
Summer Flashback (4/10) : Robocop, de Paul Verhoeven (été 1990)
Attention cher lecteur, je vais m’aventurer ici dans le terrain de la nostalgie la plus absolue, du souvenir poussiéreux tellement autobiographique que c’en est presque indécent. Ce « Summer Flashback » consacré au fantastique Robocop du non moins fantastique (à une certaine époque) Paul Verhoeven, est tout bonnement une plongée dans les tréfonds d’un jeune esprit malade obnubilé par le désir de voir ce chef-d’oeuvre des années 80 sur grand écran. Les plus vieux d’entre vous auront certainement remarqué que ce film n’est pas sorti dans les salles obscures françaises en été, mais bien à la fin du mois de Janvier 1988. Et c’est là tout “l’intérêt” de cet article. Je vais vous conter l’histoire d’un gamin un peu dérangé qui n’eut de cesse, pendant quelques années, de courir après une projection d’un film aujourd’hui devenu un monument du cinéma de genre.
Début Janvier 1988, chez le libraire situé en bas de ma rue, j’ai 8 ans. Déjà bien gavé de films fantastiques, de science-fiction et même d’épouvante grâce à ma chère carte d’abonnement à mon vidéo club de quartier, mon œil est tout de suite attiré par la couverture de L’Écran Fantastique de ce mois. C’est le numéro 88, le spécial Robocop. Je n’ai jamais entendu parler de ce Robocop mais ce cyborg massif au design solide et rutilant me titille tout de suite la rétine. J’implore ma mère d’investir 25 francs dans ce numéro et passe mon après-midi à lire et relire l’article consacré au film. Très tôt sensibilisé aux effets spéciaux et à l’imagerie fantastique par le fils de ma nourrice, un certain Hervé Coiral, je suis avant tout stupéfait par les images montrant un homme en train de fondre, une sorte de fromage à pâte môle humain, un reblochon anthropomorphe. L’effet est bluffant, terrifiant de réalisme. Je n’ai jamais vu ça, même dans Le Loup-garou de Londres (An American Werewolf in London) de John Landis, qui est à l’époque ma référence ultime en matière de maquillages latex crados. L’univers esquissé dans ces pages me fascine déjà. Le look des armes, des véhicules, ce sublime et menaçant ED-209, cette violence qui transpire de chaque image. Je suis hypnotisé.
Il faut absolument que j’arrive à voir ce film avant qu’il sorte en VHS dans 176 mois. Je risque d’avoir beaucoup de mal à trouver le sommeil après la projection, ma mère va encore me passer un savon de tous les diables, mais le jeu en vaut certainement la chandelle. Avant de l’avoir vu, je rapproche naïvement Robocop d’un sous-genre que j’aimais beaucoup à l’époque et dont je louais souvent les VHS usées. Ces films de cyborg fauchés mais toujours fun et généreux comme Vindicator (ma jaquette préférée de 1988), Decapitron (Eliminators) et surtout Atomic Cyborg (Vendetta dal futuro) de Sergio Martino, que mon père m’avait fait découvrir. J’étais loin de m’imaginer que Robocop allait bientôt balayer la concurrence d’une simple rafale d’Auto-9.
Fin janvier 1988, sortie du film au cinéma et retour à la réalité. Je suis étonné d’apprendre dans l’Officiel des spectacles que, malgré les images bien sanguinolentes présentées dans mon Écran Fantastique, Robocop est seulement interdit aux moins de 12 ans. Mes parents connaissent ma passion pour ce cinéma et ces univers particuliers, cela ne semble pas les inquiéter plus que ça, mais ils savent très bien que nous ne passerons pas l’étape du guichet. C’est peine perdue. Bien heureusement, quelques années plus tard, j’élaborerai une technique quasiment infaillible afin d’outrepasser ces interdictions, astuce qui me servira à finalement atteindre mon objectif.
De nombreux et longs mois passent, nous sommes en 1990, et Robocop est devenu un phénomène cinématographique. Lorsque la VHS sort finalement en location, la popularité du film est telle qu’il est quasiment impossible de mettre la main sur une copie dans mon vidéoclub. Contraint de me rabattre semaines après semaines sur du second choix, je prends mon mal en patience et économise afin de me payer la version à la vente qui coûte approximativement un bras gauche de Murphy.
