#SeriesMania Fin de Séries

#SeriesMania Fin de Séries

Note de l'auteur

Du 13 au 23 avril se déroule la huitième saison de Séries Mania à Paris, et comme chaque année, le Daily Mars vous offre une couverture du festival. Au programme, critiques, bilans de conférences et autres surprises…

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Visage contre visage, intimité contre intimité, les séries télé inventent un rapport durable entre ceux qui les regardent et ceux qui les habitent. L’écran n’est plus une frontière mais un pont. Parfois au moment de partir, celui qu’on n’avait pas quitté du regard pendant des années nous implore, droit dans les yeux. Le spectateur de séries est le gardien de la mémoire des personnages.

Ces quelques lignes sont prononcées par Olivier Joyard, vers la fin de son précédent documentaire Séries Addict. On peut déjà voir combien l’idée de la conclusion habite le journaliste aux Inrocks. Un peu avant, Tristan Garcia évoque le temps que l’on passe à suivre une série et rappelle que l’on change davantage en regardant Six Feet Under au rythme hebdomadaire qu’en lisant À la recherche du temps perdu de Proust. C’est ce qui fait la particularité d’une fin de série, l’achèvement du long voyage où l’on a accompagné des personnages qui ont vieilli avec nous.

The most important part of your life was the time that you spent with these people.*

La phrase que prononce le père de Jack dans le dernier épisode de Lost fonctionne aussi bien pour les personnages que les spectateurs. C’est pourquoi la fin d’une série peut provoquer des réactions intenses qui pourraient s’aligner sur les sept étapes du deuil (choc, déni, colère, tristesse, résignation, acceptation, reconstruction). Une mauvaise conclusion, c’est un monde qui s’écroule et parfois un torrent de haine qui se déclenche. Le documentaire revient sur les fins polémiques. Lost bien sûr mais également The Sopranos, How I Met Your Mother, Dexter et Le Prisonnier qui rappelle que la relation émotionnelle et intellectuelle que l’on peut construire avec une œuvre ne date pas d’aujourd’hui et n’a pas attendu les réseaux sociaux pour s’exprimer.

Fin de Séries ne cherche pas uniquement à recenser les bons et les mauvais élèves mais essaie de comprendre les enjeux. Comment pense-t-on, comment écrit-on une conclusion et comment se prépare-t-on ou non, à sa réception. Il y a des cas d’école, de Vince Gilligan à Damon Lindelof en passant par Shawn Ryan et Alan Ball, des exemples classiques mais révélateurs et nécessaires pour comprendre l’extrême fragilité que représente une fin. Le documentaire aime ainsi embrasser les points de vue, du créateur au public, sans forcément les confronter.  D’un côté, il y a l’idée d’une œuvre qui échappe à son auteur et de l’autre, celle qu’un auteur est au service de son histoire et non du spectateur. Entre les deux, c’est l’épisode, le dernier, la fin, explicite ou évanescente, ouverte vers un monde encore en mouvement ou refermée sur elle-même.

Il y a aussi le choix. Le choix de ne pas regarder le dernier épisode pour laisser la série vivante, inachevée, tout en sachant qu’elle mène sa propre existence. C’est reprendre le pouvoir sur une fiction qui nous échappe le plus souvent, soumis que nous sommes à la volonté des auteurs ou des chaînes de télévision. Souligné par Renan Cros, ne pas voir une fin de série relève d’une résolution à se rebeller, à déposer les armes autant comme un signe de protestation qu’un instinct de conservation, l’aptitude à se protéger devant la perspective d’abandonner ces personnages, cette histoire. Le spectateur de séries est le gardien de la mémoire des personnages, en les regardant s’éteindre sur une dernière image, peut-être avons-nous peur de déjà les oublier un peu.

On reconnaît un auteur à sa façon de travailler des motifs, de voir, d’œuvres en œuvres apparaître les signes récurrents d’une matière que l’on ne cesse de modeler. Olivier Joyard est auteur. Un auteur de documentaire, évidemment, comme on a vu des thèmes traverser sa production mais auquel se mélange son travail de critique. Par le choix des séries, le choix des mots, importants, la façon de mêler réflexion et poésie, érudition et légèreté, on reconnaît dans le documentaire l’identité d’Olivier Joyard, une transparence qui conduit à repenser l’idée de création et voir qu’une œuvre au sens général se bâtit aussi avec la somme des critiques. Peu ont réussi à dépasser le cadre éphémère de l’exercice critique, en réalisant (aussi) des documentaires. Olivier Joyard a réussi à imposer cette idée, d’être, à son tour, un auteur.

(Les moments les plus importants de ta vie sont ceux que tu as passé avec ces gens)*
Image de Une ©D.R.

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