. Mention spéciale à Death, soit onze minutes de haute voltige qui s’embarquent dans une furieuse cavalcade instrumentale évoquant le Velvet de White light, white heat, éreintant l’auditeur par ses rythmiques lourdes et primitives, avant de revenir dans une pirouette au chant rageur de Matt Flegel.
MOON DUO Shadow of the Sun Retour aux affaires de Ripley Johnson avec son projet Moon Duo, qu’il partage avec sa compagne Sanae Yamada. Un projet qui semble mobilisé de plus en plus Ripley Johnson, pilier également du très bon groupe de rock psyché, Wooden Shjips. Avec Moon Duo, il choisit au moins un nom plus facile à écrire… Musicalement, on navigue toutefois dans les mêmes eaux, celles d’un rock cotonneux, basé sur des motifs répétitifs, sur lequel plane l’ombre de Suicide. Hop, un rythme très hypnotique, des entrelacs de guitare et de synthé, la voix monocorde de Ripley Johnson, et le tour est joué. Une formule parfaitement maîtrisée par Moon Duo qui figurent encore parmi meilleurs représentants du genre actuellement. Des chantres de la monotonie peut-être, mais pas monotones pour autant. Le groupe injecte une certaine vigueur dans ses morceaux et sait s’écarter de sa formule. La preuve avec Animal, où le garage le dispute au rock psyché ou encore la balade In a cloud.
WILL BUTLER Policy Le petit frère de Win Butler s’échappe d’Arcade Fire le temps d’un album solo qui rompt avec les (trop ?) monumentaux disques du très populaire groupe canadien. Un disque léger et plaisant qui ne compte que huit titres, plutôt courts où Will Butler s’applique à faire tenir tous les artistes qu’il apprécie. D’où des titres très éclectiques où l’on reconnaît aussi bien les Pixies (What I want) que LCD Soundsystem (Something’s coming), les Talking Heads (Anna) et même Elton John me semble-t-il (Witness). Au final, on a davantage affaire à une collection de chansons disparates qu’un véritable album. Pour autant, le résultat est loin d’être déshonorant. Will Butler mène le tout avec conviction et donne du souffle à ses compositions. Mention spéciale à What I want, qui tient la comparaison avec ses illustres modèles farfadets de Boston et passe haut la main le test de l’auto-radio.
DAN DEACON Gliss Riffer L’effet reste le même de disque en disque avec Dan Deacon. L’impression de se retrouver dans une fête foraine, entraîné par un gamin survolté qui veut essayer tous les manèges et s’empiffrer de barbe à papa. Le musicien electro de Baltimore offre donc à nouveau un disque à la fois galvanisant et éreintant, truffé d’effets et de couches multiples, comme une extension musicale de l’univers Tex Avery. D’ailleurs ce n’est pas pour rien que Dan Deacon utilisait un sample de Woody Woodpecker sur un de ses précédents albums. Les écoutes répétées permettent de découvrir tous les détails du disque et d’en apprécier les ambiances très différentes. Meme Generator montre une face plus apaisée voire mélancolique du Géo Trouvetout de Baltimore, évoquant ces moments où l’on commence à sortir du sommeil et où les rêves de la nuit se défilent en partie à notre souvenir comme du sable glissant des mains. Sur Steely blues, Dan Deacon laisse libre cours à sa veine bruitiste, à peine adoucie par un incongru son de carillon, ou quelque chose qui s’en accroche. D’autres titres laissent davantage de place aux voix. Une voix grave et déformée sur Lightning, à laquelle répond un chant féminin et enfantin.
STRANGE WILDS Standing EP Ce n’est pas un album, mais impossible de faire l’impasse sur ce groupe d’Olympia repéré par Sub Pop dans la foulée de quatres titres sortis l’an dernier sur Inimical records. Succès fulgurant donc et amplement mérité donc. Sub Pop dégaine trois nouveaux morceaux, sur lesquels le groupe apparaît comme un chaînon manquant entre Flipper et Nirvana. Mais ne l’écrasons pas sous les références, il mérite mieux que ça. Ce qui se accroche d’emblée, c’est le chant. Un chant rageur et dégoûté qui n’a pas besoin d’en faire des tonnes pour s’imposer et vous remuer les tripes. Sur Gator Cough, Strange Wilds s’offre une embardée bien punk de 1’30, pied au plancher et pas de prisonnier. Bref, le groupe prend là un chemin hyper-balisé, et s’en sort très bien. Il fait le taff et laisse l’auditeur sur les genoux le souffle court, les oreilles saignantes. Sur Standing et Never Warm, le jeu se fait moins monolithique, les guitares ne lâchent rien, rugueuses à souhait, au cordeau. La voix du chanteur ne traduit jamais aussi bien le dégoût et la lassitude que le long de Never Warm.
