
The Division : premières échaufourées dans la jungle new-yorkaise
Après la déception qu’a été Watch Dogs (un peu injustifié mais c’est un avis perso), Ubisoft s’apprête à livrer son nouveau jeu en monde ouvert, multijoueur qui plus est, The Division. Dire que le développement de ce titre a été aussi apocalyptique que son univers est en dessous de la vérité tant Massive Entertainment (le studio derrière Ground Control) a sacrément ramé pour livrer son bébé dans les temps impartis. Il faut admettre que garder la qualité montrée lors des premières vidéos était franchement délicat. La communication du jeu a même été hasardeuse, le public ne sachant jamais véritablement quelle était sa construction, quelle partie était en ligne… Maintenant que la bêta fermée (phase qui permet de tester le jeu en condition) est achevée et que le jeu sort début mars, qu’en est-il du produit (presque) final ?
J’ai donc pu essayer la bêta sur console, PLAYSTATION 4 plus exactement. Autant le dire tout de suite : les graphismes ne sont clairement pas au niveau des toutes premières présentations, ni même des vidéos de gameplay de l’E3. Plusieurs vidéos comme celle-ci attestent d’une chute de la qualité graphique importante, mais le joueur averti et habitué d’Ubisoft sait qu’on ne la lui fait pas deux fois. Pour autant, le jeu s’avère très plaisant à l’œil, par plusieurs aspects. Techniquement, il paraît relativement solide même si certaines textures un peu grossières tardent à s’afficher et trahissent quelques faiblesses techniques ici et là. Mais The Division se rattrape par son univers et son design général, proposant un New York dévasté par un virus inconnu (le pitch du jeu, et ça ne va pas vraiment plus loin).
La force graphique du titre se trouve dans l’agencement des décombres, des voitures détruites, des détritus. Il y a une richesse folle dans les détails et la manière de penser la construction des lieux. C’est encore plus probant dans les niveaux intérieurs visuellement très fournis. On sent clairement les différentes étapes de dévastation dans la ville américaine : les voitures et les décorations de Noël fonctionnent encore et détonent dans ce paysage d’apocalypse. Puis vient par-dessus les premiers signes militaires, des camps de réfugiés, certains dévastés par des pilleurs. Ajoutez à cela une petite couche de neige et vous aurez un New York qui donne envie de se laisser approcher, par son ambiance glaciale et sa froideur figée dans le temps. Et c’est encore plus vrai dans la Dark Zone (j’y reviendrais). Le temps évoluant au gré de vos pérégrinations, vous pouvez même vous retrouver pris dans un blizzard angoissant, les lueurs des lampadaires dans le brouillard blanc donnant une ambiance totalement fantastique.
Mais The Division est avant tout un TPS (Third Person Shooter) multijoueur, très axé sur la communauté. Le principe du jeu est assez simple sur le papier : votre avatar savamment créé en début de partie peut vagabonder sur toute la map comme bon lui semble (la bêta étant limitée à un petit quartier, ainsi que le niveau du Madison Square Garden), mais ne croisera jamais de joueurs ennemis, seulement des PNJs (personnages non-jouables), hostiles ou non. Le tir allié n’est même pas possible, donc n’espérez pas éradiquer un camp de réfugiés dans un accès de fureur, le titre d’Ubisoft est étonnamment pudique pour un jeu de ce genre. Vous pourrez néanmoins faire venir ou rejoindre d’autres joueurs dans leur partie pour gambader joyeusement en coopération, principalement pendant les missions.
L’intérêt du titre réside dans l’aspect tactique des affrontements : chaque bataille contre les adversaires se déroule généralement dans un espace étudié pour proposer des cachettes et autres abris de fortune pour progresser à couvert, et potentiellement prendre les ennemis à revers, comme des salopards. On pourra choisir deux compétences parmi un panel assez large réparti dans trois catégories, histoire que chacun puisse trouver sa fonction au sein du groupe. Par exemple, le bon samaritain pourra choisir des compétences liés aux soins de son équipe et même indiquer l’emplacement des cibles. Par contre, votre camarade un peu tête brûlée pourra se faire plaisir en utilisant des mines activables à distance. Les compétences sont a priori améliorables et se mélangent avec d’autres talents activables et déblocables au fur et à mesure de votre progression et des points d’expériences.
Mais comme tout type de jeu à la Destiny qui se respecte, la petite carotte de The Division pour appâter le chaland est sensiblement le même. Le véritable objectif des missions, c’est le loot (les objets laissés par les cadavres). On passe son temps à récupérer des objets sur les cadavres d’ennemis un peu plus balèzes que les autres pour trouver la petite poignée qui va bien sur votre fusil d’assaut vaillamment récupéré ou le viseur chromé qui vous manquait pour frimer devant vos potes. Mais là où les autres jeux tiraient leur épingle du jeu avec des designs variés et rigolos, The Division doit respecter son époque et son contexte : s’exciter avec le M4 de la police devient très difficile, sauf si vous êtes un gun addict d’armes réalistes et que votre rêve secret est de devenir collectionneur d’armes. On passe donc son temps à comparer son butin avec les armes équipées pour tout simplement prendre la plus efficace, mais le côté trop sérieux de l’atmosphère du titre empêche les développeurs de se lâcher et donne un équipement des plus classiques. Idem pour la personnalisation sur l’apparence de votre avatar : entre un gilet beige ou un gilet mauve, votre cœur ne balancera pas très longtemps.
