
Test Blu-ray : Les Rues de feu, de Walter Hill (Wild Side)
Film honteusement mésestimé du maître Walter Hill, Les Rues de feu mérite pourtant à plus d’un titre son statut d’action movie novateur niché au cœur de la décennie 80. L’arrivée hexagonale du film en HD sous les bons auspices de Wild Side, qui n’a pas oublié de lui adjoindre un making of de très haute tenue, devrait être l’occasion d’une réhabilitation bienvenue.
Ah, les années 80… cette décennie doudou dont nous nous repaissons tous (répétez cette phrase dix fois très vite, pour voir…). Et cette mine intarissable (pour l’instant) à la source de laquelle des cohortes de producteurs paresseux s’abreuvent, pour mieux masquer leur incapacité totale à risquer l’aventure de franchises 100% fraîches. Le meilleur hommage à rendre aux années 80 serait pourtant de tenter de créer de nouveaux univers, d’expérimenter dans le pop, d’inventer les personnages iconiques de demain, plutôt que fabriquer à la chaîne des remakes, suites ou autres reboots honteux et opportunistes. Des produits cachetonnant à moindre frais sur le dos de la nostalgie des geeks et livrant à l’arrivée des films édulcorés, au mieux sans saveur ni odeur mais consommables, au pire d’infectes purgeasses insultant leurs modèles. Bref, je m’égare…
Tout cela pour vous dire que Walter Hill, en cette première moitié ô combien fertile des eighties, décida lui aussi, un beau jour en pleine postproduction de son polar 48 heures, de prendre des risques et d’expérimenter un peu pour son film suivant. Créativement et commercialement, ce maître de l’action, fou de Kurosawa et digne héritier de Peckinpah (dont il écrivit le scénario de Guet-Apens) était au sommet de sa carrière juste après la sortie de 48 heures. Ce dernier avait spectaculairement braqué le box-office et imposé Eddie Murphy en star du grand écran, tandis que Hill alignait six réussites artistiques d’affilée depuis son premier film Le Bagarreur (1975). Les Rues de feu aurait dû être son triomphe. Il fut hélas un cinglant échec, balayé d’un revers de main par les critiques et encore aujourd’hui considéré comme un demi-ratage dans la filmo de son réalisateur.
Y a maldonne les gars. Larsen sur toute la ligne. Certes imparfait en raison notamment d’un ventre mou d’un bon quart d’heure après 50 premières minutes éblouissantes, Les Rues de feu mérite une réhabilitation d’urgence aux premiers rangs de l’aristocratie du badass movie. Esthétiquement, c’est l’œuvre la plus ambitieuse de Walter Hill, son Coup de Cœur à lui, les bikers, le rock, l’humour et l’action en plus. Un ride pulp effréné à travers une quatrième dimension fifties dans laquelle le carton “Another Time, another place” nous plonge dès les premières secondes, ancrant Les Rues de feu dans le registre du concept-film fantastique. J’entends, et je lis ici et là, que l’ensemble aurait pris un gros coup de vieux en trente ans. Je comprends l’argument mais j’estime que le parti pris précisément intemporel et hors de notre réelle limite la portée du reproche.
Les (superbes) néons omniprésents, la tonalité rock FM kitschouille des chansons d’Ellen Aim, le grain suranné des scènes d’extérieurs (tournées aux studios Universal et aussi à Chicago) sont en phase avec un conte aux frontières de l’abstraction et de la dystopie post-apocalyptique. Le talon d’Achille du récit reste, aujourd’hui comme il y a trente ans, une gestion narrative bancale qui aurait gagné peut-être à plus de nerf dans les scènes suivant le sauvetage d’Ellen à Battery. Mais visuellement (et Les Rues de feu est avant tout une expérience graphique), le plaisir est tout aussi intact. Les costumes, le décor d’une ville dont on ne connaîtra jamais le nom (pas plus que celui du pays où se déroulent les faits), les véhicules… Toute la magnifique direction artistique de ce comic book movie avant l’heure transpire l’iconographie des années 50 (et un peu 40). Ellen Aim (Diane Lane, sublime), la star du rock enlevée en plein concert par les brutes en cuir de Raven (Willem Dafoe, hypnotique et beau diable), chante quant à elle comme Bonnie Tyler et porte des tenues de scène suintant les eighties. Walter Hill, son chef opérateur Andrew Laszlo, son directeur artistique James Allen et son production designer John Vallone ont ciselé un bijou de réalité alternative, à cheval entre des époques emblématiques d’une certaine Americana.
Prolongement plus graphique et léger des Guerriers de la nuit, dont il reprend les nombreuses scènes de métro aérien et la même dynamique itinérante, Les Rues de feu mixe aussi dans une même fiole des genres très divers pour un précipité multicolore pareil à nul autre. La pureté archétypale des personnages relève d’un western où les meules rugissantes ont remplacé les chevaux. Le mystère et la noblesse de Cody (Michael Paré) font de lui un samouraï rockabilly, sauveteur de la belle Ellen, guerrier invincible au code d’honneur sans faille – le film a très bien marché au Japon. Les Rues de Feu, dont il fut un temps question d’une adaptation à Broadway (super idée !), tâte aussi de l’opéra rock avec une bande originale bizarrement hybride, entre les sons fifties/sixties de Ry Cooder et les morceaux surproduits aux résonances épiques concoctés par Jimmy Iovine et Jim Steinman. Doublée pour ses prestations sur scène pour cause de voix trop fluette, Diane Lane apporte enfin la touche glamour indissociable de la love story au cœur d’un film à 100% qualifiable d’expérience d’auteur.
