
« Je pense que les films de cannibale valent la peine d’être revisités » (interview de Lorenza Izzo et Eli Roth, actrice et réalisateur de The Green Inferno)
Halloween approche à grands pas, et si vous êtes plutôt un viandard dans votre cinéma du 31 octobre, la sortie de The Green Inferno tombe à point nommé. Des étudiants venant tenter de sauver la forêt amazonienne vont se retrouver capturés par une tribu de locaux qui n’aime pas trop les intrus… Une résurrection généreuse du sous-genre cannibale que l’équipe du film était venue défendre le mois dernier à Deauville. Extraits de notre longue conversation en table ronde avec Lorenza Izzo, actrice principale du film, et Eli Roth, son réalisateur.
À quel point le film a-t-il été tourné en immersion ?

Eli Roth et Lorenza Izzo sur scène à Deauville pour présenter le film hors compétition en « séance de minuit ».
Eli Roth : J’ai regardé beaucoup de documentaires de National Geographic des années 1960 et 1970. Le livre de Leni Riefenstahl a aidé aussi. J’ai créé une tribu fictive mais j’étais vraiment intéressé par l’idée du choc des cultures. Le village était si isolé qu’ils n’avaient jamais vu de caméra.
Lorenza Izzo : Ce sont des univers parallèles entre le film et le tournage. J’étais dans la jungle, tout ce qu’on voit dans The Green Inferno est vrai, il n’y a pas de plateaux. Les gens que l’on voit dans le film sont de vrais habitants, qui parlent espagnol, qui est ma langue maternelle. Donc, je réalise maintenant, avec le recul, et je me dis : « wow, qu’est-ce que je viens de faire », mais en même temps je me dis aussi « putain, qu’est-ce que je croyais… » (rires) Les conditions physiques étaient un enfer, entre la chaleur et les changements climatiques. On était sur le plateau, et la pluie détruisait tout ce qu’on avait tenté d’établir dans la scène. En tant qu’acteur, on devait connaître le scénario en entier sur le bout des doigts, car on changeait de scène en deux minutes. A New York, c’était beau, on avait du maquillage… mais dans la jungle, pas du tout, c’était de la boue.
Je n’ai pas fait énormément d’autres films d’horreur, à part Aftershock. C’était fun, aussi, parce que sur ce tournage, on était couverts de sang et de poussière tous les jours. Et c’était tellement amusant à tourner.
Est-ce que vous avez vu d’autres films de cannibale ?
Eli Roth : J’adore tous ces films de cannibale des années 1970. Mais même pour les fans du genre, c’est du bas de gamme, parce qu’il y a tellement d’animaux tués. Les gens ont honte de l’admettre. Je les regarde et je les apprécie beaucoup. Je pense que c’est une forme d’art qui est perdue parce que ça semble tellement dangereux à réaliser et on pense que ceux qui s’y sont risqués sont des dingues. Mais à chaque fois qu’un cheval tombait dans les westerns des années 1950 et 1960, il était tué. A chaque fois qu’on utilise un animal dans un film, il a déjà été victime d’abus d’une manière ou d’une autre. Mais le cinéma dangereux, c’est une valeur qui se perd. Je pense qu’ils valent la peine d’être revisités, que c’est un sous-genre très fun.
Je me rappelais des films de cannibales tournés en Colombie ou au Sri Lanka, et je me disais : « On pourrait plus le tourner aujourd’hui, à cause de la déforestation ». Et je me suis dit : « Voilà, c’est ça. C’est sur les étudiants qui vont la défendre. » Et ensuite, je me suis posé la question de l’intérêt d’un film de cannibale aujourd’hui. Et j’ai voulu aborder la question de l’activisme sur les réseaux sociaux. Et on dit toujours « si tu ne tweetes pas dessus, y a un problème. T’en as rien à foutre de telle ou telle cause ? » Et deux semaines après, ils oublient ça, et c’est la cause suivante. Et les gens qui le tweetent ne font pas ça parce que ça leur tient à cœur, mais c’est pour faire voir. Et les étudiants qui veulent sauver la forêt de l’Amazone, le seul moment qui leur fait plaisir, c’est être en trending topic sur Twitter.
