
The Claypool Lennon Delirium – Monolith of Phobos (ATO Records)
Sur le papier, la rencontre entre le bassiste virtuose de Primus, Les Claypool et Sean Lennon avait de quoi déconcerter. Avec un son, un style et une approche musicale à l’opposé les uns des autres, on se demandait bien de quoi les deux artistes allaient pouvoir accoucher. Monolith of Phobos, projet aussi bordélique qu’excitant, sert finalement de vecteur aux expérimentations les plus farfelues. Quelque part entre les volutes psychés des 60’s et un rock plus funky et caverneux, ce premier album du duo Claypool/Lennon nous entraîne dans un labyrinthe musical, certes imparfait, mais d’où surgissent quelques fulgurances soniques qu’on ne se lasse pas d’écouter.
Dès le premier titre éponyme de l’album, les deux compères nous plongent dans un psychédélisme noisy qui n’est pas sans rappeler certains délires Pink Floydien. Le ton est rapidement donné. Le but n’étant certainement pas d’effacer l’identité musicale et sonore des deux artistes, mais bien au contraire, de les juxtaposer afin de donner naissance à un style hybride, quelque part entre le feu et la glace. Le style de Les Claypool est reconnaissable entre mille avec sa basse rythmique ultra-marquée, grâce notamment à sa maîtrise du slap. De son côté, le fiston de John apporte ses influences pop qu’il accompagne de sa voix douce et mélancolique. Mais, car oui il y un mais, le petit problème de Monolith of Phobos réside dans l’équilibre des forces en présence. Si Les Claypool occupe parfaitement l’espace et habite littéralement chacun des titres de l’album, c’est un peu plus compliqué pour Sean, qui ne trouve pas toujours sa place face au style très marqué de son acolyte. En atteste l’excellent morceau Mr. Bright, très Primusien, sur lequel, on peine à retrouver sa patte face au bassiste omniprésent.
Cependant, Sean Lennon parvient à imposer son style dans des morceaux plus aériens, qui sont autant de bulles d’oxygène pour un album à l’ambiance parfois assez dark. On retiendra Boomerang Baby, dont les accords de guitare et de synthé viennent se lover sur une ligne de basse pleine de gravité. De son côté, le titre Ohmerica rappelle étrangement et de manière assez frappante, la pop spleenesque de Eels, tandis que le planant Bubbles Burst est certainement le morceau le plus Lennonien de Monolith of Phobos. Dans la droite lignée de son album solo Friendly Fire, le titre se déploie petit à petit pour un résultat sous influence et parfaitement hypnotique. Bien que Monolith of Phobos soit quelque peu déséquilibré, il parvient toutefois à nous transporter sur des terres musicales laissées un peu en friche aujourd’hui.
Le titre de l’album fait référence au satellite naturel de la planète Mars, Phobos, sur lequel se dresse un gigantesque monolithe de roche. C’est certainement le but de Claypool et Lennon, de nous envoyer en orbite dans l’immensité galactique. Et ils y parviennent plutôt pas mal. Sans conteste, c’est le diptyque Cricket and the Genie qui résume le mieux leur désir de nous faire perdre pied pour mieux nous retourner. Du haut de ses huit minutes et quelques, c’est le double-morceau le plus long de l’album, et certainement le plus abouti. Il concentre à lui tout seul les nombreuses qualités des deux messieurs. Basse lourde, rythmique syncopée, voix vaporeuse et envolées psychédéliques, Cricket and the Genie nous convie à une sorte de transe rock, progressive et carnavalesque, en constante évolution. En somme, Monolith of Phobos tente non pas de synthétiser deux styles, mais bien de les superposer pour donner naissance à un troisième, parfois un peu bancal mais débordant d’idées et de moments épiques. Un trip stellaire entre enfers et paradis dont on ne se lasse pas, écoute après écoute. Laissez-vous saisir par The Claypool Lennon Delirium, vous ne serez pas déçus du voyage. C’est sans effet indésirable, si ce n’est une furieuse envie d’y replonger une fois terminé. Mais est-ce si indésirable que ça… ?!