
Seul sur Mars et marketing viral
Ridley Scott qui revient à la SF, on se souvient du sentiment, car Prometheus était l’objet filmique le plus attendu du genre depuis son annonce en 2009. D’une beauté à tomber mais doté d’un scénario qui nous imposait une Charlize Theron ne sachant courir qu’en ligne droite, le film restera une semi-déception. Second retour aux sources donc avec Seul sur Mars, adapté du roman du même nom d’Andy Weir écrit en 2011. Ridley pioche encore une fois dans l’écurie J.J. Abrams en chargeant cette fois-ci Drew Goddard, aussi grand collaborateur de Joss Whedon, d’en écrire l’adaptation. Si Seul sur Mars a bien un point commun avec Prometheus, c’est sur son marketing viral. Véritable axe de narration dépassant souvent le cadre de la promotion, ce type de marketing ultra-immersif participe à susciter la curiosité chez un public très vite lassé. C’est en racontant son univers et ses personnages que Seul sur Mars travaille son exposition avant même sa sortie en salle. Une campagne qui montre aussi une intention forte de le rattacher à la vie réelle, en utilisant de façon maligne des références évocatrices de la pop culture. Petit tour d’horizon.
Deux premières vidéos permettent de faire connaissance avec Mark Whatney (Matt Damon) et le reste de son équipage, qui semble plus incarné que celui de Prometheus. Mark Whatney s’occupe de filmer ce petit monde, le ton du film est donné, tout comme sa prémisse. Le format live-stream de la vidéo évoque ce que les astronautes ont déjà l’habitude de faire de nos jours, l’interface ayant été réalisée en partenariat avec la NASA. On est dans un référentiel connu, transposé à un futur où les astronautes sont des stars et des athlètes, puisque visiblement, dans ce futur, les gens préfèrent live-tweeter devant des astronautes plus que devant Top Chef. Détail intéressant : lors de la publication de la première vidéo, l’équipage était à 170 jours de son arrivée sur Mars, soit la durée restante avant la sortie du film. La campagne se déroule donc en temps réel.
Ce référentiel commun surgit encore une fois dans une autre vidéo dans laquelle Neil deGrasse Tyson présente son émission, Star Talk, depuis un futur semi-proche. Prometheus avait lui aussi utilisé ce procédé dans sa campagne virale : un Guy Pearce dans la fleur de l’âge donnant une conférence Ted Talk depuis l’année 2023, seule justification de sa présence en casting grimé en Père Fouras.
L’utilisation d’un format totalement raccord avec l’univers du film sert à la fois à en raconter l’histoire et à la crédibiliser. L’intention hard SF de Seul sur mars n’y est pas pour rien, Neil deGrasse Tyson étant le science guy qu’il faut appeler pour améliorer sa street-cred en la matière.
L’univers diégétique du film et sa promotion s’entremêlent, pour un résultat qui ne semble pourtant jamais dépasser le simple stade de divertissement. Et pourtant, c’est de manière assez subtile que Seul sur Mars utilise des ressorts marketing de manière totalement intégrée à sa narration.
L’avant-dernière vidéo met en scène Matt Damon en plein entraînement, dans ce qui s’apparente à une publicité pour l’expédition Ares 3. Ici, Mark Whatney est encore vu comme une star et un athlète, un autre indice qui indique que la conquête spatiale est, dans Seul sur Mars, un fer de lance de la politique nationale. C’est d’ailleurs un élément qui participe à le différencier d’Interstellar et même, certains diront, sert de plaidoyer pour la NASA. La séquence est, semble-t-il, faite pour être télévisée : la voix off et son discours aspirationnel, le montage et le reveal, une structure typique de publicité TV.
Sauf que cette fausse publicité en est une bien réelle. Matt Damon porte ici des vêtements de la marque de sport « Under Armour ». Celle-ci apparaît de manière quasi subliminale. Les pistes sont brouillées : la marque semble présente à la fois dans notre univers et celui du film, et ce dans le but de le crédibiliser davantage. Loin des placements de produits forcés cassant toute suspension consentie d’incrédulité (cough Michael Bay cough), la présence d’Under Armour ne gâche en rien l’expérience du film. On brouille ici encore plus la ligne entre fiction et réalité, sans pour autant interrompre la narration.
La dernière étape de la campagne est sûrement la plus fédératrice, car elle porte avec elle la tagline du film, ‘Bring Him Home’. Dans une vidéo du même nom, le monde entier semble partager la même émotion pour le sauvetage de Mark Whatney. Pour une comparaison de principe, Bring Him Home devient le ‘Je suis Charlie’ de ce monde-là, un message partagé par tous.
Encore ici, la technologie et les réseaux sociaux ont une place prépondérante (le hashtag mis en avant sur Tumblr, des gens qui ont étrangement encore des iPhone 4 en 2047). C’est carrément une cause internationale : Mark Whatney a beau être seul sur Mars, le monde entier est avec lui sur Terre. C’est narrativement très fort tout en nous attachant émotionnellement à l’intrigue.
Cette campagne virale est donc bien moins complexe que ce qu’on a pu voir pour Prometheus ou encore Hunger Games. Parce qu’elle n’a pas besoin de l’être. L’intrigue ne se prête pas à une multitude de faux sites, codes cachés ou encore à un ARG de grande envergure. On est face à un prologue qui garnit l’exposition du film et suscite la curiosité. C’est plutôt malin et surtout bien préférable à un trailer foisonnant de spoils. Et ce n’est pas du luxe pour un blockbuster SF de 2015.
Hugo Clery
Cette façon d’intégrer du placement de produit en brouillant les frontières entre le réel et la fiction me pose problème.
Bien sûr c’est malin et c’est plus confortable pour l’intelligence que de se voir imposer une canette de soda plein écran la marque bien orientée vers la caméra. Mais au moins dans ce dernier cas, on remarque le placement ce qui permet de se défendre de cette intrusion.
Là en montrant un personnage de fiction comme un personnage du réel on ne se défend plus aussi aisément de l’invasion publicitaire et marketing. On a affaire à quelque chose de composite, de complexe et de difficile à analyser en temps réel.
Le cinéma ne devrait pas servir à ce genre d’expérimentation mais au contraire renforcer l’esprit critique du spectateur. C’est mon avis.
C’est devenu un axe de travail chez Ridley Scott. Et je pense que Blade runner 2 sera une apothéose dans le genre.
C’est dommage de mettre son talent au service de la marchandisation de tout et n’importe quoi.
Je dois vivre sur Mars, je n’avais jamais vu une seule de ces vidéos, pas été en contact avec la moindre publicité autour de ce film, hormis la bande-annonce vue au cinéma.
Idem , je suis passé totalement à côté . La réelle question demeure donc l’impact de ces campagnes promotionnelles sur le grand public, et leurs utilités . Je ne pense pas que ce film nécessité un si grand étalage pour fonctionner en salle, le nom de Cameron suffit à déplacer les gens.
Je crois que Cameron se fait plaisir, il ouvre son histoire en amont, peut être parce qu’il n’a pas eu le budget pour le faire dans le film. Un peu à l’instar des web series qui viennent compléter une histoire où apporter des éléments.