
Sherlock / Hannibal : Le retour des amitiés viriles
Cette semaine, le Daily Mars vous propose de vous pencher sur la question de la représentation des minorités dans les séries télé. Nous avons traité de la question de la couleur de peau ce lundi, puis du handicap, de la place des femmes, aujourd’hui place à la question gay.
SPOILER ALERT SHERLOCK ET HANNIBAL
Dans les années 50, au cinéma français, on voit fleurir « les amitiés viriles ». Des films où il n’y a que des hommes, musclés, qui ne sont pas des poules mouillés et s’entraident, réglant leurs conflits dans la sueur et les combats. Une façon de recréer une image de ce qu’est le « mâle » après la Seconde guerre mondiale. Mais aussi un moyen de compter d’autres histoires, cachées car interdites, des histoires d’amours viriles, des histoires qui étaient interdites, celles de deux hommes entre eux. (C’est d’ailleurs l’un des cadres d’analyse du film Le salaire de la peur, d’Henri-Georges Clouzot).
La question gay était alors taboue. Il fallait faire passer le message différemment, en montrant des amis « intimes », qui échangeaient des cadeaux ou qui piquaient une crise de jalousie quand l’un ou l’autre déménageait de la « coloc ». Aujourd’hui, le héros peut être moins musclé, la mode n’est plus à la Schwarzenneger. Les romances entre hommes sont même le cadre de certaines séries, Queer as folk ou même Plus belle la vie. Pourtant, il y a un retour de ces amitiés « viriles », en tout cas ces amis trop amis pour être totalement honnêtes. Les deux meilleurs exemples dernièrement sont les séries Sherlock et Hannibal.
Dans la série de Steven Moffat, nous allons voir pendant deux saisons Sherlock et Watson vivre en colocation, et passer leurs journées à combattre le crime. Dans la série de Bryan Fuller, Hannibal et Will se tournent autour, se cherchent, tentent de se piéger l’un et l’autre, de se comprendre, d’entrer dans la tête de chacun, de se tuer. La saison 2 s’achèvera dans un climat de haine et de tension sexuelle, où Hannibal tuera leur « fille adoptive », Abigaël, avant de plonger son couteau (est-ce vraiment la peine de revenir sur la dimension phallique de l’instrument ?) dans le ventre de Will, tenant sa tête proche de la sienne. Will ne se défend alors même pas, sous le choc de la révélation du plan d’Hannibal (partir ensemble, loin, en amoureux).
Si dans la première série la relation est apaisée, elle l’est bien moins dans la seconde. Néanmoins, les deux séries joueront sur le tableau de la séduction, de l’amitié fusionnelle, tout en affirmant haut et fort leur hétérosexualité : qu’il s’agisse de Watson « Je-ne-suis-pas-gay « , la preuve puisqu’il se marie, ou de Will qui tombe amoureux d’Alana et couche avec Margot (même si la scène se floute en un très beau plan à trois où Will et Hannibal partagent le même lit). Des relations presque amoureuses (dans un cas, ils partagent un appartement) dans les deux cas, mais platoniques.
Ainsi, on pourrait presque parler dans les deux cas de « queer baiting » : la tentation d’introduire un sous-texte « gay » pour attirer un public LGBT. Sans pour autant dépasser la ligne rouge et rendre les personnages réellement gays. Le rapport avec les amitiés viriles ? C’est qu’au final, c’est le public qui décide (ou presque). À lancer des appâts si gros, à faire vivre un sous-texte en utilisant des symboles forts, le showrunner peut perdre l’analyse première de sa série, qui finit par le dépasser.
Là où Henri-Georges Clouzot introduisait du sous-texte pour créer un récit parallèle, récit compris par ceux qui en avait les codes, Moffat et Fuller connaissent les codes et les utilisent pour attirer plus de monde en une promesse non-réalisée. Ou dans le cas d’Hannibal, qui devient une ligne de récit parallèle et non-défendue par ses acteurs (qui en même temps, déclarent que toute interprétation est libre) : celle d’une histoire d’amour dévorante et passionnelle entre un psy et son patient.
Pour autant, il ne faut pas négliger qu’il existe des amitiés fusionnelles entre hommes. Mais à jouer avec des codes qu’on essaye de détourner ou d’user en running gag, on finit par s’emprisonner dans une situation intenable où la seule solution est de faire dire : « je ne suis pas gay. » Réponse : Mais bien sûr…
Pour aller plus voin : Réflexions sur la question gay, de Didier Eribon.
