
Sex and the series : cunni, clito, orgasme… Des mots à l’image
Le fait que les séries sont devenues des objets d’étude et de recherche comme des autres s’impose petit à petit dans le territoire français. Si les gender studies sont encore politiquement conspuées par certains, c’est pourtant une réalité du champ sociologique. Iris Brey réunit les deux dans un ouvrage généraliste sur la sexualité féminine dans les séries américaines.
L’histoire : La sexualité féminine est, dans un sens, politique. Elle est représentative d’une société et de la place des femmes à l’intérieur de celle-ci. Iris Brey, docteur en cinéma, propose un panorama des séries à l’heure actuelle dans un ouvrage thématique et didactique, qui décrit sans fard pratiques et réalités qui ont lieu sur le petit écran.
Mon avis : Parler de sexe, de femmes et de séries, forcément que ce livre allait titiller ma curiosité. Surtout dans une approche clinique, d’apprentissage, ni polémique, ni volonté de choquer. En effet, nous vous avions parlé il y a un an, de l’importance de la représentation des minorités dans les séries télé. Comment les récits structurent notre vision de la sexualité, mais aussi représentent des mécanismes de dominations sociales. Proposer une analyse, remplie d’exemples et un tout petit peu de théorie est donc salutaire pour connaître non seulement l’histoire de la place des femmes à l’écran, mais aussi ce qu’il en est aujourd’hui. D’où vient la nouveauté, comment se crée une avancée. C’est ce que fait Iris Brey dans cet ouvrage.
Pas la peine non plus d’être un serievore ou connaître les dernières séries du câble pour pouvoir suivre l’ouvrage. Chaque exemple donne un contexte, est approfondi et permet de comprendre les ressorts scénaristiques tout en évitant tout spoil majeur. Mais bon, vous serez quand même légèrement spoiler sur des éléments de l’histoire, mais rien de tragique. On parle de Desperate Housewives, d’Orange Is the New Black, The L Word, comme de The Wire ou Buffy. On s’attache à la petite histoire du clitoris, comme à la fluidité de la sexualité (et l’absence de toute revendication de bisexualité, sauf dans Grey’s Anatomy.) Bref, l’auteure propose un panorama, non pas complet, ça aurait été un peu beaucoup difficile, mais en tout cas très explicatif de ce qu’on voit et peut voir à la télé.
Peut-être, un peu plus de théorie aurait pu être développée, pour donner des outils de réflexion et l’état de la recherche aujourd’hui. Aussi, un petit aparté sur comment se créent les séries, qui a le dernier mot sur un scénario, la différence entre série de network et Netflix, autant de différences dont un court rappel/explication nous aurait permis de mieux comprendre l’horlogerie fine de la représentation. Et si je suis en désaccord peut-être avec Iris Brey, c’est sur le fait que l’absence de personnages se définissant comme bi, ne s’explique probablement pas par la représentation de sexualités plus fluides, qui d’ailleurs trouverait alors le nom de pansexuel pourquoi pas, mais par une invisibilisation de la bisexualité. Ne pas le dire permet de considérer les autres relations comme des passades.
Ce livre nous permet enfin d’ouvrir tout un champ d’étude qui nous montre que le terrain est encore à défricher et que de nombreux livres peuvent encore être à écrire sur le sujet. Pour la plus grande joie de ses lecteurs.
(Nota bene : le livre offre de nombreux exemples, et il ne se définit pas comme exhaustif. Il vous permet au contraire d’utiliser ses outils pour analyser votre série vous-même. Prenons l’exemple de Dark Angel, série où nous avons une héroïne non-blanche sexuée et usant à de nombreuses reprises du male gaze, Jessica Alba, sa colocataire noire et lesbienne, Original Cindy, qui est d’ailleurs transphobe et dont on ne voit jamais la sexualité en action. Ainsi dans la saison 1, épisode 8, Norman accepte que son date est trans, là où Cindy déclarera qu’elle ne sort qu’avec de « vraies femmes ». Aussi, dans l’épisode 4, des abus sexuels sur une jeune femme sont sous-entendus alors que Max est en prison.) (et cela fonctionne dans chaque série)
Si vous aimez : Teresa de Lauretis, Théorie queer et culture populaire. Ou quand vous avez sauté au plafond à la première scène de cunnilingus dans le pilote d’Outlander.
Autour du livre : il s’agit du tout premier livre des éditions Soap, livre dont l’idée a été discutée avec Iris Brey suite à une conférence au festival Séries Mania en 2015.
Extrait : « Grey’s Anatomy (2005), dont le titre est basé sur le nom d’un ouvrage enseignant l’anatomie humaine, est une série médicale de Shonda Rhimes, qui efface aussi le clitoris, car elle ne peut même pas utiliser le mot « vagin » sur la chaîne ABC. Lorsque le médecin Miranda Bailey, qui est en train d’accoucher, demande à l’un de ses internes d’arrêter de regarder son vagin, elle prononce le mot « vajayjay » au lieu de « vagina ». Shonda Rhimes affirme qu’une partie de son métier consiste à ajouter des mots au lexique du langage courant. Le journal The New York Times s’empare de ce phénomène de mode aux États-Unis, puisque même l’animatrice Oprah Winfrey se met à utiliser « vajayjay ». Celle-ci a demandé à Shonda Rhimes comment ce terme a été créé. La showrunneuse lui a répondu qu’elle s’est battue pour garder le mot « vagin », mais qu’elle a dû inventer un autre terme à cause de la censure de la chaîne. Elle a également souligné que, dans un même épisode, le mot « pénis » a été utilisé dix-sept fois sans que personne ne cille. »
Sortie : Soap éditions, 230 pages, 18,90 euros.