Walter Hill en a écrit le scénario avec Larry Gross, impliquant son équipe technique habituelle et imposant la production de ce concept novateur au sein d’Universal. A cause d’un changement de régime à la tête du studio en fin de tournage, Les Rues de feu n’a pas reçu le soutien qu’il méritait de la part de la nouvelle équipe dirigeante, selon Walter Hill. Il a traversé les salles occidentales en un éclair alors qu’il aurait pu générer une authentique franchise – Walter Hill avait d’ailleurs envisagé Les Rues de feu comme un triptyque donc les volets 2 et 3 n’attendaient plus qu’à être développés en cas de succès. L’Histoire souvent injuste du cinéma en décida autrement. Mais la nouvelle édition du film en Blu-ray chez Wild Side doit impérativement conduire à une réhabilitation de cette fable rétro-rock mésestimée. Supérieur au plus conventionnel Extreme Prejudice, son film suivant, Les Rues de feu fut la dernière vraie réussite artistique de Walter Hill. Une ode fougueuse à la jeunesse et au rock’n’roll, truffée de bastons montées sans fioriture et de chéris de ces geeks réjouissants (Amy Madigan, Willem Dafoe, Rick Moranis, Bill Paxton, Peter Jason, waouh !!!). Un concentré de pop culture avant-gardiste, trait d’union entre le divertissement mythologique, certaines toiles d’Hopper et des planches toutes droit sorties d’un univers post-apo à la Métal hurlant. Bref, une vraie curiosité, un ovni, une CREATION tissant des liens entre son époque et les contes d’un passé immémorial. Tout ce que semble ne plus jamais parvenir à être le cinéma d’action de notre triste présent.
LES SUPPLEMENTS :
Retour de Flamme : souvenirs des Rues de feu de Robert Fischer (80’)
Déjà présent sur le Blu-ray paru chez l’éditeur anglais Second Sight en 2013 (sous le titre Rumble on the lot: Walter Hill’s Streets of Fire revisited), ce formidable documentaire produit par Fiction Factory est un must absolu qui d’ores et déjà justifie à lui tout seul l’achat de l’édition Wild Side. Complet, extrêmement riche en anecdotes sans langue de bois et couvrant tous les stades de la fabrication des Rues de Feu, le film fait la part belle à quatre intervenants clé spécialement interviewés pour l’occasion : Walter Hill, Michael Paré, Amy Madigan (interprète de la cogneuse McCoy) et le directeur artistique James Allen.
Egalement blindé d’images d’archives ou d’interviews promotionnelles d’époque, Retour de flamme s’avère particulièrement touchant lorsque l’émotion saisit un Michael Paré qui, plus de trente ans après le tournage, ne s’est manifestement toujours pas remis de ses scènes avec Diane Lane… Entre la gouaille géniale d’Amy Madigan et la générosité humble de Walter Hill, on découvre aussi qu’initialement le script avait prévu un film beaucoup plus violent mais que son réalisateur préféra adoucir en cours de tournage. Non par édulcoration (pas le genre du bonhomme) mais par véritable souci de cohérence artistique. Et ce n’est pas fini quant aux révélations sur la gestation des Rues de feu… Voyez plutôt ce docu, que par ailleurs Wild Side nous a gentiment garni de sous-titres français.
Les trois autres bonus de l’édition anglaise (un EPK d’époque de 24 mn et deux clips) n’ont pas été repris mais franchement, avec le documentaire, l’acheteur sera loin d’être floué.
L’IMAGE
Le master restauré proposé par Wild Side (récupéré de la version anglaise ?) offre la meilleure qualité de visionnage jamais vue à ce jour pour Les Rues de Feu. Les couleurs des néons flamboyants de James Allen enflammeront vos rétines, tout comme la photo fourmillant de sublimes contrastes d’Andrew Laszlo. L’image n’a jamais paru aussi nette et précise mais hélas, surtout dans les scènes à faible luminosité (et elles sont nombreuses dans le film), elle prend un aspect ostensiblement neigeux difficile à ignorer.
LE SON
DTS-HD Master Audio 5.1 (V.O)
DTS-HD Master Audio 2.0, (V.F d’origine, jubilatoire et avec l’ineffable Patrick Poivey au doublage de Rick Moranis)
LES RUES DE FEU, de Walter Hill (1984). Disponible en Blu-ray/DVD chez Wild Side.
Découvert il y a quelques temps dans une copie pas géniale, il ne fait aucun doute que je vais foncer sur cette édition Blu-ray! L’univers est juste incroyable, Diane Lane est à tomber et les musiques de Steinman sont géniales : c’est du gros son mais ça donne envie de monter dans une Chevrolet rutilante pour arpenter ces fameuses Streets of Fire… Et oui, les bastons sont top : montées et surtout bruitées bien comme il faut! J’étais très curieux de voir Walter Hill dans un univers assez différent du reste de sa filmographie (polar et western) mais le résultat est un vrai bonheur, couillu, touchant et énergique.
ha ben ça fait plaisir, enfin un vrai fan inconditionnel du film ! 🙂