L.I. : Lorsque je dis que je comprends ce genre, c’est parce que j’y ai été éduquée. Eli étant un cinéphile chevronné, il comprend ce genre comme personne d’autre. C’est assez fun de le voir se mesurer à Quentin [Tarantino] et voir qui connaît le plus de films. Je trouve que Cannibal Holocaust était un film brillant, et j’ai pu rencontrer Ruggiero Deodato. Je pense qu’il a réussi à faire ce qui serait impossible aujourd’hui.
Pour la scène du crash d’avion, on a tourné dans un tube au Chili, en studio. On était sortis faire la fête le soir d’avant. Il y a un vrai cockpit d’avion dans ce hangar, qui tourne, et je me suis dit : « Bordel de merde, je vais devoir aller dans ça ? » Et on m’a dit : « Vous allez tous là-dedans, et Aaron [Burns] va te vomir dessus ! Et on a dû crier en écarquillant les yeux. Donc j’ouvre ma bouche, et ce que je n’avais pas vu c’est qu’en étant en bas, son vomi allait se retrouver dans ma bouche ! Les coulisses du DVD sont beaucoup plus fun que le film, à cause de tous les problèmes qu’on a eus. Aaron Burns est un scénariste et réalisateur et il a tourné beaucoup d’images du tournage. Et j’ai aussi fait beaucoup de claps et de continuité, on a tous eu beaucoup de casquettes sur The Green Inferno.
Les effets spéciaux et le maquillage ont été pris en charge par KNB (studio de Greg Nicotero et Howard Berger). A quel point les conditions de tournage ont été difficiles pour eux ? Ils en ont bavé ?
E.R. : Greg Nicotero était sur The Walking Dead. On a fait une réplique en silicone du corps d’Aaron Burns. Et ils avaient deux employés de l’atelier sur le tournage, mais c’était très dur. Au Pérou, les douanes ont tout saisi. Parce que faire parvenir des parties de corps et des fausses têtes, c’est un vrai problème. Tous ces produits sont arrivés et les douanes ont dit : « on ne sait pas ce que c’est ». Ils n’ont jamais eu ce cas auparavant. Le jour où on a tué Jonah, je me souviens qu’on a été voir à la cantine pour chercher des raisins, et comment faire semblant qu’il se fasse arracher les yeux. Et les prothèses ne tenaient pas par 50 degrés à l’ombre, donc ils ont dû se débrouiller et on a dû improviser.
Comment vous êtes-vous préparé au rôle ?
L.I. : On a tourné The Green Inferno en deux semaines. Mais j’ai été vivre à Columbia University pendant trois semaines. Une de mes copines y allait. Je vivais un peu comme une étudiante sous couverture, et je suis allée à la fac en études de journalisme pendant deux ans. Ensuite, on a été au Pérou, dans la jungle pendant un mois. Et on a fait du tournage d’effets spéciaux au Chili pendant une semaine.
On a eu de la chance parce qu’Eli voulait le tourner chronologiquement, et aller avec l’histoire des personnages. Dans notre cas, on a tourné tout ce qu’on pouvait en extérieur. Les seules choses qu’on n’a pas tourné en séquence, c’était l’avion. C’était spectaculaire d’y aller en même temps.
Je voulais que mon personnage reste crédible. C’était pas mal que je me pète le pied, parce que je ne pouvais plus faire grand-chose (rires). C’était difficile de faire une scène comme celle où je me fais peindre, parce que j’étais nue. Cela fait quelque chose de se retrouver comme ça sur un plateau avec les jambes écartées, c’est très vulnérable. L’équipe a très bien géré ça. Ils étaient super. Ils ont fait des vannes un peu limite, mais ils m’ont mis à l’aise et ils m’ont fait rire. Je veux vraiment être représentée telle que je le vois et tel que le réalisateur le voit.
