
Telling Lies: sexe, mensonges et jeu vidéo
Sam Barlow. Autour de ces Hideo Kojima et David Cage brassant parfois de l’air sur les réseaux sociaux, Barlow préfère la discrétion de ses œuvres pour toucher ceux qui veulent bien l’écouter raconter ses histoires. Après un remake étonnant du premier Silent Hill évoqué dans cet article et un Her Story qui l’aura sorti de sa tanière, Sam Barlow renoue avec l’enquête vidéo et son nouveau jeu, Telling Lies.
Radio FMV
Mini-historique du petit monde des FMV, ou Full Motion Video. Arrivé dans les années 90 avec l’avènement des jeux sur disque, on pourrait décrire le genre comme un jeu incluant des séquences vidéos filmées avec de vrais acteurs ou parfois en dessins animés, représentant l’essentiel du titre. Dans les plus populaires, on pourra citer Night Trap ou Mac Dog McCree, et même Dragon’s Lair fait partie de cette niche. En 2015 sortait Her Story, premier création originale de Sam Barlow. Le jeu vous plaçait devant un vieil ordinateur relié à une base de données contenant des clips vidéos sur les interrogatoires d’une jeune femme suspectée de meurtre. Le but était de déterminer par vous-même, si oui ou non elle était coupable, en analysant ce qu’elle raconte, ses faits et gestes et en faisant votre propre cheminement pour arriver à votre raisonnement final.
Telling Lies reprend l’analyse de vidéos mixé avec un thriller informatique, avec nettement plus d’ambitions. Cette fois-ci, le titre narre les aventures d’une jeune femme qui a réussi à dérober un disque dur de la NSA contenant des dizaines de clips vidéos sur une période de deux ans. On comprend qu’elle a besoin d’analyser ces données pour comprendre toute l’affaire. Quelle affaire ? Ce sera au joueur de se débrouiller en visionnant les clips pour reconstituer l’histoire éparpillée un peu partout. Le système Retina utilisé pour arriver à ses fins ne fonctionne que par mots-clés. Il faudra taper un mot prononcé dans un dialogue pour accéder à la vidéo où ce terme apparaît. En sachant que Retina n’affiche que les cinq premiers résultats de la recherche, n’espérez pas dénicher l’ensemble des contenus en mettant des mots aussi simples que « le » ou « et ».
Mais il y a un hic: une conversation est le plus souvent filmée via un application de style FaceCam entre deux personnes, et chaque clip ne contient qu’un seul côté de la conversation, sans que l’on sache ce que l’autre raconte. Il faudra alors repérer les réponses communes, les non-dits ou certaines réactions, pour deviner le mot-clé qui débouchera sur l’autre partie de la discussion, en se basant sur la date et la durée de la vidéo, évidemment communes.
Conversation secrète
Rapidement, sans aucun indice ni ordre prédéfini, on commencer à tisser les contours de l’histoire qui se présente à nous. On y voit les tribulations d’un couple dont le mari s’éloigne pour le boulot, les racines d’un gouvernement qui s’évertue à tuer le militantisme dans l’œuf ou des scènes simplement touchantes d’un amour naissant, le tout avec un voyeurisme qui frôle l’étrange sans non plus verser dans le malsain. Le jeu choisit de nous montrer le reflet de l’héroïne sur l’écran, vaquant à ses occupations, comme pour signaler notre propre présence en tant que joueur, spectateur d’un quotidien qui n’est pas le sien et qui devrait peut-être rester privé. Car plus on plonge dans les rouages de cette intrigue, plus on démêle le vrai du faux, plus on voit à quel point les personnages gravitent toute leur vie autour de mensonges assumés pour croire en une vie fantasmée.
Et si tout le jeu est en FMV, il fallait trouver des comédiens capables d’un jeu d’acteur suffisamment solide pour encaisser des heures de vidéos sans se lasser ou trouver ça ridicule. Sam Barlow a choisi des seconds couteaux connus pour incarner à merveille ce quatuor d’acteur. Logan Marshall-Green, vu dans Prometheus, Upgrade ou la série Quarry, tient la dragée haute et joue à merveille ce père de famille aux multiples facettes. Kerry Bishé, vu dans Halt and Catch Fire ou Narcos, Alexandra Shipp (Storm dans les derniers X-Men) ou Angela Sarafyan (Westworld) incarnent divinement les personnages féminins principaux. Tous sont incroyables, d’un naturel saisissant, puisque Sam Barlow a choisi de tourner les séquences en plaçant chaque acteur dans les lieux isolés pour recréer une vraie conversation à distance. On pourrait même trouver certains passages ennuyeux, quand on ne fait que croiser le regard d’une personne écoutant l’histoire racontée à l’autre bout du fil, que nous n’avons pas.
