Tetris Effect : les caseurs flowteurs

Tetris Effect : les caseurs flowteurs

Note de l'auteur

Quand Sony dévoile Tetris Effect à l’E3 dernier, plus d’un sourcil s’est levé : pourquoi l’éditeur japonais ramène cette licence usée jusqu’à la moelle sur nos consoles à la technologie de pointe ? Mais quand le nom de Tetsuya Mizuguchi est apparu dans la même annonce, un sourire au bout des lèvres s’est alors esquissé sur le visage de milliers de fans de Rez, dont les vapeurs technos-colorées et le fil de fer luminescent hantent encore leurs rêves les plus fous. 

Si tout cette introduction vous parle autant qu’un cours de philo en terminale S et que le nom de Tetsuya Mizuguchi ne vous dit rien, c’est bien normal. Le bonhomme a beau être producteur depuis 1995 sur des titres comme Sega Rally, Space Channel 5 et surtout Rez, le grand public n’est pas vraiment son objectif premier. Le bougre est aussi et surtout un gros musicos, se pavanant via son groupe de musique Genki Rockets (dont l’avatar sera au centre d’un de ses jeux, Child of Eden, la suite spirituelle de Rez), et mixer jeu vidéo et musique électronique est l’un de ses fers de lance. Le plus fervent représentant de cette philosophie est probablement Rez : quiconque n’a jamais vu des images du titre sorti à l’origine sur DREAMCAST se demandera qui a bien pu mettre autant de drogue dans la dernière boisson ingurgitée. Le joueur y dirige un personnage en fil de fer volant au milieu de formes géométriques et abstraites, où il faudra dégommer des cibles tout aussi absconses, le tout au rythme d’une musique électro-relaxante. C’est tout aussi fou que la description peut le laisser présager, et pour une expérience totale et immersive, privilégiez la version Infinite sortie sur PLAYSTATION 4, équipé du casque PSVR : c’est tout autant un trip décomplexé qu’une expérience totale sur tous vos sens.

Fort de ses expériences dans le jeu de réflexion incluant bien sûr des fortes doses d’hallucinogènes colorés avec Lumines et Meteos, Mizuguchi revient donc chapeauter Tetris Effect. Sony récupère la licence et ramène le créateur pour en faire un titre différent sans modifier son concept de base clair comme du cristal de meth : faire tomber des blocs de différentes formes pour créer des lignes. Un concept efficace, bien que trop simple pour Mizuguchi, qui a été embauché pour ne pas simplement faire un « nouveau » Tetris. Sur le papier, le mode principal n’est qu’un enchaînement de niveaux aux teintes et ambiances particulières. Manette en main, casques (audio et VR en option) vissés sur la tête, ce sont des univers grandioses qui s’affichent dans chaque coin de pixel, un festival de couleur et de sons. Ce qui pourrait s’apparenter à un simple changement de skin influe en fait sur toutes les strates du titre : la moindre rotation d’une pièce teinte le rythme d’une touche musicale et d’une impulsion graphique sur l’ensemble de l’écran. Faire tomber des pièces, les déplacer jusqu’à créer enfin sa ligne et tout le jeu vous récompense par un déferlement coloré exaltant les sens. Arrivé à certains paliers, le rythme s’accélère ou ralentit, offrant encore plus de spectacle pour la rétine déjà bien sollicitée. Chaque tableau de Tetris Effect monte en tension, gonflant le souffle épique d’une balade au-dessus des dunes ou ramenant davantage de faune aquatique au fin fond des océans.

Et le gameplay galvanisant de Tetris sied parfaitement à ces ambiances uniques, qui trouvent évidemment toute leur force en réalité virtuelle : la petite fenêtre de Tetris devant vous devient le point de repère du joueur, l’élément central autour duquel tout s’articule. Des immeubles sombres s’illuminent à chaque ligne disparue sous fond de musique jazzy tandis que sur un autre niveau, des raies mantas en particules bleues vous accompagnent dans cette espèce de flow particulier et typique du jeu qui lui donne son nom : Tetris Effect, ou le syndrome du Tetris, lorsqu’un individu est tellement focalisé sur une activité que tout autour de lui est altéré pour participer à cet état de flow étrange. Niveau trip immersif, Mizuguchi nous a totalement emportés avec lui.