*SPOILER FILM*
Est-ce que ça vous intéresserait de le refaire ?
L.I. : Absolument. Je pense que si The Green Inferno fonctionne bien, on peut faire d’autres suites : Beyond The Green Inferno, After The Green Inferno, Over The Green Inferno… Il y a tellement d’histoires à raconter, et si Alejandro [revenait du village]… Je pense qu’il y a quelque chose d’intéressant, mais je me dis « on a bien compris, tuez-le maintenant ». Mais je sais qu’il peut survivre.
Vous avez parlé du film pendant trois ans. Le film a commencé à être montré en 2014. A quel point pensez-vous qu’une chance de suite est réaliste ?
L.I. : Je pense que j’ai un faible pour mon mari. Je pense que c’est le roi de l’horreur, et si je dois faire un film d’horreur, c’est bien avec lui. A moins que David Fincher vienne me dire : « je fais un film d’horreur » (rires)… Il n’y avait pas de problèmes avec le film. La réaction a été excellente lorsqu’on l’a projeté dans des festivals… Il y avait des soucis avec le distributeur, et le film était en plan pendant toute une année, avec des avocats, etc. C’était très difficile à comprendre. Et Jason Blum, de Blumhouse/Universal, est arrivé et a réglé la situation. Je suis vraiment contente, avec le recul, que ça se soit passé comme ça pour deux raisons : cela a développé un suivi du public autour du film. On me demandait sur Twitter quand The Green Inferno allait sortir, donc cela a créé un certain mystère : est-ce que le film existe, pourquoi il ne sort pas ? Et les choses dont on parlait dans le film, les causes de ces étudiants, ont pris de plus en plus d’ampleur : KONY 2012, Black Lives Matter, tous sont devenus très connus… On ne peut plus faire de film ou de chanson sans que 20 personnes nous sautent dessus en disant : non, ce n’est pas bien, pour qui tu te prends… Mais ils ne savent même pas de quoi ils parlent. Des gens qui n’avaient même pas vu le film ont fait une pétition pour l’interdire. Je disais : merci, je serai la première à signer votre putain de pétition ! *rires* Donc le film devait sortir maintenant car il n’a jamais été autant d’actualité.
E.R. : Le scénario est prêt, et maintenant c’est au public d’aller le voir et le défendre. J’ai pu financer le film en vendant les droits en préacquisition sur quelques territoires, dont la France. Je le referais pour le même budget, voire moins.
C’est la première fois qu’on voit les comptes Twitter de l’équipe en fin de film.
L.I. : N’est-ce pas ? Et en fait, Eli a repris l’idée de Nicolás López. Il m’a découvert quand j’avais 19 ans, et a réalisé une trilogie dont Qué Pena tu Boda, et Qué Pena tu Familia. Il est très au fait de tout ce qui se passe avec les réseaux sociaux, et il a fait son premier film au début de sa vingtaine. Il a fait ça à la fin du film, et je pense même qu’il m’a fait avoir Twitter pour que ce soit au générique ! Toute la campagne autour du film était très interactive, à un moment où ce n’était pas encore ce que c’est actuellement.
Propos recueillis et sélectionnés lors de tables rondes à Deauville le 6 septembre 2015, en présence d’autres journalistes et bloggeurs dont Clap Mag, Ciné Nerd et Mondociné. Merci à Bossa Nova et Way2Blue d’avoir permis ces entretiens.
The Green Inferno est disponible depuis le 16 octobre en e-cinéma sur la majorité des services de VOD. En location au prix conseillé de 6,99€ jusqu’à la fin novembre.
La critique de Douglas MacDouglas à Fantasia 2014