Les séries françaises à l’épreuve des saisons (partie 2)

Les séries françaises à l’épreuve des saisons (partie 2)

Ne plus attendre deux ou trois ans entre deux saisons d’une série française. Formulé par une large partie du public, ce vœu devient réalité dans un nombre de cas croissant. Pour arriver à ce résultat, toute une façon de produire doit faire sa mue, quitte à redistribuer certaines cartes.

En France, lorsque l’on dit showrunner, le sériephile pense souvent à Aaron Sorkin (The West Wing), David Chase (Les Soprano), Shonda Rhimes (Grey’s Anatomy) voire Steven Moffat (Sherlock, Doctor Who) : des scénaristes-producteurs, parfois réalisateurs, qui écrivent et occupent un poste de producteur qui leur permet de veiller à l’intégrité/cohérence de la série.

Logique. Mais le sériephile sait aussi qu’il y a en réalité une multiplicité de profils. Et c’est aussi le cas en France. Notamment sur Cherif, une série où c’est le producteur Stéphane Drouet qui tient une place centrale (EDIT, 29/9 à 15 h08 : crédité co-créateur de la série, ce dernier est à l’origine du concept développé avec Lionel Olenga et Laurent Scalese).

« Directeur de collection et coauteur des épisodes, c’est un boulot à plein temps, explique Lionel Olenga, cocréateur de la série. Surtout si on s’intéresse aux rushes et au casting. Mais le vrai boss sur Cherif, c’est Stéphane. S’il intervient dans l’écriture sur certaines étapes, c’est d’abord lui qui a la main sur tout ce qui est production. Chez nous, le showrunner, c’est lui. Plus précisément, si Cherif était une série comme Castle, je pense que son showrunner serait une combinaison de Stéphane, Marine Gacem – qui est directrice de collection sur la saison 3 avec moi – et moi-même ».

Un dispositif où une ou des personnes ont la main sur tout ce qui est production : à mesure que le processus d’industrialisation des séries s’accélère, cette donnée est plus que jamais essentielle. Et pour que cela fonctionne, le scénariste français ne peut plus « seulement » être sollicité pour livrer des textes.

Là encore, cela ne va pas de soi. Devenir référent ne s’improvise pas.

« On est obligé de considérer l’environnement dans lequel on est, note Olivier Dujols (Falco, TF1). Si un scénariste a l’ambition de travailler sur une série en participant à l’ensemble de sa fabrication, il doit être en mesure de communiquer avec le diffuseur, le producteur, les comédiens. Il doit comprendre le planning, les coûts, les envies, les obligations et les contraintes diverses. Quand un réalisateur vient me parler de ses contraintes, je comprends tout ça. Il y a un travail d’interface crucial et c’est un peu être producteur dans sa tête ».

Mais ici aussi, cette évolution doit être globale. La place du scénariste dans ce dispositif ne peut évoluer que si l’attitude de l’ensemble des acteurs de production change également.

La saison 2 de Falco a été diffusée un an après la première. Même chose pour la saison 3.

La saison 2 de Falco a été diffusée un an après la première. Même chose pour la saison 3.

Pour arriver à ce résultat, Eric Rochant a structuré un autre rapport avec Canal + pour développer Le Bureau des légendes (programme produit avec Alex Berger pour The Oligarchs Productions). C’est en tout cas ce qu’il explique à TéléObs :

« A un moment donné, j’ai compris qu’entre le réalisateur, le producteur et le diffuseur, il y a un intermédiaire de trop. Cette fois, je me situe en ligne directe avec Canal+, qui souhaitait collaborer avec moi. Je concentre mon énergie sur la discussion avec la chaîne puisque, au bout du compte, c’est elle qui décide. Il faut la convaincre ? Autant y aller direct ».

Un mode de fonctionnement audacieux mais qui n’est pas la règle. Pas facile, il est vrai, d’imposer ce genre de vision lorsque l’on n’est pas, comme Rochant, un réalisateur reconnu et que l’on n’a pas déjà produit deux saisons pour la télévision (Mafiosa, saisons 2 et 3).

Ce qui ne veut pas dire que les choses ne changent pas. Cela se fait en revanche au cas par cas, au prix de nombreux échanges.

