Teenage Mutant Ninja Turtles Classics d’Eastman et Laird

Teenage Mutant Ninja Turtles Classics d’Eastman et Laird

Note de l'auteur

Avant la série animée des années 80, avant le jeu sur NES : les Tortues Ninja, ce furent d’abord des comics autoédités signés Kevin Eastman et Peter Laird, dédiés à Jack Kirby et Frank Miller (avec une louche de Dave Sim) et amoureusement réunis ici par HiComics.

L’histoire : Un voyage minutieux vers les origines des Tortues Ninja, créées par Kevin Eastman et Peter Laird en 1984.  Compilant les sept premiers numéros du comic book de Mirage Studios, accompagnés par la micro-série consacrée à Raphael, cet ouvrage se destine aux fans qui veulent revivre les premières heures de gloire des quatre Tortues.

Mon avis : Le premier numéro du comic autopublié Teenage Mutant Ninja Turtles date de mai 1984, une année hautement orwellienne. Et le fantôme de 1984 plane résolument sur la série, du moins sur quelques numéros ultérieurs, avec l’introduction (ou plutôt l’exploitation proprement dite) de l’IRTC dès l’épilogue narrant, à la fin du numéro 3, les détails de l’enlèvement de Splinter.

Pour tous ceux qui ont peut-être découvert les Tortues Ninja via la première série animée (193 épisodes de 25 minutes, tout de même, diffusés dès 1989 en France dans Cabou Cadin sur Canal+, puis sur FR3 et Antenne 2) ou via le premier jeu, sorti notamment sur NES en 1990 en Europe (une tuerie).

C’était le premier comic autoédité par le duo Kevin Eastman et Peter Laird. Avec cette particularité que chacun d’entre eux dépensera une énergie considérable – ainsi qu’ils le racontent dans les notices accompagnant chaque épisode repris dans le présent recueil – à dessiner et encrer à deux sur chaque page. Et ce, afin d’atteindre un mélange homogène de leurs styles respectifs. Un souci que leur public aura peine à comprendre, lui qui a plutôt l’habitude de voir les auteurs se partager entre scénaristes et dessinateurs (sans parler, bien sûr, des spécialistes de l’encrage ou du lettrage, etc.).

Le premier numéro est dédié à deux monstres des comics US : Jack Kirby et Frank Miller. Ils systématisent d’emblée le recours à une première page classique à la Kirby, suivie d’une double page bourrée d’action à la Miller. Ajoutez à cela la dimension DIY d’un Dave Sim (Cerebus) et vous obtenez le cocktail qui, rapidement, fera le succès d’Eastman et Laird.

Le côté “action pure et dure” est ici pleinement assumé. Les auteurs n’hésitent pas à s’offrir quelques moments de belle brutalité, avant de plonger dans le traditionnel “récit des origines” par l’intermédiaire de Splinter, le rat-parlant-maître-des-arts-martiaux. Pas moins de huit pages suspendent ainsi l’avancée du récit général… avant de verser à nouveau dans l’action, jusqu’à la mort de Shredder. Eastman et Laird ont d’autant plus absolument atomisé ce dernier qu’ils ne pensaient pas qu’il y aurait un 2e numéro à leur œuvre commune…

Lorsqu’ils travaillent finalement sur le 2e numéro, ils ont déjà vendu 9.000 exemplaires du premier. Un succès parfaitement inattendu, donc. Ils désirent dès lors adjoindre un ami humain au quatuor à carapaces… une fille, April. Pas de nom de famille, de prime abord – typique de deux auteurs mâles dans l’Amérique des années 80 ?

Le scénario n’échappe d’ailleurs pas à une certaine naïveté. Dans l’épisode 3, April manifeste une émotivité (toute féminine ?) un poil ridicule aux yeux modernes, tandis que les Tortues (mâles) sont fougueuses et fortes… Parfois, aussi, tout ceci semble cousu de fil blanc : le van de cambrioleurs, confondu par la police avec celui d’April (ce qui vaut à celle-ci et aux TMNT une longue et haletante course-poursuite), apparaît subitement. Et voilà la police qui, enfin et grâce à un mécanisme des plus lourdingues, lâche les Tortues et leur amie humaine… Bon, on pardonnera d’autant plus aisément cette légère faiblesse aux auteurs que ladite course-poursuite est totalement électrisante, avec à la clé quelques magnifiques cases, comme celle du van criminel explosant la vitrine d’une boutique.

Le sens du détail, justement, monte en puissance avec évidence, numéro après numéro. Lorsque les Tortues débarquent dans un cosmos à la Star Wars, la belle double d’ouverture du 6e épisode a définitivement un look à la George Lucas. Il faut dire qu’Eastman et Laird étaient des fans absolus de la saga Skywalker. Et qu’ils n’ont pas hésité à s’offrir un long run space opera (sur 4 épisodes).

C’était aussi ça, les débuts des Teenage Mutant Ninja Turtles : une liberté totale. Kevin Eastman et Peter Laird se faisaient visiblement plaisir, fascicule après fascicule. Combats, mystères, robots tueurs, aliens dans des cyborgs, téléportation sur une autre planète, tricératops à lasers, tout y passait, tant que cela contentait les deux auteurs et qu’ils pouvaient l’intégrer dans un univers malgré tout cohérent. Même s’ils définissaient eux-mêmes cette cohérence en avançant.

On voit aussi à quel point ils inventaient leur monde au fil du temps, en l’absence quasi-totale de planification. Durant les premiers mois au moins, ils ne travaillaient sur un numéro qu’une fois le précédent achevé. Et s’ils avaient envie de s’offrir un numéro spécial centré sur une des quatre Tortues, ils le faisaient – Raphael aura les honneurs de cette “micro-série”, dans un numéro exceptionnel à plusieurs titres. Il y rencontre Casey Jones, sorte de double de lui-même, un humain qui aurait assumé pleinement ses pulsions de “justice par la violence”, et qui renverrait Raph à ses propres problèmes, l’obligeant à leur trouver une réponse.

Le style cinématographique d’Eastman et Laird monte lui aussi en puissance avec le temps, avec des plongées/contre-plongées, des champs/contre-champs… On sent la réflexion jouissive sur la façon de présenter tel ou tel plan d’action hard-boiled. Ce qui n’empêche pas la boulette, comme cette case laissant entendre qu’un homme surveille l’appartement d’April et des Tortues. Une possibilité qui ne sera jamais exploitée ! Un peu comme la mort du chauffeur dans Le Grand Sommeil de Raymond Chandler.

Teenage Mutant Ninja Turtles Classics – tome 1
Écrit et dessiné par
Kevin Eastman et Peter Laird
Édité par HiComics

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