
Signal d’alarme (critique de American Nightmare, de James DeMonaco)
Second long métrage de James DeMonaco, American Nightmare (The Purge en V.O) envisage un futur dystopique dans lequel, une fois par an, la population a 12h pour tuer son prochain en toute tranquillité. Une famille aisée, pourtant barricadée dans sa maison, va faire les frais de l’hystérie collective et sera confronté à un choix moral cornélien. Handicapé par un script peu carré mais ponctuellement efficace, le film offre une allégorie glaçante sur les démons les plus tenaces de l’Amérique contemporaine. Une démarche qui force obligatoirement le respect.
Synopsis dossier de presse
Dans une Amérique rongée par une criminalité débridée et des prisons surpeuplées, le gouvernement a donné son accord pour qu’une fois par an, pendant 12 heures, toutes activités criminelles, meurtres inclus, soient légalisées. la police ne peut intervenir. LEs hôpitaux suspendent leurs services. Une nuit durant, les citoyens sont à même de définir leurs propres règles et de faire leur propre loi, sans avoir à craindre de sanctions. Au cours d’une telle nuit hantée par la violence et le crime, une famille va devoir faire un choix – bourreau ou victime ? – face à un inconnu venu frapper à sa porte.
Le 26 février dernier, à Sanford (Floride), lors d’une ronde de nuit, l’employé de bureau George Zimmerman tirait en pleine rue mortellement sur le jeune Noir Trayvon Martin, suspecté de préparer un mauvais coup alors que la victime rentrait seulement chez elle (et sans arme). Trayvon Martin avait 17 ans. Entre ce tragique fait divers et les fusillades à répétition qui ensanglantent périodiquement l’Amérique depuis plusieurs années, impossible de ne pas prendre en pleine poire American Nightmare (titre « français » putassier mais juste de The Purge) comme un puissant manifeste politique, courageux par les temps qui courent même si sa forme déficiente en limite la portée. Parce qu’en cette ère de déresponsabilisation générale du cinéma de genre, mesdames messieurs il en faut, des cojones, pour écrire et réaliser un thriller horrifique où les Etats-Unis autorisent, dans un futur proche, leurs chers citoyens à zigouiller tout le monde à vue pendant 12h une fois l’an, sans intervention de la police. Un cauchemar dystopique cautionné par un gouvernement d’illuminés ultra-conservateurs, les « Nouveaux Fondateurs de l’Amérique », qui ont pris le pouvoir dans un pays rongé par l’ultra-violence et les émeutes sociales. Grâce au 28e amendement légalisant la “purge” annuelle, chaque américain peut donc saisir les armes et buter qui bon lui semble… sachant que les pauvres, SDF et minorités ethniques sont généralement les premiers visés. Pas de chance pour l’expert en sécurité James Sandin (Ethan Hawke) et sa famille, résidants d’une banlieue cossue et hyper protégée : en pleine nuit de purge, un fugitif black poursuivi par une meute armée jusqu’aux dents parvient à se réfugier dans leur maison bunker pour échapper à ses assaillants.

Les yuppies à la recherche d’un fugitif qui a trouvé refuge chez les Sandin… un petit air d’Assaut.
Cent pour cent original, ce postulat que n’auraient pas renié le Carpenter de Assaut et They Live, ni le Penn de La Poursuite impitoyable, tend à l’Amérique un miroir à peine déformant d’un présent qui, à l’occasion, fait légèrement froid dans le dos. Thématiquement riche et autrement plus abrasif que Hunger Games, The Purge prend à bras le corps autant d’épouvantails du pays de l’Oncle Sam : la question raciale, les armes à feu, la violence, l’influence croissante de l’ultra-conservatisme religieux (allez au hasard de l’actu récente, sur l’avortement ), le sort des plus pauvres… Asile de fous à ciel ouvert, la société futuriste décrite dans The Purge a fait le choix d’acheter sa tranquilité et sa prospérité au prix d’un massacre annuel de masse, supposé assainir les pulsions nationales, nettoyer les rues et décourager l’immigration.
Effrayant, à l’image d’un glaçant générique d’ouverture montrant les différentes purges annuelles par le biais d’un montage d’images de caméras de surveillance. Même si la date de 2022 semble un poil trop proche pour laisser le temps à l’Amérique de basculer dans ce type de folie collective institutionnalisée, American Nightmare entre malgré tout en troublante résonnance avec l’affaire Martin et l’éternel débat local sur les armes à feu. Rappelons qu’en 2005, le lobby des armes, emmené par la puissante NRA, a réussit à faire passer la loi “Stand your ground” (“Défendez-vous”), qui étend aux cas de violation de domicile le champ de l’usage du tir en état de légitime défense. Obama ou pas, l’Amérique de 2013 n’en a pas fini avec ses démons, bien au contraire.

