
#SeriesMania Je Like donc Je Suis
Du 13 au 23 avril se déroule la huitième saison de Séries Mania à Paris, et comme chaque année, le Daily Mars vous offre une couverture du festival. Au programme, critiques, bilans de conférences et autres surprises…
Martin Winckler a intitulé l’un de ses ouvrages sur les séries : Les Miroirs de la vie. Une façon de montrer combien le petit écran diffuse moins qu’il renvoie une image. Cette image réfléchissante permet d’ausculter nos vies, s’adaptant à son rythme avec une réactivité sidérante. Black Mirror cherche autant à projeter notre reflet qu’à anticiper un futur proche dans lequel nos actions seraient amplifiées aussi bien pour produire un message que pour effectuer une réflexion.
Cette réflexion, en ce samedi pluvieux, porte sur le like et plus généralement sur les systèmes de notations qui envahissent nos vies numériques. Qu’est-ce que signifie un like ? Quelles conséquences ? Qu’est-ce que cela dit de nous et de notre société ? Un like est-il une forme d’altruisme, une fonction de reconnaissance sociale, la validation de notre contenu, une évaluation, un vecteur de publicité ? Pour répondre à ces questions, Marie Turcan, journaliste chez Business Insider et membre de l’Association des Critiques de Séries, s’est entourée de Laurence Allard, chercheuse à l’université Paris 3-IRCAV et Michel Gien, CEO de Twinlife.
C’est Nosedive, premier épisode de la troisième saison de Black Mirror qui servira de fil conducteur à la conversation. L’épisode montre un futur proche dans lequel des individus sont notés par leurs semblables. L’occasion de montrer sous un effet grossissant de nouvelles habitudes que l’on apprivoise, où tout est note, du chauffeur Über au passager. Le sujet est dense, complexe dans ses ramifications potentielles et passionnant dans ce qu’il dit de notre comportement. Marie Turcan, dont l’énergie malicieuse tout en humour permet d’aérer un sujet sans le prendre à la légère, dirige parfaitement la conférence. Elle conduit une discussion savante mais jamais plombée, ludique sans être distraite, avertie sans être pessimiste.
Forte de son expertise dans la technologie numérique et dans les séries, Marie Turcan pose ainsi la question du pouvoir de la fiction. Peut-elle nous faire prendre conscience des dérives de notre propre vacuité et d’un monde qui entretient cette vacuité ? Laurence Allard nous imagine faire du ready-made, où l’on fait de sa vie une œuvre d’art, par notre façon de la mettre en scène et de l’exposer. Être liké renvoie à une reconnaissance, une célébration que notre vie, ou du moins, la représentation que l’on en donne, suscite un intérêt. En étant noté, aimé ou en notant et aimant, on participe à un nouvel ordre social qui ne ressemble en rien aux dérives extrêmes narrées dans Nosedive mais qui permet de se poser des questions. La vie numérique a créé une existence parallèle, où les règles sont un peu les mêmes mais le pouvoir a un peu changé de mains. C’est l’avènement des Youtubers ou autres influenceurs, partis de rien et atteignant des niveaux de notoriété incroyable. Finalement, c’est le rêve américain où tout le monde a sa chance, s’il connaît les outils et sait comment les utiliser. Nous sommes davantage dans une ère de méritocratie que de népotisme.
Cette façon de travailler sa vie sociale, de la marchandiser créé autant un besoin qu’elle aliène. On devient de plus en plus soumis à une transparence excessive (géolocalisation généralisée), moins par choix que par obligation. Marie Turcan rappelle que Google a mis en place un service de localisation dès 2009 (Google Latitude), suscitant la polémique d’une application invasive sur nos faits et gestes. Aujourd’hui, cette pratique est devenue courante. Un exemple pertinent pour un modèle de réflexion qui va un peu à contre sens des habitudes : ce n’est pas toujours les grosses compagnies qui nous surveillent mais nous qui nous laissons surveiller par une évolution de nos habitudes numériques et ce que l’on est prêt à accepter. Et comprendre que ce que l’on a appelé dérives au cours du débat possède aussi des aspects positifs.
Au terme d’une discussion riche et passionnante, on ne sait pas si la fiction pourra nous aider à prendre conscience ou à changer le monde mais on sait quel révélateur elle peut être sur nos comportements. Je like donc je suis a posé la question de notre identité numérique, des conséquences possibles d’un monde où tout est notation et quelle place l’individu peut-il avoir dans cette existence mathématique. À l’heure où la note est reine (mais on essaie de la retirer du système scolaire), où aimer est autant un enjeu qu’un témoignage sincère, où les réseaux sociaux ont offert un espace d’illusion, je suis ce que j’aime n’a jamais autant sonné juste et inquiétant.
J’adors