Clap de fin pour The Mentalist

Clap de fin pour The Mentalist

Le 24 novembre, TF1 diffusera le dernier épisode de The Mentalist. L’occasion de revenir sur une série phénomène dont la flamme a fini par vaciller avant de s’éteindre dans une modeste révérence.

The Mentalist a mis une définition sur un mot obscur. Selon Wikipédia : « Le mentalisme est un art du spectacle qui consiste à créer l’illusion de facultés paranormales ou d’une spécialisation dans la maîtrise des capacités mentales humaines (télépathie, la psychokinésie, l’hypermnésie, clairvoyance, etc.), dans l’objectif de divertir un public. »¹ Un art basé sur un savant sens de l’observation et une capacité éclairée d’analyse/déduction. Des aptitudes qui rappelleront, sans l’aspect entertainment, celles d’un célèbre enquêteur anglais : Sherlock Holmes. Patrick Jane (Simon Baker), le mentaliste du titre, est un dérivé de la création de Sir Arthur Conan Doyle, au même titre que Gil Grissom (CSI) ou Gregory House (House M.D.), une variation autour de ce symbole connu qui s’est trouvé une nouvelle jeunesse dans les années 2000 (plus tard viendront les adaptations au cinéma de Guy Ritchie avec Robert Downey Jr., puis celles, modernes, à la télévision en Angleterre par Steven Moffat et Mark Gatiss, et au Etats-Unis sur CBS).

©CBS

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La série débute le 23 septembre 2008 sur CBS devant 15,6 millions de curieux face à ce qui ressemble à de nombreuses séries du network. The Mentalist est un formula cop show aux enquêtes bouclées à chaque fin d’épisodes, agrémenté d’un fil rouge personnifié par un smiley écrit dans le sang des victimes : Red John. Serial killer insaisissable qui a tué la femme et la fille de notre héros venu faire le malin à la télévision en l’haranguant, il est la promesse de la série. Celle qui permet de nous projeter vers un futur distinct, vers une réalisation (la vengeance de Jane ou au moins la confrontation entre les deux hommes). Mais la promesse est également synonyme d’enfermement, d’une concentration des attentes qui a fini par paralyser Bruno Heller et son pôle de scénaristes jusqu’à commettre l’irréparable : créer de l’attente, faire monter la tension et temporiser jusqu’à perdre l’intérêt du public. Souvenez-vous, c’est arrivé récemment dans une sitcom où le héros était censé raconter comment il a rencontré la mère de ses enfants.

Bruno Heller s’est retrouvé pris à son propre piège. Il faut dire que l’on n’attendait pas forcément le showrunner sur un network et encore moins sur CBS après l’aventure Rome sur HBO. Pourtant, l’idée derrière la série historique est la même que celle de The Mentalist : créer un programme populaire. On peut s’étonner de la profession de foi concernant Rome, spectacle parfois dur à l’érotisme explicite, mais l’auteur cherchait à démythifier l’Histoire afin de la rendre plus accessible, notamment en intronisant deux personnages fictifs. C’est pour cette raison que Heller est ensuite venu vendre son nouveau projet chez CBS pour parvenir à toucher une audience plus importante. Dans la bouche du showrunner, le terme « populaire » n’est absolument pas réducteur ou condescendant. Dans une interview donnée à Télérama², il donne cette définition : « C’est une histoire qui parle d’une voix claire et directe, compréhensible par tous. » On comprend mieux l’idée de The Mentalist, série à la fois classique et pop, dans le genre rassurant du policier.

©FOX

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Le véhicule de Patrick Jane est né d’une réponse à l’hégémonie mise en place par CSI et son ambiance clinique, scientifique et un peu désincarnée. D’oser apporter un peu de folie dans un cadre rigide. L’idée n’est pas neuve, de Columbo à Arabesque en passant par Monk, nombreuses sont les séries qui ont imposé des électrons plus libres à l’écran. Fruit du hasard ou zeitgest, trois séries sont lancées durant la saison 2008/2009 : The Mentalist, Lie to Me et Castle. On y trouve l’idée de casser le moule CSI en mettant en avant des personnages un peu décalés dans leur univers formalisé. La proximité de The Mentalist et Lie to Me ont conduit rapidement à dresser un jeu de comparaison. Toutes les deux entretiennent l’idée d’une lecture de nos expressions corporelles afin d’y déceler la vérité, toutes les deux mettront en scène des personnages cabotins. Seulement, Lie to Me souffrira d’une exploitation trop scientifique et le public tombera davantage sous le charme de Simon Baker que celui de Tim Roth. Au bras de fer, la série de Bruno Heller remporte aisément la main avec des audiences oscillant entre 17.41 millions de téléspectateurs en moyenne sur la première saison et 15.23 sur la troisième au moment où Lie to Me tire sa révérence.