La famille Sandin regarde La Purge à la télé… Dernières minutes avant le chaos.
Scénariste d’Assaut sur le central 13 (oui bon…), James DeMonaco réalise ainsi un second film marqué du sursaut citoyen, d’autant que son opinion sur la dérive actuelle est sans ambiguité, dans un final en forme de poing dans la gueule asséné aux forces réacs de son pays. On notera aussi au passage le coup de griffe indirectement adressé à la télé-réalité, cette saloperie aliénatrice et productrice de néo-fascistes qui s’ignorent, cancer moral de notre présent et forcément indissociable d’un futur dans lequel les nuits de purge font l’objet d’un grand prime time annuel. Hélas, la charge socio-politique de The Purge est en partie desservie par une construction chaotique : les actes de certains personnages sont particulièrement mal gérés (la palme du comportement idiot et illogique à la fille Sandin pendant le huis clos), tandis que certaines incohérences ou scènes laissées en plan inopinément, nous décrochent parfois de l’action quand le film devrait nous capturer sans merci dans ses filets. Sans doute par économie de moyens, The Purge réduit ainsi sa parabole à un film de “home invasion” mal maîtrisé, heureusement ici et là dynamité par quelques rixes badass lorsque la bande de jeunes yuppies emmenée par un terrifiant leader anonyme (Rhys Wakefield et ses faux airs du Heath Ledger de The Dark Knight) déferle dans la maison des Sandin pour lyncher leur proie.
Au côté d’un Ethan Hawke sans éclat particulier, on retiendra surtout une nouvelle composition stupéfiante de l’actrice métamorphe Lena Headey, à peine reconnaissable en femme au foyer brune et peu à peu rongée par le malaise. Sans vous dévoiler la fin du film, on peut cependant vous confier que ce n’est bien sûr pas en une nuit que tout un système sociétal abject sera balayé par les “gentils”… Ni James DeMonaco ni ses personnages ne changeront rien à la réalité de leur époque respective. Malgré son succès (64 patates rien qu’aux US, pour seulement 3 millions de dollars de budget !) et son écho médiatique, The Purge n’empêchera pas d’autres fusillades ni ne suscitera de prise de conscience nationale. Mais au moins, James DeMonaco a explicitement tapé du poing sur la table et pris publiquement position. La connerie humaine, mère des pires extrémismes et préjugés, il la gifle à la fin de son film comme Romero le faisait frontalement dans le final nihiliste de La Nuit des morts-vivants. Aussi imparfait soit-il, American Nightmare a le mérite d’assumer un rôle de vigie devenu trop rare à Hollywood. Inutile de dire que ça fait du bien.
American Nightmare (The Purge), de James DeMonaco. Scénario : James DeMonaco. Sortie nationale le 7 août 2013.
Mars + : le dossier de presse d’American Nightmare nous apprend que James DeMonaco dit avoir été fortement inspiré pour son film par La Loterie (une nouvelle publiée par Shirley Jackson en 1948) ainsi que la nouvelle The Most Dangerous Game de Richard Connell (1924). Au cinéma, The Most Dangerous Game a donné le classique du même nom signé Ernest B. Schoedsack et Irving Pichel, sorti aux Etats-Unis en 1932 et exploité deux ans plus tard en France sous le célèbre titre de La Chasse du comte Zaroff. Le film fut longtemps ré-exploité sur divers supports sous le titre Les Chasses du conte Zaroff , mais La Chasse du comte Zaroff reste bien le titre français original. The Purge est par ailleurs co-produit par Jason Blum (producteur low-cost malin des Paranormal Activity, Insidious et Sinister) et la société Platinum Dunes de Michael Bay. Une suite est déjà dans les starting-blocks.
Ton article donne envie de le voir 😉
Je me souviens d’un téléfilm ou d’un épisode de série il y a une dizaine d’années (peut-être « Au delà du réel ») qui reprenait à peu près tous ces éléments, à ceci près qu’il y avait un grand tirage au sort télévisé (et truqué) pour désigner les personnes qui pouvaient être tuées.
Sinon tout le reste y était, dictature néo-fasciste, soupape de décompression pour la population, chasse aux sorcières …
The Purge n’est donc peut-être pas si original ni couillu que ça mais ça peut-être intéressant de voir la différence de traitement du sujet à 10 ou 15 ans d’intervalle.
