
Superposition de couleur : l’exemple Banshee
Dans le podcast officiel de sa série, Peter Gould (Co-créateur avec Vince Gilligan de Better Call Saul) ironise sur la couleur des fameux “prestige drama” tout droit sortie des marécages ! Il est vrai que les outils numériques permettent aujourd’hui de grandes facilités et si vous ne jurez que par les filtres écrémés façon Instagram (coucou Mr Aziz Ansari pour Master of None), un travail spécifique en postproduction fera l’affaire.
Au-delà d’une vocation purement esthétique, le procédé peut aussi être un véritable outil pour appuyer la narration et c’est notamment le cas pour Banshee.
De quoi parle-t-on ? Le travail colorimétrique (ou étalonnage) est un poste important qui suit l’étape du montage. Malgré l’adaptabilité du matériel et le talent des chefs opérateurs, les différentes prises d’un tournage peuvent donner des résultats très différents à l’image. Il suffit, par exemple, qu’un nuage obstrue la lumière naturelle de manière plus marquée pour qu’une séquence dénote avec la suivante. Les corrections offrent donc la possibilité d’assurer une continuité afin que le bleu du ciel reste constant, par exemple, et ce même sur des écrans de plus en plus précis (vive la 4K).
La tentation est alors grande d’uniformiser par addition d’une palette de couleurs prédéfinie, non plus par touches locales mais sur l’ensemble d’un projet. De fait, c’est l’assurance d’avoir un rendu homogène sur toute l’œuvre et l’espace de couleur choisi permet d’accentuer une ambiance globale. À titre d’exemple, les polars sériels scandinaves privilégient des gammes de couleurs froides pour renforcer une mise en scène hostile et déshumanisée.
Pourtant, appliquer une prédominance de couleur équivaut logiquement à en enterrer d’autres. De surcroît, l’effet d’un tel ajout est fortement atténué dès lors que la séquence est nocturne. De telles manipulations doivent donc être strictement encadrées.

Hoon Lee (Job, à g.) et Antony Starr (Hood, à d.) *
Banshee utilise complètement cet outil pour appuyer son atmosphère. Comme le montre la simulation* ci-dessus, la série est le plus souvent confinée sous un couvercle bleu. L’objectif est double puisqu’il permet de renforcer les tons foncés de l’image mais aussi d’accentuer les éléments bleus à l’écran.
Ce choix de tonalité n’est pas anodin. Avec ses multiples sources d’instabilités (entre les Indiens, les Rednecks en tout genre, les Amish qui ont mal tourné, les Néonazis et les militaires corrompus), Banshee est un funèbre coupe-gorge. Assombrir l’image lors des séquences diurnes, tournées sur des lieux souvent champêtres en lisière de Charlotte (et désormais Pittsburgh pour la quatrième et dernière saison), s’impose donc tout naturellement.
D’autre part, le choix du bleu conduit à une autre lecture. Le personnage principal, le shérif Lucas Hood arbore la tenue réglementaire (quoique souvent débraillée avec lui) d’un représentant des forces de l’ordre. Au lieu d’un uniforme marron ou beige, les membres de la police de Banshee sont affublés d’un bleu foncé.
L’ajout d’une dominante de bleu accentue le caractère sinistre et trouble de Hood, ce qui, vous en conviendrez, est de circonstance pour un imposteur.

Hoon Lee (Job)
Mais cette dominante n’écrase pas toute la série. Banshee s’offre de multiples embardées dans son récit. Les flash-backs et autres délocalisations de l’action sont fréquents et c’est souvent matière à insuffler des ruptures de couleurs. Si le noir et blanc est utilisé ponctuellement, certains passages sont saturés en vert ou en jaune (comme la séquence de Job illustrée ci-dessus). Cette dernière couleur, justement, revient dans le début de la saison en cours pour illustrer les nombreux retours en arrière accompagnant les agissements de Rebecca.
Plus généralement, cette liberté d’usage des couleurs offre une vraie respiration à Banshee pour accompagner efficacement son récit. Elle embrasse ainsi son caractère de série de genre et préfigure une tendance de fond qui s’amorce avec des titres principalement issus du comics (voir Daredevil).
Remarquons enfin que si Banshee est une série d’action spectaculaire, elle ne le fait pas avec des moyens démesurés. Cela n’empêche pas ses producteurs (citons surtout Greg Yaitanes) d’avoir des idées, la preuve en couleurs !
* : Ce montage est tout à fait subjectif. La partie gauche ayant été obtenue au jugé, en tentant d’équilibrer les blancs, dans le seul but de simuler le décalage de couleur.
Toutes les captures d’écran sont issues de la saison 3, d’ores et déjà dispo en DVD et BR distribuée chez HBO et WHV.
Visuels : Banshee © Your Face Goes Here Entertainment & Cinemax