Le petit plus de The Division se trouve dans sa fameuse Dark Zone, bien présente dans la communication d’Ubisoft. Plutôt flou dans sa manière de fonctionner, cette Zone est une partie de la ville isolée par des murs gigantesques, où le degré de contamination s’avère mortel. Les bandits dans le coin y sont bien plus violents que le reste de la cité, mais surtout, c’est une zone d’affrontements entre joueurs. Lors de votre avancée entre des immeubles baignés dans un silence pesant, on peut entendre des coups de feu ou des tirs de fusées au loin. Un autre joueur peut même passer devant vous, fuyant quelque chose. Je dois avouer que les premières minutes dans cette zone m’ont rappelé l’ambiance d’un Last of Us, par son côté isolé (surtout en solitaire) et le silence effrayant où on a l’impression que tout peut basculer en un instant.
Le principe de cette Dark Zone se base sur l’affrontement tacite entre les joueurs : chacun peut devenir un allié ou un ennemi, suivant celui qui tire le premier ou que chacun baisse son arme pour agir de concert. C’est de même pour les groupes de joueurs, qui restent actifs durant cette phase. Dans cette partie de New York, le loot est plus rare qu’ailleurs, mais aussi plus difficile à récupérer, les ennemis y étant plus redoutables. Mais surtout, rien n’empêche un autre groupe de joueurs (souvent signalé sur votre écran) de venir vous attaquer pour récupérer votre précieux butin. Car étant donné que cet équipement est contaminé, pas question de revenir aux quelques checkpoints pour sortir facilement de l’aire de jeu. Il faut évacuer tout l’équipement via un hélicoptère, que l’on peut appeler avec une fusée de détresse à des endroits bien précis, et attendre deux bonnes minutes, tandis que tous les joueurs aux alentours seront alertés de votre tentative. On peut donc se retrouver dans une bataille entre deux groupes de joueurs qui tentent de s’entretuer pour récupérer tout le pactole. Question moralité, les joueurs les plus vicieux pourront y trouver un plaisir certain. Pas question d’y aller en approche discrète, les joueurs bénéficiant d’une vie confortable qui empêchent le one shot. Un peu dommage, même si cela aurait rendu les joutes bien plus simples. Dans la bêta, les joueurs respectent (à peu près) les règles, mais on ne se fait pas trop d’illusions, et on fait confiance aux joueurs un peu moins réglos pour venir mettre le boxon une fois les ficelles du jeu final maîtrisées…
Mais alors, que vaut ce The Division ? Difficile à dire. Si le jeu n’est pas désagréable et que l’action est plutôt soutenue, le nombre d’informations à l’écran ne rendent pas toujours le titre très lisible. Le côté RPG (Role Playing Game) prime parfois plus sur l’aspect TPS, et on passe facilement du temps dans les menus pour trouver sa bonne arme, en ayant pris soin de comprendre comment tout cela est organisé : les compétences sont rangées avec les talents (pas dispos dans la bêta), et il faut passer par les armes pour réussir à trouver les modifications à ajouter, tandis que les comparatifs entre les statistiques ne sont pas toujours très clairs. Certes, l’effet surimpression du menu est joli mais niveau ergonomie, l’interface est loin d’être ergonomique.
Dans l’action, le jeu force beaucoup l’effet de dispersion des armes, histoire de bien distinguer les différents paramètres de votre arsenal. Le gros problème du jeu viendra sur la durée. On ne s’ennuie pas dans The Division, mais j’ai clairement eu l’impression d’avoir déjà fait le tour du gameplay en à peine deux-trois heures. Courir pour se mettre à couvert, tirer sur l’ennemi, tenter de le déborder tandis que son coéquipier le distrait avec un tir de suppression : c’est de l’archi-classique, et il faudra être fan du genre pour rester accroché à ce type de jouabilité, surtout que le scénario ne sera probablement pas le point fort du titre. Multijoueur oblige, l’histoire a l’air de privilégier une approche bien plus globale et linéaire (la reconstruction de votre base) plutôt qu’un script plus intimiste, parfait pour du solo mais complètement foireux pour de la coopération. Même si la Dark Zone offre quelques petites surprises et sera le vrai terrain d’expérimentation pour ce type de gameplay, les limites du titre apparaissent malheureusement bien vite.
Le gros problème de The Division, c’est de se donner une ambition grandiloquente sur la forme pour cacher un vrai classicisme dans son game design. Le jeu n’est pas désagréable, il se joue même plutôt bien, mais ne tente rien d’original, alors même que les premières présentations montaient au front sur des particularités comme le pilotage de drone via une tablette ou une interaction plus poussée sur le décor, agrémentée d’une vraie claque graphique. Même les gunfights proposaient quelque chose de plus pêchu auparavant. Tout ce qui aurait pu sortir The Division du lot a été tué dans l’œuf, et ce qu’il reste de la carcasse donne un jeu qui rentrera dans le cahier des charges des jeux Ubisoft : un titre solide, mais possédant un panel restreint d’activités répétées à l’infini jusqu’à plus soif. Le concept de la Dark Zone reste une bonne idée, pouvant même donner des petites scénettes entre deux bandes rivales intenses et rythmées, mais l’aspect multijoueur du jeu ruine la possibilité d’avoir au moins un scénario potable. The Division fera le job par un gameplay rôdé et efficace, ainsi qu’une atmosphère glaçante et fantomatique d’un New York délabré, mais ne restera pas dans les mémoires, la faute à un classicisme désarmant qui ne lui permettra jamais d’être à la hauteur de ses ambitions. C’est d’autant plus dommage qu’ils avaient toutes les cartes en main pour réaliser quelque chose de fameux. Verdict final début mars.
The Division
Développeur : Massive Entertainment
Editeur : Ubisoft
Prix : 70 euros
Sortie le 8 mars 2016
Tom Clancy’s The Division – E3 2015 Trailer [HD] par Eklecty-City