VERCETTI TECHNICOLOR Black September Déçu par le disque d’inédits de John Capenter, trop éloigné du minimalisme de ses meilleures compositions de films, plombé par ses guitares (pour la critique de Sheppard, c’est par ici) ? Pour vous consolez, vous pouvez toujours vous rabattre sur le très bon remix du morceau Fallen signé par Blank Mass (alias Benjamin John Power, un des deux membres de Fuck Buttons). Un remix tout en tension, lente et réjouissante montée bruitiste. Vous pouvez aussi vous intéresser au Black September de Vercetti Technocolor sur le label Giallo records, dont il est le cofondateur. Un nom de label et une imagerie qui sonnent comme une déclaration d’amour aux films de Dario Argento et aux slashers des années 80. Black September apparaît comme un projet curieux dans ce contexte, puisqu’il ne cherche pas à être la bande son d’un film de série B imaginaire, avec pourtant une pochette ad hoc. Black September s’inspire d’un événement réel : le massacre de l’équipe olympique israélienne à Munich, en 1972. A base de synthés vintage, la musique est oppressante et répétitive, notamment sur Operation Munich et Olympic village hotel 4:30 am. The bank heist finale relâche un peu la tension accumulée au fil des titres précédents, les basses se font moins lourdes, les synthés plus éthérés. Rien à dire, Vercetti Technicolor sait poser une ambiance et place avec cette sortie le label Giallo records sur nos écrans radars.
Le tri d’Erwan Higuinen
BAMBOUNOU Centrum (50 Weapons) Jeune surdoué de l’electro parisienne, Jérémy Guindo alias Bambounou élève encore le niveau avec Centrum, son deuxième album sur le label berlinois 50 Weapons. Présenté comme sa vision riche en paradoxes (cérébrale et sensuelle, sombre mais entêtante) d’un futur possible pour la vie sur terre – le garçon est visiblement travaillé par ce genre de questions – après un premier essai SF (Orbiting) qui fantasmait une existence extra-terrestre, Centrum est à la fois martial et ouaté, richement évocateur et rigoureux jusqu’à la sévérité. Globalement tourné vers la techno de Detroit, il s’offre aussi des éclosions ambiant (Fire Woman), des flambées house (Excluding Natalia). Et il y a Each Other, qui emporte tout sur son passage. Une révélation.
H. HAWKLINE In the Pink of Condition (Heavenly) Un chanteur qui emprunte son nom à un roman de Richard Brautigan (Le Monstre des Hawkline) est forcément quelqu’un de bien. Et si sa musique sonne parfois comme du Jonathan Richman, il peut compter sur notre reconnaissance éternelle. Avec In the Pink of Condition, Huw Gwynfryn Evans – telle est la véritable identité du jeune Gallois – livre son album le plus abouti après trois essais passés relativement inaperçus et plusieurs collaborations avec Cate Le Bon (aka sa copine). C’est une collection de pop songs à guitare faussement fragiles (à l’image du chant de H. Hawkline), un peu étranges, un peu tordues sous leurs airs lumineux (à moins que ce ne soit le contraire). Elles s’appellent Everybody’s on the Line, Rainy Summer ou Spooky Dog. On vit avec, elles nous tiennent chaud.
TWIN SHADOW Eclipse (Warner) Il est toujours triste de voir un artiste aimé s’égarer. Dans ses deux premiers albums Forget et Confess, Twin Shadow – c’est-à-dire l’Américain d’origine dominicaine George Lewis Jr – puisait dans la new wave au sens large (de Joy Division à Billy Idol, disons) en défiant les règles du bon goût pour y injecter quelque chose comme un sens discrètement héroïque du drame intime tel un Morrissey qui se serait mis aux synthés pour prendre d’assaut les FM américaines – c’était beau. A-t-il cette fois vu trop grand ? Cédé à ce penchant pour l’emphase qui mettait jusqu’ici joliment ses chansons en danger ? Son Eclipse est un disque lourd et pompeux, grossier, embarrassant. L’un des morceaux, To the Top, semble résumer ses nouvelles ambitions. On préférerait ne l’avoir jamais entendu.