Puis vient ce jour inattendu, presque inespéré de l’été 1990. Vingt-trois ans plus tard, mes souvenirs sont encore limpides comme de l’eau de roche. Alors que mes parents et moi sommes en vacances en Haute-Savoie, nous revenons d’une randonnée près du Cirque du Fer-à-Cheval. Je suis en train de somnoler à l’arrière de la voiture familiale un Strange à la main, assommé par la chaleur, quand une silhouette bien connue attire mon regard. En traversant la petite commune de Samoëns, je remarque furtivement devant un petit cinéma un splendide Robocop grandeur nature en carton. Je supplie alors mes parents de s’arrêter afin que je puisse enquêter sur l’affaire pendant qu’ils se désaltèrent au café du coin. Épuisés par la marche autant que par leur fils, ils acceptent.
Devant ce cinéma ne comptant que deux salles, j’apprends qu’une rétrospective mensuelle thématique consacrée aux polars honore ce soir le film de Verhoeven. Hérésie savoyarde, Robocop n’est certainement pas un polar, mais je suis prêt à passer l’éponge sur cette révoltante approximation afin de pouvoir enfin concrétiser mon rêve. Revenu au bar où mes parents jouissent d’un repos bien mérité, mon visage est illuminé par la possibilité d’accéder au Graal. Mes géniteurs, compréhensifs et amusés par mon euphorie habituelle, m’invitent à tenter une percée pendant qu’ils se restaurent dans une brasserie toute proche. La voix est ouverte, les planètes parfaitement alignées, je ne peux plus échouer.
Me vient alors à l’esprit une tactique simple et pourtant machiavélique que je réutiliserai quelques mois plus tard à Paris afin de m’incruster dans une séance de Terminator 2 interdite aux moins de douze ans. Le traquenard est assez simple mais diaboliquement efficace. J’achète tout d’abord une place pour un métrage approprié à un enfant de 10/11 ans, comme une comédie ou un dessin-animé quelconque. Je prends alors place dans la salle, puis quelques minutes après que les lumières se soient éteintes, j’en sors et entre discrètement dans la salle du film interdit. Si en chemin je viens à croiser un employé du cinéma dans le hall, le plan B entre alors en action. Je prétends que le film interdit pour lequel j’ai payé ma place m’effraie et lui demande si je peux aller voir la comédie à la place. Ce dernier me répond inévitablement qu’on ne peut “uniquement voir le film pour lequel on a payé sa place”. Discipliné, je ne le contredit pas et entre dans la salle de la séance interdite sous ses yeux. Un plaisir incommensurable.
C’est ainsi que j’entre dans cette minuscule salle, quelques minutes après le début du film, alors que Murphy est encore Murphy. Le plaisir est immense, le film largement à la hauteur de mes attentes les plus folles. Je suis fasciné par cet univers tour à tour drôle, violent, futuriste et pourtant si réaliste. Je ne comprends bien entendu pas la moitié des sous-entendus et des thématiques abordées par le scénario de Michael Miner et Edward Neumeier, mais je suis persuadé de voir le meilleur “film de cyborg” de tous les temps. A une époque où Internet n’existe pas, où les trailers et autres images de promos sont très rares, je découvre les sons, les images mouvantes, les sensations procurées par ce chef-d’oeuvre. Ma mâchoire est totalement décrochée durant deux heures, je suis effrayé par l’histoire de ce pauvre homme, estomaqué par la qualité des effets spéciaux, porté par la partition industrialo-épique de Basil Poledouris.
ED-209 est encore plus impressionnant en action, encore plus menaçant. Robocop est réel. Son look, son poids, ses mouvements sont totalement crédibles. Je suis devant un personnage unique qui me marquera au fer rouge durant des années, devant une oeuvre qui reste aujourd’hui un de mes films de chevet et dont je me délecte encore plusieurs fois par an. Ma quête s’achève ainsi dans cette salle perdue au fin fond de la France. Ce cyborg en couverture de mon Écran Fantastique numéro 88 aura finalement tenu toutes ses promesses. Il est pour moi le symbole d’une époque où la communication rattachée aux films était assez rare pour pouvoir attiser notre curiosité, assez discrète pour nous laisser découvrir une oeuvre au moment de sa sortie. Loin de moi l’envie de vous ressortir le couplet du “c’était mieux avant” mais dans une ère de communication perpétuelle et d’accessibilité maximum, l’aura de mystère flottant autour des « tentpole movies » des 80’s s’est estompée pour laisser place à un matraquage promo implacable commençant des mois avant la sortie d’un métrage. On peut légitimement se demander alors si ces colosses hollywoodiens n’ont pas perdu quelque chose en route. Ce supplément d’âme que nous leur octroyions à l’époque, lorsque ces “blockbusters” n’était pas seulement l’aboutissement d’un plan marketing alambiqué mais surtout les fascinants objets de notre désir cinéphile.
Robocop, de Paul Verhoeven (1h42). Scénario : Michael Miner, Edward Neumeier. Sortie France le 20 janvier 1988.