« Dominique Lancelot est productrice/scénariste sur Section de Recherches. Fanny Robert et Sophie Lebarbier sont aujourd’hui productrices artistiques de Profilage. Mais avant ça, ce n’était pas quelque chose de courant, rappelle Olivier Dujols. Sans oublier que pendant longtemps, un producteur se sentait souvent plus proche d’un réalisateur pour la bonne et simple raison que son travail est plus accessible. C’est tout simplement plus facile d’échanger autour d’une table de montage que de s’interroger virtuellement sur ce que doit être un projet ».

Le showrunner ou son équivalent français doit donc être présent dans les étapes de production où l’on « sort » du virtuel. En clair : pendant le tournage, potentiellement. Pendant le casting, également. Mais aussi pendant le montage.

Sur Profilage et Falco, c’est le cas. Sur Le Bureau des légendes aussi. Sur Cherif, Lionel Olenga voit « une V2 ou une V3 du montage ». Une version du réalisateur sur laquelle Stéphane Drouet a déjà fait des retours. « Je fais alors des retours qui peuvent faire l’objet de discussions. Mais le final cut, c’est Stéphane ».

La distribution du Bureau des Légendes (Canal +)

La distribution du Bureau des légendes (Canal +)

Olivier Dujols et Clothilde Jamin essaient également de se rendre régulièrement sur le plateau de Falco.

« Les techniciens savent qui je suis, ce que je fais. Je pense que c’est important, précise le premier nommé. Pareil pour Clothilde. J’essaie d’y aller le plus souvent possible : c’est important de fonctionner en équipe. La qualité d’une relation se mesure quand ça va mal. Quand tout va bien, tout va bien. L’importance d’une relation saine se mesure quand ça chie ».

Une présence qui participe à une redéfinition du rapport scénariste/réalisateur ?

« Les scénaristes ne vont pas dicter aux réalisateurs ce qu’ils vont faire. Les gens qui pensent ça sont dans l’erreur et être dans l’erreur à ce sujet, c’est perdre du temps. Que le scénariste reprenne la main au montage, c’est différent. Pour Falco, si pour X raisons, on doit tourner des séquences complémentaires car le diffuseur trouve que tel ou tel personnage n’est pas assez présent, ou pour de la postsynchro, c’est Clothilde et moi que l’on contacte ».

Un argument qui trouve un écho dans ceux d’Eric Rochant, dont le travail même de réalisateur sur Le Bureau des légendes, se plie aux impératifs du contexte sériel. C’est ce qu’il explique en évoquant la réalisation de l’épisode 1.

« J’aurais pu le confier à un réalisateur comme Jacques Audiard, qui aurait élaboré le modèle à suivre. C’est, par exemple, ce que Gus Van Sant a fait pour la première saison de Boss. Mais, vu le timing imparti, je voulais être capable de remédier à toutes éventualités (réalisateur malade, etc.). J’ai donc tourné et monté ce premier volet à la Cité du Cinéma. Mes successeurs Jean-Marc Moutout, Hélier Cisterne, Mathieu Demy et Laïla Marrakchi prennent le relais. Je supervise la réalisation des épisodes suivants tout en imaginant la saison 2 avec les auteurs ».

Pas question cependant de parler de révolution. Pour Olivier Dujols, il s’agit davantage d’un « glissement méthodologique » complètement lié aux impératifs de production.

« On est dans une structure issue du cinéma, où tous les maillons de la chaîne mettent en valeur le réalisateur. Il faut que ce dernier soit en mesure de comprendre que ce glissement n’est pas dirigé contre lui ou contre son travail. Il s’agit surtout d’établir une collaboration dans laquelle le rôle du scénariste est mieux reconnu ».

Le codirecteur de collection de Falco conclut :

« Oui, il y a sans doute une perte de pouvoir (pour le réalisateur) mais c’est pour le bien du projet, qui est une série avec un certain nombre d’épisodes à tourner. Quand tu dis « en 12 mois, je dois fabriquer 12 épisodes », tu n’as pas le temps de prendre un seul réalisateur pour lui faire diriger 12 épisodes. Il faut au minimum trois réalisateurs, qui font confiance à des personnes qui sont là toute la saison. Ce qui ne remet pas en cause le cœur de métier de chacun ».

Tel est ce que l’on pourrait appeler le prix de la saison. Mais le bénéfice à en retirer – qualitativement et quantitativement – est considérable.

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