
Swolfs : « Le vampire reste l’incarnation de toute une série de pulsions »
Le Prince de la Nuit, c’est un premier cycle, publié entre 1994 et 2001, racontant la lutte d’une famille, les Rougemont, contre le vampire Vladimir Kergan à travers les générations. Un monstre, séducteur (qui a fait partie de notre Top 6 des vampires dessinés) dont le cycle s’achève après six volumes. Et puis, cette année, la sortie du tome 7, qui dessine un nouveau cycle, celui des origines du vampire. Rencontre avec son créateur, Swolfs, à l’occasion du Salon du Livre de Paris.
Cela fait 14 ans qu’on attendait cette suite, pourquoi un temps de gestation si long ?
Swolfs : En fait, j’étais très occupé par la série Légende, pendant un bout de temps. Et après le dernier Légende et le passage au Prince de la Nuit, j’ai encore mis pas mal de temps. J’ai déménagé, j’ai changé de vie un petit peu, donc ça occupe pas mal de temps.
À la fin du Prince de la Nuit, il y a quatorze ans, vous aviez deux possibilités. Soit on pouvait aller dans le passé, par les carnets pris dans sa bibliothèque, et découvrir l’histoire de Kergan, soit vous ressuscitiez Kergan et Vincent dans le futur. Vous avez décidé de reprendre cet épisode dans le passé, pourquoi ?
Swolfs : Pour des raisons purement de dessin et d’esthétique, dans la mesure où j’ai aussi un départ de scénario pour une saga un peu futuriste, donc la deuxième solution, mais je ne la dessinerais pas moi-même. Je suis un plutôt un dessinateur de chevaux, de matière, de vieilles pierres etc… Et en tant que graphiste, le présent et le futur m’intéressent beaucoup moins. C’est donc uniquement pour cette raison-là que j’ai choisi de narrer les origines de Kergan.
Allez vous continuez à dessiner cette série-là, pour autant ?
Swolfs : Ici, j’ai commencé le cycle des mémoires, mais pour l’autre partie, je chercherai un dessinateur. Je ne sais pas encore qui, car j’ai à peine commencé à compiler les idées pour le scénario.
La partie futuriste continuera à se passer dans le monde de Kergan et des Rougemont ?
Swolfs : Dans le monde de Kergan en tout cas. Et pas que de Kergan, car les cendres contiennent un mélange de Vincent Rougemont, le chasseur de vampire, et de Kergan. Donc quand on va le faire revivre, il n’y aura pas deux personnages qui vont revivre, mais un seul, qui est un mélange des deux. Ce sera intéressant à ce niveau-là, car ce sera un personnage ambivalent, et il va se retrouver dans un monde qu’il ne connaît absolument pas, qui est le nôtre ou une projection du nôtre dans les années futures. Ça risque de faire des contrastes et des situations intéressantes.
Votre première série, le premier cycle des Prince de la Nuit était un peu un hommage à Bram Stoker ?
Swolfs : Ce n’était pas seulement un hommage, il y avait une petite part du symbolisme et de l’esthétique des vampires classiques, mais ça en était déjà un peu éloigné. Il y avait tout une lecture psychanalytique, de psycho-généalogie, des petites choses comme ça, le vampire avait un aspect plus romantique… Je ne voulais surtout pas faire un Dracula bis. Ce n’était pas l’idée.
C’est pourquoi j’ai attendu tellement longtemps avant de faire cette histoire de vampires. Déjà à l’époque, cela faisait un moment que j’avais ça en tête, mais il fallait que j’ai un angle d’attaque un peu original par rapport à ce qui existait.
Dans ce nouveau cycle, vous retournez à l’ère romaine, avez-vous fait beaucoup de recherches à ce sujet ?
Swolfs : Par rapport à Rome, il y a beaucoup de documentation, et ce n’était pas trop difficile. De plus, ce ne sont pas les Romains qui sont vraiment importants, ils jouent un rôle secondaire et fonctionnel.
