• Home »
  • SÉRIES »
  • Souligner la démarche scientifique par l’expérimentation (The Knick 1/3 – Cinemax & OCS)
Souligner la démarche scientifique par l’expérimentation (The Knick 1/3 – Cinemax & OCS)

Souligner la démarche scientifique par l’expérimentation (The Knick 1/3 – Cinemax & OCS)

Note de l'auteur

Alors que la saison 2 de The Knick (Cinemax) est désormais disponible en DVD/Blu-ray (après avoir été diffusée chez nous sur OCS), retour sur cette série médicale que l’on pourrait définir par le terme de contre-exemple. En effet, si le poil du « sériephile » se hérisse dès lors qu’il entend le sempiternel « tourné comme un long film », le cas The Knick – façonné par le prodigue Steven Soderbergh – vient établir ce mètre étalon que l’on pensait inaccessible. Mais en plus d’un tour de force formel, la série de Jack Amiel et Michael Begler se double d’une étude sociale et médicale d’envergure qui déborde allègrement du seul contexte de son époque.

Le Daily Mars vous propose donc une analyse épisodique d’un chef-d’œuvre sériel après deux saisons. Voici la première partie consacrée à l’origine du projet ainsi qu’à ses auteurs.

L’approche médicale de The Knick diffère complètement des autres séries du genre. Et pour bien comprendre cet angle original, il faut s’intéresser aux motivations de ses deux créateurs. Tout commence alors que Begler contracte un parasite intestinal et doit endurer toute une variété de traitements pour en venir à bout. Tandis qu’il parcourt compulsivement le web à la recherche d’informations sur sa pathologie, il démarre un échange continu avec son coscénariste sur l’histoire de la médecine, ses soubresauts et notamment les coups d’éclat, ainsi que les échecs retentissants, de ceux qui s’y consacrèrent. Rapidement, ils se passionnent pour tout un pan de ce savoir scientifique.

Pourtant, rien ne les prédisposait à s’intéresser à l’univers d’un hôpital circa 1900. Alors qu’ils sont tous deux originaires de New York, Amiel et Begler se rencontrent à l’université du Wisconsin. Ils font équipe pour un concours où ils doivent écrire une comédie musicale en un seul acte. Comme ils sont tous deux admirateurs de Woody Allen, ils reproduisent allègrement ses routines et vont même jusqu’à reprendre une réplique extraite d’Annie Hall sans qu’on les démasque. Les compères ne se quitteront plus et développeront une complémentarité enthousiaste.
Leur carrière commence par l’écriture de sitcoms (Herman’s Head, Empty Nest, Malcolm), puis ils se spécialisent sur le segment des comédies et romances de studios (The Prince & Me, The Shaggy Dog, Big Miracle). Leur ascension, de simples assistants à scénaristes de long métrage, leur procure une réelle fierté, mais le duo est désormais rangé dans une catégorie, et surtout, leur travail est orienté non pas selon leurs aspirations, mais parce qu’il convient à une demande, à un genre très segmenté.

Au centre et de g. à d. : Michael Begler & Jack Amiel

Au centre et de g. à d. : Michael Begler & Jack Amiel

C’est pourquoi The Knick est un projet qui leur tient tellement à cœur. Non seulement le sujet est né de leurs entrailles – au sens propre comme au figuré – mais ils l’envisagent depuis sa conception avec la nécessité de privilégier leur curiosité personnelle.
Pour cela, les deux auteurs optent pour un parti pris ambitieux qui les conduit à reléguer leurs personnages au second plan (du moins dans un premier temps). Leur propos consiste tout d’abord à expliquer les bouleversements du milieu hospitalier de l’entre-deux siècles, alors qu’il bascule, dans l’imaginaire collectif, du lieu où l’on va pour mourir à cet endroit où l’on peut enfin guérir.

Négliger la dimension dramatique première de ses personnages est un drôle de pari, mais ces derniers n’en sont pas moins consistants, bien au contraire. The Knick est une fiction d’époque, mais elle s’apparente au genre du biopic. Le personnage central, le docteur Thackery (Clive Owen) est inspiré d’un authentique médecin (William S. Halsted), crédité comme étant le premier à avoir réalisé une transfusion sanguine d’urgence aux États-Unis. Surtout, il avait des démêlés avec la cocaïne, qu’il avait expérimentée comme anesthésiant.
Et puis, la majeure partie des cas présentés est avérée. La motivation première d’Amiel et Begler est devenue l’essence même de la série. Leur fascination pour l’invention de techniques médicales s’est naturellement transformée en une recherche de situations qui allaient constituer le cœur de la série. (1)

Le caractère empirique en forme justement le centre. Dans The Knick, les praticiens donnent souvent l’impression de tâtonner, de sorte que leurs actions nous paraissent absurdes, notamment parce que nous les évaluons avec un regard qui est celui de notre époque. Pourtant, Amiel et Begler prennent le temps d’installer le raisonnement qui conduit à l’expérience (essentiellement pour Thackery et Edwards) et, bien que leur comportement nous pousse à les voir comme des chirurgiens à la tête brûlée, leurs multiples expérimentations constituent un bel hommage à la « Recherche » avec un grand « R ».

Comparativement, c’est tout l’avantage de The Knick que de se dérouler début 1900 et d’offrir ainsi une démarche scientifique compréhensible, là où les séries médicales contemporaines ne peuvent s’immerger vraiment dans les techniques modernes sans noyer leur public. Néanmoins, Amiel et Begler retranscrivent l’histoire de ce métier en invitant les téléspectateurs sur les pas de leur propre curiosité.

Prochain épisode : Steven Soderbergh et sa radioscopie du mouvement.
Lire aussi la critique du premier épisode, signée Guillaume Nicolas.

THE KNICK (Cinemax/OCS) 2 saisons de 10 épisodes chacune.
Série créée par : Jack Amiel et Michael Begler.
Photographie, mise en scène et montage de tous les épisodes par : Steven Soderbergh.
Avec : Clive Owen, Andre Holland, Juliet Rylance, Eve Hewson, Michael Angarano, Eric Johnson, Cara Seymour, Chris Sullivan & Jeremy Bobb.
Musique originale de : Cliff Martinez.

 

(1) L’exactitude de la reconstitution est supervisée par un consultant historique qui fait autorité dans le domaine médical. Vice propose un entretien très intéressant avec ce fameux Dr Burns.

Visuels : The Knick / Mary Cybulski © Home Box Office, Inc. All Rights Reserved. Cinemax

Partager