Mais étonnamment, on est touché par ces moment suspendus autour d’un personnage bouleversé par on ne sait quoi, donnant une envie folle de chercher l’autre versant de cette vidéo pour connaître le fin mot de l’histoire. Et ce genre d’exemple ne manque pas, motivant le joueur à savoir qu’elle est cette blague qui fait autant rire, ou l’origine de ce sourire si touchant affichée sur le visage d’une petite fille regardant vers nous. L’aspect voyeur disparaît peu à peu, laissant l’impression d’être l’instigateur d’un petit théâtre des émotions que l’on dirige comme l’on veut. Telling Lies devient peu à peu une oeuvre qui préfère parler des sentiments humains, des mensonges que l’on fait aux autres et à soi-même plutôt que de s’appesantir sur une intrigue complexe autour de complots un peu vains.
Magnéto, Serge
Mais Telling Lies se borne tellement à respecter son postulat de base qu’il pêche par sa bonne volonté. Cliquer directement sur les sous-titres pour accéder à la recherche d’un mot-clé est une excellente idée, mais l’obligation de débuter la lecture d’une vidéo au moment de l’apparition de ce mot-clé est rarement pratique. On veut la plupart du temps pouvoir regarder la vidéo par le commencement, et il suffit que le mot-clé apparaisse vers les trois minutes pour se taper un rembobinage jusqu’au début. Peut-être qu’une option pour commencer le clip directement depuis le début arrivera un jour, mais en l’état, enchaîner les vidéos de cette façon est plutôt fastidieuse et pénible.
Tout comme l’idée du bureau de PC interactif, une bonne pioche sur le papier, qui permettra d’accéder au tutorial, à la corbeille ou même à un petit Solitaire. Un bloc-notes est accessible, pour poser les mots-clés potentiels entendus ici et là, mais qui ne permettra pas de noter les termes en pleine vidéo puisque celle-ci est constamment en plein écran. Le combo carnet/stylo sera donc votre meilleur allié pour ne perdre aucune piste potentielle, puisque ce seront les seuls moments de réflexion du joueur. Un nom, un lieu, une réponse probable voire une expression complète qui sera probablement répétée ailleurs, autant d’indices qui vous baladeront aux quatre coins de la chronologie, quitte à y aller franco en fabriquant votre propre schéma au mur armé de post-its et de punaises.
Si Telling Lies aurait mérité une plus grande souplesse sur son outil de visionnage, en proposant quelques fonctions plus simples pour rendre la progression moins laborieuse, il touche en plein cœur dans sa proposition, une réelle plongée dans le quotidien de personnages dont on reconstitue les pièces du puzzle vidéo après vidéo. L’apport d’Annapurna Interactive est indéniable, puisque la qualité des séquences force le respect, avec un casting assez impeccable et une vraie variété des décors qui rend l’histoire vraiment crédible. Croisement entre le jeu vidéo et la série télé, Telling Lies laisse le joueur combler les trous dans son imagination, dans les non-dits et les réactions toutes plus humaines et touchantes les unes que les autres. Quand on creuse pour trouver la vérité parmi les mensonges, on se retrouve terrassé par ces personnages que l’on observe par la lorgnette de la caméra. On se transforme en un être omniscient qui ne peut que ressasser un passé dont on a finalement aucun contrôle. Et finalement, ce reflet flou devant l’écran de jeu qui s’agite en permanence se transforme en un miroir qui reflète notre propre image et notre propre mensonge. Telling Lies n’est pas parfait, mais rien que pour cette expérience aussi atypique, ça vaut le coup.
Telling Lies
Développeur: Furious Bee
Éditeur: Annapurna Interactive
Prix: 17 euros sur Steam / 8 euros sur iOS
Plate-formes: PC (Steam) / iOS