Sherlock Holmes vs Cthulhu : encéphalogramme plat

Sherlock Holmes vs Cthulhu : encéphalogramme plat

Note de l'auteur

Pas de Cthulhu ici, et guère plus du Cerveau des cerveaux, Sherlock Holmes, contrairement à ce que promet le titre de ce roman signé Lois H. Gresh. Un récit confus, avec un Watson larmoyant, un Holmes sans épaisseur et trop peu d’horreur lovecraftienne.

L’histoire : Une série de meurtres macabres et terrifiants secoue Londres. Sur les lieux du crime, il ne reste rien d’autre qu’un tas d’ossements ainsi qu’une étrange sphère en os, sur laquelle des symboles arcaniques semblent avoir été gravés. Le fils de la dernière victime demande l’aide de Sherlock Holmes et du docteur John Watson. Tous deux tentent de découvrir le fil conducteur qui pourrait unir les assassinats, et de confondre leurs responsables. Mais à mesure qu’ils progressent dans leur enquête, la logique si chère au célèbre détective de Baker Street semble s’évaporer au profit de l’inconcevable, à l’image de cette terrible machine tueuse que d’aucuns prétendent “vivante”, ou des membres de cet “Ordre de Dagon” dont les cultes et rituels rivalisent de ferveur et d’horreur.

Mon avis : Tout part d’un postulat de départ – opposer Sherlock Holmes, le héraut de la raison, à la cosmogonie lovecraftienne chantre de l’indicible – des plus alléchants. OK, voilà aussi une proposition parfaitement casse-gueule si la maîtrise de discours aussi différents (très contrôlé chez Holmes, jusqu’au gothique le plus échevelé chez Lovecraft) n’est pas au rendez-vous.

Personnellement, je marche à fond dans un premier temps, comme pour tout ce qui peut opposer le détective de Baker Street à des créatures improbables comme Jack l’Éventreur (Meurtre par décret, le film de 1979) et Dracula (Le dossier Holmes-Dracula, roman de Fred Saberhagen), et Dieu sait quoi encore. Le ciel est la limite.

Reste qu’après cet appétit a priori, l’œuvre en question doit tenir ses promesses. Car en mêlant des franchises aussi installées que Holmes et Cthulhu, on place la barre haut. Très haut. Le roman signé Lois H. Gresh chez Ynnis éditions, premier d’une trilogie, transforme-t-il l’essai ? Malheureusement non. Et de loin.

En réalité, ce roman, sous-titré Les dimensions mortelles, présente un double visage. Commençons par la partie Holmes, la plus faible. Voici un univers très codifié, avec ses mécaniques précises, ses dialogues particuliers, son approche du personnage du détective, tout à la fois ultra-cérébral et adepte des déguisements, des infiltrations, bref, de l’action. Holmes paraît ici souvent énervé, on ne retrouve aucune de ses fulgurances déductives, ni vraiment son caractère propre.

Holmes se présente comme un homme colérique, qui “glousse” énormément, ne prend guère de décisions (et aucune qui lui donne une longueur d’avance sur les événements), passe son temps à affirmer que tous ces salmigondis pseudo-lovecraftiens sont “impossibles”, et manque parfois complètement son coup. Par exemple, lorsque la version déstructurée de la Norma retentit dans l’auberge, pourquoi ne se rue-t-il pas vers la chambre du haut ?

Lois H. Gresh reprend la structure de la “narration par Watson”, mais un Watson larmoyant. Un Watson entre deux feux, entre Holmes et son épouse Mary (qui vient de donner naissance à un petit Samuel), jamais droit dans ses bottes ni acteur des événements. Un médecin et époux qui, pourtant, s’avoue carrément “accro” à son ami détective, dans une sorte de relation vaguement homoérotique des moins crédibles :

Comme elle était belle, ma Mary. Des cheveux blonds, des yeux bleus, un doux visage. Et son cœur était tout aussi magnifique.
Et pourtant, j’étais incapable de résister à Holmes. Sans lui, ma vie aurait été faite de consultations, de tourtes et de longues promenades vespérales. Je le trouvais fascinant et génial, sa présence m’emplissait d’énergie. Je me sentais vivant. Je m’inquiétais de son addiction aux drogues, mais c’était pour des raisons purement égoïstes, car qu’aurais-je fait de ma vie sans lui ?
Mon addiction à Holmes était peut-être aussi dangereuse que sa passion pour la morphine et la cocaïne.
Je me séparai de Mary et m’enfuis de l’appartement en oubliant de lui dire que je l’aimais, puis sautai dans le fiacre où Holmes m’attendait. »