Et il aura bien tort de changer une formule si longtemps éprouvée, un jeu de réflexion redoutable qui aura vu quelques ajouts de gameplay ici et là, repris dans ce nouveau volet. La touche pour accélérer la chute de sa pièce, voire la faire tomber instantanément, est toujours présente, de même que la possibilité de conserver une pièce pas utile sur le moment pour pouvoir la réutiliser plus tard. Le T-Spin est lui aussi toujours là : sous cette appellation sauvage se cache la technique avancée des tordus du Tetris, permettant à la pièce de continuer à pivoter même lorsque sa course est achevée, allant carrément jusqu’à se loger dans un interstice de la même forme. La grosse nouveauté de cet épisode est l’ajout de la fonction Zone : une fois cette jauge remplie dans la partie, il faudra appuyer sur la gâchette basse pour la déclencher. La chute des pièces se met alors en pause et le temps que la jauge se vide, le joueur pourra alors créer autant de lignes qu’il veut, qui viendront se loger tout en bas, encaissant les combos et créer un vrai spectacle son et lumière une fois le bonus terminé. Une plus-value géniale, parfaitement intégrée à l’esthétique visuelle et sonore du niveau et apportant une touche tactique pour l’adepte du high-score.

Une fois le mode principal achevé en deux-trois petites heures, le temps de débloquer la grosse vingtaine d’ambiances à disposition, on se dirigera naturellement vers le mode Effets, divisé en quatre catégories de quatre variantes chacune. Pour les vrais, les poilus, la catégorie Classique sera celle des rageux, avec des Marathons infinis ou des scores à battre sur 150 lignes, la vitesse augmentant sur chaque palier de dix lignes. La catégorie Relaxé est pile-poil ce qu’il faut aux joueurs ne cherchant pas la gloire mais plutôt le calme et la volupté. Dans la partie Concentré, on y trouvera surtout des modes plus tactiques, avec presets de constructions pour enchaîner les combos ou les All Clear (grille complètement vide). Enfin, chez les Aventureux, c’est surtout des modes atypiques comme ces blocs parasités à dégommer en empilant les lignes ou ce mode aléatoire, l’un des plus amusants, enchaînant malus et bonus en cours de partie et forçant le joueur à anticiper ces brusques changements de règle. Et pour ceux qui veulent juste profiter de toute la bande-son new age et électro planante, le mode Théâtre permet de se lancer simplement un univers et son ambiance, sans briques ni scores, juste pour le plaisir.

Petit mot sur la partie VR : si l’effet fonctionne à tous les niveaux, casque audio indispensable, certains mondes sont tellement déconcertants et immersifs que le joueur sera plongé dans un trip sensitif où la galvanisation de l’effet Tetris ne fait que tout décupler. Une expérience sacrément saisissante, qui pourra dans un ou deux niveaux causer quelques troubles pour les plus fragiles, attention donc. Gros bémol concernant la PS4 classique par rapport à sa variante Pro : le jeu se récupère un aliasing sacrément violent et difficilement oubliable une fois en jeu, ce qui casse un poil l’immersion lors des premières virées.

Tetris Effect se révèle être une jolie surprise, ce genre de titre parvenant à mélanger le plaisir du pur jeu de réflexion, celui où l’on y revient simplement pour battre son score précédent, au jeu expérimental préférant miser sur du sensoriel plutôt que du concret. Avec un personnage aussi excentrique et talentueux que Mizuguchi, évidemment que ça fonctionne. On y plonge tête la première, se délectant de ces univers fantasmagoriques, tantôt balloté par un chant tribal au fin fond d’une caverne, tantôt grelottant en rythme au cœur d’une forêt enneigée. Tout ceci est indéniablement aidé par une bande-son quasi parfaite, pour peu que vous soyez réceptif à des styles musicaux très variés. Allant du new age à la pop un peu dégoulinante mais parfaite pour la poursuite du score parfait, Tetris Effect déboulonne une recette que l’on pensait éculée et la modernise au sein d’une technique rugissante de mille feux. Même sans casque VR à proximité, seul en face de l’écran et armé d’un bon casque audio, la magie de Tetris et de ce feu d’artifice ne vous lâchera pas.

Tetris Effect
Développeur : Enhanced Games
Éditeur : Sony
Prix : 30 euros
Plate-forme : PS4

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