
The Killmasters de Damián et Javier
Plutôt alléchant dans sa proposition, ce volume dense, signé par un duo d’auteurs barcelonais, mêle démonologie hardcore et musique metal dans un long plan séquence électrique. Il ne tient toutefois pas toutes ses promesses.
L’histoire : Norvège, 1995. Le groupe de metal The Killmasters rentre chez lui après un concert. Sur la route, le quatuor repère un camion duquel s’écoule du sang, et se lance à sa poursuite. Il le retrouve abandonné dans un coin reculé de la forêt. Des bruits effrayants s’en échappent. Alors qu’ils s’apprêtent à fuir, les quatre musiciens sont arrêtés par des chasseurs. Quand l’un des hommes ouvre la remorque, une créature monstrueuse apparaît et commence à massacrer tout le monde.
Mon avis : J’ai souvent, je l’avoue, la sensation d’un piège lorsque je tombe sur une fin ouverte, ou plus largement sur un récit qui ne se referme pas sur lui-même. Au-delà d’un sentiment d’incomplétude qui ne concerne que moi, il me semble qu’il s’agit fréquemment, pour le(s) auteur(s), de ne pas trop se fatiguer à chercher une “fin” à leur histoire. Une fin satisfaisante, qui bouscule tout ce qui précède, qui booste l’ensemble par un ultime doigt d’honneur. Un “fin” entre guillemets, car l’absence de fin exprimée est aussi une fin en soi… Ceci n’est pas un plaidoyer pour les fins fermées, que du contraire.
J’en vois passer des pelletées, de ces histoires (romans et BD mêlés) qui ne trouvent pas la force de se clore sur une note affirmée. Avec, en tant que lecteur, toujours ce doute et cette interrogation : y a-t-il une suite prévue ? Le/la scénariste s’est-il/elle laissé la possibilité, en cas de succès suffisant, de prolonger le plaisir ? L’agonie du doute !
J’ai cette impression avec The Killmasters. Une histoire de démon poursuivant un groupe de metal ? OK, je marche. C’est le genre d’atmosphère et de thématique qui m’avait conduit vers Nocturno de Tony Sandoval (superbes scènes de live, aux éditions Paquet). Il y a tant à faire lorsque le Diable se mêle de musique, jusqu’à des mangakas relatant des pactes liant des joueurs afro-américains de blues au Grand Fourchu (Me and the Devil Blues, par Akira Hiramoto).
Le scénario de Damián (dont on a récemment chroniqué le premier tome des Enfants de la colère ici-même) a des côtés très carpenteriens. Big John dont on sait le goût pour le hard rock… Ici, c’est le groupe lui-même qui est confronté au surnaturel pointu de partout. Une grosse bébête rouge pleine de crocs et de griffes qui dépiaute à tout va. Les chasseurs sont des bourrins violents, mais leurs familles affichent un caractère plus nuancé. Et surtout, la présence féminine n’est pas reléguée à l’arrière-plan ou aux fonctions de scream-queen. Toujours un plus.
Au dessin, Javier (Javier Hernández Guerrero de son nom complet) assure grâce à un trait toujours énergique, gras, dans des tons largement sourds. Le rouge, surtout, est réservé aux moments d’intensité… et au démon, bien sûr. Certaines cases – et une approche personnelle de l’horreur – rappellent furieusement le comics Monsters & Girls de l’Américain Denis St. John, lui-même influencé par Richard Sala.
Pour résumer : côté scénario, du simple et du direct, une histoire bien dense et ramassée, à laquelle manquent peut-être un second souffle, un poil de profondeur et une fin qui dépote ; côté dessin, rien à redire, c’est beau comme une envolée de gravity blast.
Si vous aimez : le hard rock, le black metal, Anton Szandor LaVey et John Carpenter.
En accompagnement : le Cthulhu Metal de Sébastien Baert, afin de réviser vos classiques du split Lovecraft/Hardcore.
The Killmasters
Écrit par Damián
Dessiné par Javier
Édité par Ankama