Série double, critique de Deutschland 83 saison 1

Série double, critique de Deutschland 83 saison 1

Note de l'auteur

Canal+ débute l’année avec deux séries d’horizons inhabituels (ni anglophones, ni françaises) qui ont en commun d’avoir, toutes deux, été distinguées lors de la dernière édition du Festival Séries Mania. Après l’israélienne False Flag (7 janvier), les abonnés pourront ainsi découvrir Deutschland 83, un thriller d’espionnage allemand en pleine guerre froide, qui vaut le détour !

L’empire du mal. Deutschland 83 débute précisément là où la dernière saison de The Americans (saison 3) nous avait quittés. Mais ne craignez pas ici une révélation, les deux séries se servent tout simplement d’un des discours les plus célèbres de Ronald Reagan (“Evil Empire”, 8 mars 1983). Avec le visage impérieux de Reagan sur un poste de télévision vintage du début des années 80, l’ambiance est rapidement plantée !
En 83 donc, Martin Rauch (Jonas Nay) est un jeune officier de l’armée Est allemande, qui prend un malin plaisir à coincer des contrevenants tentant de faire passer des denrées entre les deux parties de Berlin, alors séparées par le rideau de fer.
Tout va basculer pour lui lorsque sa tante, directrice haut placée à la Stasi*, décide de le recruter pour infiltrer les services armés de l’ouest…

Voilà qu’on s’esclaffe avant même le générique en regardant une série allemande. La chose est-elle seulement possible ? **

Double séduction. Deutschland 83 mêle adroitement la reconstitution historique et le récit d’apprentissage. Un tel contraste entre la rigidité induite par la recherche d’une précision pour établir les codes d’une époque et la légèreté assumée du parcours d’un apprenti espion, est pour le moins rare.
Après tout, les années 80 ne sont pas si loin derrière nous mais les spécificités du contexte est-allemand n’étaient pas simple à faire revivre. D’autre part, si la guerre froide s’étale sur une quarantaine d’années, le choix de 83 et des événements réels qui rythment la série*** témoignent d’une belle ingéniosité dans la construction de ce récit.
Mais en même temps, la série emprunte tous les codes du coming-of-age. A ce titre, l’initiation de Martin et sa transformation accélérée en Moritz Stamm, jeune aide de camp basé à Bonn, est un délice. Le choc des cultures qu’il expérimente à l’ouest, tel un poisson hors de l’eau, fait immédiatement naître l’empathie du téléspectateur.

Double conception. Deutschland 83 se déroule en Allemagne mais sa créatrice l’a conçue avec une sensibilité plus internationale. On doit en effet la série à la romancière anglo-américaine Anna Winger. Elle a réalisé l’écriture en anglais et son mari, Jörg, s’est chargé de traduire en plus de produire la série. En 1989, Jörg était en poste à l’ouest dans une unité chargée d’écouter les communications à l’est. À Noël, les soviétiques se sont permis de les appeler en les interpellant par leurs propres noms, preuve que le service de Jörg était infiltré. Le couple Winger apporte donc une double sensibilité à leur série. Une écriture anglo-saxonne soucieuse de ses personnages dans la réalité d’un univers très allemand.

Immersion. La série propose une étonnante mise en image pour un sujet, somme toute, relativement obscur. L’approche générale est très pop, aussi bien dans l’ambiance musicale (du générique accompagné par Peter Schilling en passant par Tears for Fears, Eurythmics, Duran Duran et jusqu’à l’inévitable 99 Luftballons de Nena) qu’à travers une photographie très saturée qui relève ostensiblement une palette de couleurs digne des années 70 (le mobilier est-allemand du début des années 80 n’était pas le plus à la pointe).
Outre cette colorimétrie, les cadrages optent pour une recherche constante du naturel. On se rapproche en cela d’une mise en scène pratiquée par le cinéma indépendant (on comprend mieux l’investissement de SundanceTV sur ce projet). Et puis, l’immersion est subtilement complétée avec une bande-son composée par Reinhold Heil, ancien claviériste de Nina Hagen et producteur du fameux 99 Luftballons (la boucle est bouclée).

Maria Schrader (Leonora Rauch) © Conny Klein/UFA Fiction

Maria Schrader (Leonora Rauch) © Conny Klein/UFA Fiction

Alter ego. La galerie de personnages est structurée suivant le modèle de la symétrie des caractères. Alors que le récit se déroule parallèlement entre RFA et RDA, la plupart des protagonistes ont leur équivalent qui n’est pas forcément un antagoniste, chacun étant plus ou moins nuancé en fonction de son importance.
Ainsi, Martin, le personnage principal campé par le très bon Jonas Nay, se trouve rapidement projeté auprès d’Alex (Ludwig Trepte, une nouvelle fois excellent après Generation War et 1864). Si Martin tente de respecter la discipline de l’armée, côté Ouest, Alex est lui dans la démarche opposée du rebelle. On retrouve cette dualité à tous les étages de la distribution. C’est notamment le cas pour Lenora (Maria Schrader), la tante de Martin, que tout sépare de sa sœur, ou bien encore jusque dans la direction de la Stasi avec les chiens et chats, Schweppenstette et Fuchs.

Deux vitesses. Deutschland 83 souffre toutefois de ne pas être constante. Le souffle et la fougue des débuts se perdent en partie et la seconde moitié de saison ronronne à travers le quotidien d’un récit d’espionnage assez classique. La série est ainsi confrontée à l’écueil de la transposition d’un récit d’apprentissage et son essoufflement sur le format sériel (coucou Red Oaks).
Anna et Jörg Winger ont néanmoins certainement cette irrégularité en tête. Ils entrevoient ainsi de basculer en 1986 puis en 89 pour d’éventuels saison 2 et 3.

DEUTSCHLAND 83 SAISON 1 (SundanceTV/RTL)
8 épisodes à partir du 11 janvier sur Canal+
Créée par : Anna et Joerg Winger
Réalisée par : Edward Berger (1 à 5) et Samira Radsi (6 à 8)
Avec : Jonas Nay, Maria Schrader, Ulrich Noethen, Sylvester Groth, Sonja Gerhardt, Ludwig Trepte, Alexander Beyer et Lisa Tomaschewsky.
Musique Originale : Reinhold Heil.
Deutschland 83 a obtenu le Prix du jury des blogueurs à la dernière édition du Festival Séries Mania.

 

*: la Stasi était le ministère de la sécurité d’état au sein de la RDA. Il regroupait tous les services sensibles tels que la police politique, les renseignements, l’espionnage, etc. Aujourd’hui, le siège de l’organisation est devenu un musée qui a justement très largement servi aux tournages de Deutschland 83.
**: Extrait d’un article de Claudia Voigt paru dans Der Spiegel le 19 nov. 2015 et repris dans le N°1309 de Courrier International.
*** : ATTENTION, ne pas lire si vous souhaitez éviter toutes révélations sur la fin de cette saison de Deutschland 83 ! Les créateurs de la série se sont sûrement inspirés de Rainer Rupp, ancien espion de l’est. Dans un entretien, il avait notamment affirmé avoir mis au courant l’Est de la nature du test qu’était l’opération Able Archer, prévenant ainsi une attaque anticipée du bloc soviétique.

Crédits Photos : Nik Konietzny/UFA Fiction

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