Mon dieu ! J’ai créé un être manipulateur diabolique et cinéphile 😉
Tu as créé Dr No ?
Woaw ! C’est très touchant de voir que tant de tes souvenirs sont attachés à ce film et ta quête pour accéder à ce dernier l’est encore plus. Malheureusement je suis bien trop jeune que pour avoir connu cette belle époque ( je viens de 1992 ) mais je ne peux que m’imaginer avec envie et plaisir ce que devait être le monde alors. Pas d’internet, pas de réseaux sociaux, pas de téléphones portables mais des magazines, ce bon vieux rapport au papier et de simples images pour nous faire baver.
On me dit souvent que je suis un blasé, que je n’aime rien tout ça car je suis déçu des 3/4 des films que je vais voir en salle ( qui sont pourtant hautement cotés par la commun des mortels pour la plupart comme Man of Steel pour l’exemple ) mais je pense que cette époque m’aurait mieux convenu. De nos jours on ne monte plus vraiment d’attente vis à vis d’un film. Je sais que si je ne vais pas le voir en cinéma, il me sera disponible en 1080p HD Son stéréo 5.1 machin machin dans 1 mois ou 2.
Bref, je ne sais jamais si je vis dans une époque bénie ou maudite.
Mais en tous cas, chapeau pour cet article nostalgique, on pourrait presque verser une petiet larmichette 😀
Merci Gilles d’évoquer ces souvenirs. dDsuisant de la lecture de l’article que nous sommes de la même année, j’ai aussi bavé devant l’affiche de robocop sans pouvoir le voir sur grand écran. Personnellement j’ai dû attendre sa diffusion sur canal+ afin de le voir et de me prendre une claque monumentale !
Personnellement je ne remercierai jamais assez la chaine cryptée pour m’avoir permis de voir des films comme le jour des morts-vivants et Evil Dead 2 ,surement les deux films de genre qui m’ont le plus marqué de toute ma jeunesse… Je me rappelle encore baver devant l’affiche du crane avec des yeux (vision tellement terrifiante !) qui regardait le pauvre spectateur sans pouvoir entrer dans la salle…
Je me rappelle les samedi (hors premier samedi du mois bien sur, réservé au porno) 23h où je programmais l’enregistrement du film d’horreur de la semaine…
Mes parents n’ont jamais compris comment un gamin de 8 ans pouvait regarder des films comme çà mais ne m’ont jamais empêché de les voir (et je les en remercie, je ne suis pas devenu un psychopathe pour autant !)
C’est vrai que c’était plus dur de voir les films mais quel plaisir immense de découvrir ces œuvres avec un œil neuf !
Haaaa, mon dieu, le cinéma de Samoëns !! Ma grand mère possède un petit appartement dans un immeuble qui donne sur le cinéma juste en face.
Une partie de ma culture cinématographique s’est faite en regardant les affiches qui changaient selon la séance du jour. (Deux salles ? Il me semble qu’il y en a bel et bien qu’une seule…)
Drôle de coincidence !
Merci à tous pour vos commentaires !
@Hervé I’m alive, aliiive ! 😉
@Sheppard Mais tu sais comme moi que tout ça n’est qu’une façade. DrNo est un être pur déguisé en entité démoniaque pour les besoins du DM, comme les méchants dans les matchs de catch.
@MrWhite C’est une lame à double tranchant. D’un côté le net nous permet d’avoir accès à beaucoup de films très peu distribués en France, nous ouvre à différents cinémas et d’un autre côté, c’est un outil principalement utilisé par les studios pour nous gaver de promo. Il faut se protéger et essayer de filtrer le déluge d’informations précédant puis accompagnant la sortie d’un film sous peine d’être blasé avant de prendre place en salle.
@Florian Je suis entièrement d’accord avec toi. Canal + était dans les années 80/90 une chaîne fantastique. Grâce à elle j’ai découvert Braindead, Hellraiser et le cinéma de John Waters. Je me souviens notamment d’une diffusion en odorama de Polyester avec une carte à gratter pendant le film ! Un très bon souvenir totalement nawak. J’adorai également Cinéma de quartier du grand Jean-Pierre Dionnet que je suivais assidûment. Tout cela a bien changé avec une programmation aujourd’hui beaucoup plus mainstream. Dommage…
@Mad Chien Haha, terrible ! Tu as certainement raison, le cinéma ne comptait peut-être qu’une salle. Mes souvenirs ne sont pas si clairs que ça manifestement. Drôle de coïncidence, effectivement.
Tiens, si ça peut t’apporter un petit flashback supplémentaire !!
https://www.projectionniste.net/images/74-le-criou-samoens-3.jpg
Haha, c’est ça ! Énorme.