
Séries Mania Saison 07 : Le Bilan
Du 15 au 24 avril se déroulait la septième saison de Séries Mania à Paris. Alors que notre couverture est arrivée à son terme, c’est l’heure du bilan, l’occasion de dresser plusieurs constats et de saluer le travail du festival comme lieu de réflexions.
Après l’effervescence du festival, l’euphorie des rencontres, le vertige des découvertes, la fatigue des journées marathons, il faut savoir s’échapper de l’étreinte de l’événement, laisser infuser les souvenirs immédiats afin d’observer les retombées et de comprendre ce qu’a voulu dire la septième saison de Séries Mania. C’est le jeu des bilans où il est nécessaire de slalomer entre les différentes projections (43 séries présentées), les rencontres (David Chase, Tony Grisoni) ou les conférences. De quoi donner le tournis. Au Daily Mars, vous avez déjà pu apprécier une couverture embeded où l’on aura tenté d’offrir une vision éclectique et réactive d’une édition riche en enseignement.
Cette année, le festival a du repousser les murs du Forum des Images et investir d’autres structures afin de satisfaire un public toujours plus nombreux (38 000 spectateurs contre 22 000 l’an dernier). La rançon du succès d’un intérêt toujours grandissant pour un art non condamné au meuble (le téléviseur) ou au rendez-vous domestique (le salon). Aujourd’hui, la série n’est plus un phénomène, une mode éphémère mais prouve sa valeur et son importance dans le paysage culturel. Même si c’est encore compliqué à comprendre pour certains (Florent-Emilio Siri) ou si son détracteur le plus célèbre est aussi celui qui l’a révolutionné (David Chase). Il ne faut cesser de répéter combien l’art sériel n’a plus à se dresser contre des référents mais en référence et qu’il s’analyse comme un médium propre, soumis aux règles des cycles (la table ronde Allociné sur la déferlante, non alarmante, de remake-reboot-suites) et de consommations culturelles (la pétillante intervention de Thomas Destouches dans sa conférence récréative La Réunion des « Sériephiles » Anonymes, Sommes-Nous Vraiment Addicts ?).
Regard Politique
La sélection s’est montrée observatrice sur l’état du monde. Une lecture moins globale que l’an dernier, plus intime dans sa façon de replacer l’individu au centre. L’être humain dans l’œil du cyclone a fait de son corps la matière fictionnelle sur lequel sont projetés nos errances, nos doutes, nos peurs et notre identité. Le rapport à l’autre s’est exprimé de façon compulsive, traitant l’opposition comme un moteur narratif. L’autre, ce sont les mutants de Cleverman que l’on parque à l’extérieur de la ville ; c’est l’étranger que l’on condamne dans NSU German History X ou que l’on confronte dans The Writer ; c’est l’être marginalisé, qu’il soit sans domicile fixe (Spring Tide) ou détenus en cours de réinsertion (Marche à l’ombre). Différentes visions de la discrimination, du racisme ou de la cohabitation aux résultats aléatoires mais qui posent de bonnes questions.
L’autre, c’est aussi la femme, que l’on découvre dans des territoires inexplorés. Que ce soit sur le terrain du sexe à travers la limpide participation d’Iris Brey venue présentée son livre Sex and the Series ; ou du rire dans l’excellente conférence Y a-t-il un rire au Féminin ? Le féminisme par le prisme de la comédie où l’érudition conviviale du duo Yaële Simkovitch et Renan Cros nous ouvre les yeux sur une généalogie du rire dans l’espace social et son importance comme discours militant.
Enfin l’autre, c’est l’être qui manque. La disparition, le deuil au cœur de nombreuses séries (The Five, The Kettering Incident, Beau séjour, Norskov, Lola Upside Down, Cromo) qui ont exploité la sensation du vide comme matière à produire de l’inconnu. Certaines ont été jusqu’à solenniser le manque, brouillant nos repères dans une narration trouée (The Kettering Incident) ou en confrontant la disparue à sa propre évanescence sur le fil de l’émotion (Beau séjour). S’expriment ainsi un sentiment de vide étourdissant, de l’être incomplet dans une géographie souvent en mouvement.
Fin de Cycle
Si un festival de séries est la vitrine de sa vitalité, cette édition a montré un visage un peu trop familier où le genre policier s’est imposé en force. Mais un genre en manque de renouvellement, à l’image de Jour polaire, la coproduction franco-suédoise des auteurs de Bron, qui fait entrer le polar nordique sur une voie balisée et formatée. C’est tout le genre qui nous est apparu un peu hanté par ses dernières grandes figures (Broadchurch, Bron, True Detective pour les génériques), célébration d’une fin de cycle, d’une fiction au creux de la vague, en manque d’impulsion. Des propositions tièdes ont banalisé un policier exsangue, ont domestiqué son côté sauvage. Si certaines se sont montrées plus féroces ou indomptables, il a fallu parfois composer avec des objets désincarnés, au néo-classicisme problématique (Norskov, Bordertown, The Five).
La sélection a également montré l’intérêt pour des séries courtes. Des œuvres éphémères qui cassent un peu le caractère élémentaire de l’art sériel. À sa dimension séquencée et (presque) infinie, les modèles bouclés ont non seulement investi en masse la petite lucarne, mais sont devenus un référent, jusqu’aux Américains qui semblent privilégier des anthologies de 10/13 épisodes (American Crime sur ABC, American Crime Story : The People vs O.J. Simpson sur FX).
Et la France ?
Cette année encore, la France aura marqué par son incapacité à saisir le monde. Courant après une audace fuyante, la fiction hexagonale s’est retrouvée bloquée en queue de peloton. De la lisse subversion de Sam (TF1) au très codé Irresponsable (OCS), de la fumisterie Cannabis (Arte) au scolaire Jour polaire (Canal+), notre production se retrouve à jouer de mimétisme pour tenter d’exister face à un organisme en perpétuel mouvement. Seul prix de consolation, Au-delà des murs, nouvelle création du duo Hadmar / Herpoux, qui, en trois courts épisodes, offrira une belle relecture de Silent Hill (le jeu vidéo) et démontrera que le genre, en France, n’est pas une cause perdue.
Le Mot de la Fin
Si l’enthousiasme ne nous a pas accompagnés au terme de chaque projection, cette septième saison du festival Séries Mania, par sa façon de croquer le monde, nous aura offert un instantané. Cette édition aura pris le pouls d’une partie de la production, démontrant une capacité toujours grandissante de refléter le monde (les séries sont le miroir de nos vies) mais peinant à proposer de nouvelles formes. Si certaines séries ont su se démarquer par leur traitement aux confluents des genres (Beau séjour), leur exploitation du vide (The Kettering Incident), leur singularité (Lola Upside Down), leur sujet (NSU German History X, Marche à l’ombre), nous avons assisté à une homogénéité castratrice. La table ronde Allociné nous l’avait introduit quelque part, en posant la question de l’abondance des remakes. Car si le festival est un lieu de découverte, c’est aussi celui de réflexions. Et à ce titre, cette édition fut particulièrement enrichissante.