Autant pour sherlock, je serais d’accord avec ton analyse d’autant la relation Sherlock Watson à longtemp été considéré comme une relation Gay. c’est d’ailleurs peut etre pour cela que Moffat a cru bon de devoir le préciser dans sa serie , peut etre pour mettre un terme aux eternels questionnements
Mais dans le cas d’Hannibal , je suis assez dubitatif.
comme tu le dit c’est au public de décider. Personnellement Hannibal est un solitaire qui souffre de sa solitde et qui a vu en Will la possibilité de vivre avec un autre « Lui », d’ou la volonté de transformer Will en un Hannibal, seul capable de le comprendre.
mais bon le dit Freud , tout est sexuel alors….
La nourriture est aussi un puissant facteur de sexualité (cf. le mythe du vampire). Nourrir l’autre pour le rendre pareil à soi, pour le consommer dans un acte charnel, semblable à celui du sexe. Et ce d’autant plus quand on cherche à transformer l’autre, à tuer avec lui ou à le faire tuer.Il ne s’est pas nourri de Will (enfin, si, de son esprit dans un sens) mais l’a forcé par exemple à avaler une oreille.
Je pourrais parler du dernier livre de Harris mais risque de spoilers alors chut (Hannibal, le livre).
**********SPOILERS SAISON 2************
De plus, le final de la saison 2 est assez révélateur avec un Hannibal qui souhaiterait partir en mode « Thelma et Louise » avec Abigael qui est réellement considérée comme leur fille (en tout cas dans le cas de Will et on peut supposer dans celui d’Hannibal qui déclare qu’ils sont tout ce qui lui reste dans la S1.Il y a un côté emminement romanesque dans ce final.Qui tombe à l’eau.
j’apprécie ton analyse même si j’ai une lecture différente de tes deux exemples:
– pour le final, Hanibal en présentant Abigael a Will s’incarne un Un dieu vivant, ayant le pouvoir de vie et de mort. Ultime étape de la transformation de Will avec une révélation, il est l’élu celui qui portera la parole de son dieu. Lui et Abigael forme l’ Adam et Eve d’une nouvelle ére. Will considerant Abigael comme sa fille, la relation est donc pure, non charnelle(même si il y a un œdipe caché certainement). Ils sont les enfants d’Hannibal, il les a créé, modeler à son image.
– pour la nourriture, Hannibal montre sa part de divinité a ses convives, Il est admiré pour ses talents de cuisinier, il s’entoure donc d’une communauté de fidèles qui lui voue une admiration. En les nourrissant avec des organes humains, il les convertit tout comme il l’a fait pour Will et certainement Abigael. En ingérant lui même des organes humains, il s’approprie l’âme de ses victimes, une part aussi de leur humanité qu’il fait sienne. Car Hannibal estime avoir perdu toute part de son humanité, peut être en vengeant la mort de sa soeur (Hannibal les origines du mal )N’étant plus Homme , il est dieu, un être infini qui survole les hommes. En dégustant ses victime il espéré redevenir un homme parmi les hommes.
OU alors il est gay ^^
Merci pour tes explications, c’est vraiment intéressant. C’est pour ça que cette oeuvre est incroyable de complexité, il y a vraiment différents niveaux d’analyses et de compréhension. Et j’avoue, le côté création Adam et Eve, je n’y ai pas du tout pensé. Car si la transformation d’Abigael est effectivement mise en oeuvre dans la saison 1, on ne la voit pas dans la saison 2. Et le peu qu’on la voit, elle a l’air terrifiée et n’accepte pas cette transformation. Déjà dans la S1 elle se rebelle contre son « créateur » en révélant le corps de l’homme qu’elle a tué, Nicholas Boyle. Pour moi, Abigael était plus l’offrande d’Hannibal à Will, et si on retourne à la bible, le côté « sacrifice d’Abraham ».
Si je suis d’accord avec toi, sur l’ingestion de l’âme de ses victimes, je ne pense pas pour autant qu’il veuille redevenir un homme. Il veut attirer quelqu’un, comme Clarisse dans le livre « Hannibal » ou Will dans la série, à son niveau. Et donc les nourrit de chair humaine. Pas sur qu’il veuille descendre au leur.
OU alors, Hannibal est une divinité pansexuelle. (TADAM)
En effet il y a plusieurs niveaux de lecture et c’est tout le charme de la série. J’avoue , je viens de revoir le final de la série, et j’espère que nous aurons l’occasion d’en rediscuter au cours de la saison 3. A bientot ^^