La série dont tu parle c’est Sliders où en effet dans un épisode une loterie géante (générée par le retrait d’argent, on peut retirer tout ce qu’on veut en banque mais ça donne plus de chance d’être choisi) tuait des gens. C’était pas tant pour lutter contre le crime que contre la surpopulation. Bon épisode avec Nicholas Lea (le futur Krycek de X-files)en guest.
Je cherche justement un téléfilm que j’ai vu il y a longtemps. Il y était question d’une dimension parallèle, où toutes les voitures étaient blanches et en libre service, les gens pacifiques grâce à une petite opération du cerveau, et où tous les 11 du mois une chasse à l’homme est organisé pour « calmer les nerfs des gens »… et aussi en profiter pour éliminer les éléments perturbateurs.
Deux personnages se retrouvent au milieu de tout ça, l’un des deux est obèse et se retrouve confiné dans une sorte de chalet dans les bois, loin de la société. Je cherche ce téléfilm depuis des années, mais impossible de mettre la main dessus !
Bonjour,
Je recherchais aussi ce film et ton commentaire ma permis d’amélioré ma recherche.
Le film se nomme :
– Univers parallèle ou
– Tempting Fate
du Réalisateur : Peter Werner il date de 1998
Il est disponible sur Youtube en VO.
En espérant que tu verra ma réponse.
Cordialement.
Le film a surtout un vrai parfum de série B comme on en voit plus beaucoup. Carpenter est effectivement l’inspirateur direct de James de Monaco. Les problèmes que Plissken soulèvent me semble venir surtout de scènes qui ont été coupées et qui nous empêchent de mieux comprendre les motivations de certains personnages. Je pense au moment où Ethan Hawke décide finalement d’aider le black. Ce retournement est trop soudain, en un cut. Le film sent le montage resserré pour plus d’efficacité. C’est toujours suspect un film qui fait 1h28 ! Peut-être qu’un Director’s Cut ou des scènes coupées sur un DVD à venir nous en dira un peu plus sur le film tel que voulu par son auteur. À part ça faut vraiment aller le voir. De la bonne série B en été c’est rare et me rappelle tout un tas de bons souvenirs de quand j’étais petit et que John Plissken fantasmait devant les films de Just Jaeckin. Si si il a fait ça ! Damouk a des photos de la chose…
Heuuu… AHEM !
Il y a quelques mois, j’ai vu un épisode de la série original Star Trek qui avait un scénario assez similaire. L’histoire d’une civilisation très stricte où les autorités laissaient une journée de déchainement de violence.
Du coup je me pose la question sur l’originalité du sujet dans ce film.
https://en.wikipedia.org/wiki/The_Return_of_the_Archons
Chers Laaris et Gregorius, je pense qu’il y a un tout petit malentendu dû à l’usage du terme « original » dans ma prose : quand j’écris « 100% original », c’est au sens de « non adapté d’un roman » ou « non tiré d’une quelconque franchise ».
Après, le pitch en lui-même a forcément des réminiscences d’autres postulats plus anciens, je ne dis pas qu’il est révolutionnaire. Son intérêt, c’est qu’il produit un vrai discours, un point de vue sur un aspect de la réalité de l’Amérique d’aujourd’hui : dans le quasi désert intellectuel qu’est devenu le cinéma de genre, c’est suffisamment rare pour être salué.
Hum, pour le coup je te trouve bien indulgent avec un film qui manque clairement d’ambition pour moi, qui ne bénéficie d’aucune plus-value visuelle et avec lequel on obtient un résultat fade et sans relief (un peu comme Ethan Hawke ici d’ailleurs).
Bravo, je sors tout juste du film et suis 100 % d’accord avec ta critique, mon cher Plissken. Cela fait un pitain de bien de voir un film comme ça. J’ai pensé, comme toi, à Carpenter. Un peu plus de travail dans la mise en scène, et il atteindra l’état de grâce, DeMonaco…
C’est une histoire de références, mais j’ai beaucoup pensé à la série Black Mirror, qui réussit pour moi là où The Purge échoue : l’absence totale de subtilité m’a empêchée d’être totalement happée par cette histoire pourtant glaçante… Comme tu l’as fait remarquer, les intentions sont là – et honorables, même si la forme et la construction sont un peu bancales.
(Par contre, j’ai vraiment trouvé que la dernière partie virait au nanard, et au vu des éclats de rires dans la salle, j’étais pas la seule.)
Bonjour,
J’ai vu recement la bande annonce au cinéma et elle ne m’avait pas du tout attirer. Il faut dire que la phrase « Par le producteur de Paranormal activity » m’avait totalement refroidi. Ton article a fait rejaillir une once d’espoir. J’essaierai d’aller le voir cette semaine (je sens qu’il ne va pas rester longtemps).