Cela n’ira pas plus loin que cela, Lois H. Gresh ne creusant pas cette veine des relations Holmes-Watson, autrement que pour faire répéter par Watson, jusqu’à la nausée, à quel point il regrette de ne pas être avec Mary… tout en fichant le camp dès que Holmes est dans les parages. Quand Watson (pour guère de raisons) est convaincu d’avoir vu épouse et enfant brûler et fondre sous ses yeux, on est noyé d’une sentimentalité cheap et bâclée. Le docteur nous assomme régulièrement de propos cucul la praline sur son épouse et sur “sa tristesse de devoir toujours la quitter pour sauver le monde”.

Lois H. Gresh

Watson est “modernisé” (si l’on peut dire) en ceci qu’il est davantage porté sur l’introspection que dans les récits du canon doylesque. Trop, et mal. On ne reconnaît pas le Watson ex-militaire. Le récit de ses père et mère est vite expédié, baigné de sensiblerie et paradoxalement, par manque de talent dans l’expression, incapable de transmettre des émotions au lecteur. Il en va de même du “discours social” de Watson, cliché et passablement lourdingue. Bref, tout le discours de Watson – soit la part du lion de ce roman – est parfaitement insupportable.

La partie Lovecraft est un peu mieux maîtrisée. Normal, si l’on en croit l’éditeur, puisque Lois H. Gresh est « une autrice lovecraftienne réputée dont les textes ont figuré dans bien des anthologies ». Quoi qu’il en soit (et en dépit du fait qu’on ne voit guère l’effet de ses 28 livres publiés sur la qualité du présent roman), c’est dans les méandres crapoteux du culte de Dagon qu’elle s’en sort le mieux. Ce n’est pas encore flambard, mais le lecteur s’y retrouve un peu plus.

La machine comme être vivant (et tentaculaire), avec son côté “Cthulhu by Gaslight”, comme une sorte de Grand Ancien steampunk. Une scène hallucinée dans un asile psychiatrique. Quelques accès de gore. Des narrations assumées par des adorateurs de Dagon. Une violence qui détonne dans le contexte général du roman, avec des accents quasiment barkeriens à l’occasion. C’est mieux mais ça ne suffit pas. Et cela repose, par contraste, la question : pourquoi avoir repris les personnages de Holmes et Watson pour ne rien en faire de convaincant ? Pourquoi ne pas avoir plutôt développé ses propres personnages de détectives ?

On ne citera pas toutes les invraisemblances et les incohérences d’un récit mal tenu en laisse. Un fauteuil ultraluxueux dans un simple pub ? Holmes qui tient Watson par les coudes pour l’aider à descendre dans une galerie souterraine ? Des poteaux à la fois « découpés dans d’énormes troncs » et « constitués de lattes » ? Comment les événements de Blois sont-ils réellement parvenus aux oreilles de Holmes ? Pourquoi Mary finit-elle brusquement par accepter de laisser son mari filer avec le détective en France ? Mary semble meilleure scientifique que Watson, pour quelle raison ? Dans la caverne, les angles « changeaient souvent » et pourtant le narrateur connaissait « chaque crevasse, chaque angle » ? Au bout de 300 pages, Watson parle toujours d’une « coïncidence », vraiment ?

En 470 pages, ce roman tourne en rond, ne résout rien – oui, c’est le premier tome d’une trilogie, mais il n’offre pas la moindre résolution, car il n’y a pas d’enjeu derrière tout cela – se révèle verbeux (Watson a la manie de parler tout haut aux pires moments), intègre des personnages mal choisis et mal définis (le frère de Moriarty ?), et surtout, surtout, n’espérez pas apercevoir le début d’une ombre de Cthulhu, contrairement à ce que le titre laisse entendre. Pas de Dagon non plus, d’ailleurs. Que des sous-fifres.

Pas de Cthulhu ici, et guère plus de Sherlock Holmes. Dommage.

Sherlock Holmes vs Cthulhu : Les dimensions mortelles
Écrit par
Lois H. Gresh
Édité par Ynnis

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