Au niveau des Daces, le peuple de Kergan, il y en a un petit peu, donc ça laissait pas mal de liberté. Il y a certaines iconographies, et tout ça, mais elles ne sont pas légion. J’avais aussi pensé à l’époque de l’invasion perse mais il y avait encore moins de documentation. Finalement, j’ai choisi les Daces, déjà car c’était le peuple de l’actuelle Roumanie. Et ils avaient déjà certaines croyances qui se rapprochaient un peu de nous, au niveau du dragon, de la résurrection, du fait que les âmes partaient ou ne partaient pas, et restaient dans le monde des vivants. Donc certains prémices qui annoncent les croyances qu’il y avait en Roumanie.
Je me sers un peu du contexte historique pour alimenter l’histoire, mais je ne prétends jamais être « historien ». C’est plutôt du côté iconographique que je recherche de la documentation et certaines choses qui peuvent nourrir mon récit.
C’est le premier album où on voit Kergan capable d’aimer, est-ce le dernier ?
Swolfs : De façon humaine, oui. Après, il devient quelque peu l’incarnation du Mal. Ceci-dit, le mythe du vampire a évolué depuis longtemps et on leur permet un certain attachement, à leur manière, mais il ne s’agira pas d’amour ou d’un sentiment que peut éprouver l’être humain. Ce sera quelque chose de différent et d’un peu moins positif, probablement.
La vision que vous avez de Kergan, que l’on voit dans le premier cycle par les yeux de Vincent Rougemont, a-t-elle évolué en 14 ans ?
Swolfs : On le voit tout a fait autrement dans ce nouvel album. C’est vrai qu’on a eu l’habitude de le voir en tant qu’incarnation totale du Mal, dans toute sa splendeur, et là on voit qu’il a été de chair et de sang, qu’il a eu des sentiments et a été victime, quelque part, lui-même. Mais à partir du moment où il a fait le choix d’être transformé, il passe la barrière, il est de l’autre côté.
Le vampire reste tout de même l’incarnation de toute une série de pulsions et l’incarnation du mal. C’est l’entité qui prend la vie, un grand manipulateur, un pompeur d’énergie, de vie… Il doit rester dans ce contexte- là, pour moi, par rapport à ce qu’il représente au niveau psychanalytique. Il y a certes eu B ou même les livres d’Anne Rice, où on leur donne de grands états d’âme… Mais je trouve que là, on perd la véritable signification de ce qu’a représenté, dans toutes les civilisations, ce genre de personnage.
Est-ce que donc Kergan est votre part sombre à vous ?
Swolfs Je dois être obligé de l’avouer un petit peu, mais heureusement, je la maîtrise bien. Je m’en sers pour écrire des scénarios. En fin de compte, comme le disent tout les grands écrivains de polar, pour faire vivre des personnages négatifs, on observe à l’extérieur, on se sert de choses vues, entendues, lues ou qu’on a peut-être même vécues parfois, et qu’on sublime et qu’on restitue de façon plus forte. Je crois que chaque auteur utilise toujours un petit morceau de sa part d’ombre, qu’on projette et qu’on fait parler. Parce que c’est nécessaire pour créer un bon récit. Sinon, il n’y a pas de conflit, d’enjeux, il n’y a rien.
Que va-t-il se passer dans les prochains tomes de ce cycle ?
Swolfs Dans les mémoires, ce qui est bien, c’est qu’on peut passer d’une période à l’autre et donc ce seront des histoires en un album, voire deux maximum. Ici, j’ai quatre, cinq tomes de prévus. Dans la saga futuriste, je ne sais pas encore.
Je ne sais pas encore si je dessinerai moi-même le prochain album des mémoires, car j’ai beaucoup de projets, j’ai peut-être envie de faire du Western, des choses comme ça, donc il faut que je fasse des choix. Je vais écrire tous les scénarios d’ici à l’été, et je prendrai ma décision à ce moment. Soit je dessinerai un deuxième tome, soit je laisserai la série à quelqu’un d’autre. Je sais que les lecteurs aiment bien retrouver le même dessinateur dans une série, mais j’ai peut-être besoin d’un peu d’adrénaline, de nouveaux projets, pour encore progresser. C’est à ce prix-là, car c’est un métier où si on stagne, si on reste dans les mêmes domaines, finalement, on n’évolue plus.