Le succès immédiat et conséquent s’explique par l’habileté du showrunner à doser son écriture. Il s’adapte à « un public des classes populaires »² en leur offrant une série ambitieuse par sa volonté de créer un spectacle. Le concept de la série repose entièrement sur les épaules de son personnage principal (et par extension, de son interprète principal). Tout comme House, The Mentalist a créé un astre autour duquel gravitent quelques personnages secondaires prétextes à nourrir le génie du héros. Eternel problème de ces séries dont la figure principale, par son concept, écrase littéralement les seconds rôles. Ces derniers peinent à trouver une réelle justification à leur présence, autrement que par le nature d’instrument. Quand House a finalement trouvé la parade par l’aspect très programmatique de son personnage, The Mentalist compose avec des armes moins évoluées. Malgré tout, la série fonctionne parce que son écriture est basée sur le modèle de la prestidigitation. Chaque épisode est un tour, dont le truc ne consiste pas à trouver le coupable (généralement l’acteur ou l’actrice que l’on a déjà vu dans vingt séries auparavant) mais par quel(s) moyen(s).

©CBS

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The Mentalist nous propose de regarder derrière le rideau du magicien, de comprendre le fonctionnement, le truc, d’assister à la création du tour de magie. On y retrouve le geste à la base de Rome : une démythification. Où il ne s’agit pas de démolir le genre policier mais d’offrir une décontraction salutaire. On plaisante sur la scène de crime, on affiche de la désinvolture tout au long de l’enquête, voire de l’indifférence, on use d’arrogance, d’insolence. Le métier d’enquêteur n’est pas sérieux pour Patrick Jane, seule sa quête personnelle importe. Et la série d’adopter son point de vue, de créer de la légèreté dans un univers pesant. Limpide mais sournoise quand il le faut, The Mentalist affiche clairement ses intentions de divertissement pour un large public parce qu’un spectacle fonctionne toujours mieux dans un bain de foule.

Au fil des ans, la série s’est ternie. La routine du truculent Jane a fini par voiler l’éclat pop de la série pour la conduire vers un ronronnement fade aux couleurs délavées. The Mentalist est devenue une habitude, une rengaine dans un paysage un peu désolé. Avec la révélation de l’identité de Red John et la confrontation finale (au milieu de la sixième saison), on pouvait penser que la série allait tranquillement s’éteindre pendant les derniers épisodes. Après tout, depuis le début était racontée une histoire de vengeance. Seulement, les auteurs et CBS ont décidé de poursuivre l’aventure une saison supplémentaire, en bousculant juste ce qu’il faut les éléments pour tenter de repartir sur de nouvelles bases. Rongée par une navigation à vue dont on ne saisit pas très bien la direction, la série s’échine à dresser de nouveaux objectifs. L’idée initiale était pourtant de conclure sur Red John mais Bruno Heller a souhaité pousser l’exercice un peu plus loin pour modifier la tonalité de son final.

Sans rien dévoiler du dernier épisode, finalement prévisible quand on observe l’introduction de cette septième saison, la conclusion ne bouscule pas vraiment l’idée que l’on pouvait se faire de l’après Red John. C’est peut-être là, l’échec principal de la dernière saison : nous offrir une suite d’épisodes qui n’ont eu pour but que d’amener vers un destin prévisible dans l’imagination des spectateurs. Bruno Heller a souhaité répondre à la question « Que vont devenir les personnages ? » en nous apportant des banalités.

©CBS

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The Mentalist fut un voyage trop long. Le tour d’un magicien qui a tellement temporisé ses effets qu’il a fini par endormir son audience. Le principe de la prestidigitation repose sur le détournement de l’attention, nous faire regarder ailleurs pendant que le subterfuge s’installe. L’idée a très bien fonctionné pendant trois saisons puis s’est perdue. Dans sa volonté d’offrir un divertissement populaire, Bruno Heller s’est confondu entre simplicité et simplisme. The Mentalist s’achève, non pas dans l’indifférence mais dans un recueillement poli, bien élevé, de ceux qui ne quittent pas une table avant la fin du repas. Néanmoins, le sourire impertinent de Simon Baker et ce petit smiley innocent porteur d’une funeste destinée se seront imposés durablement dans le paysage télévisuel.

¹ https://fr.wikipedia.org/wiki/Mentalisme_(illusionnisme)
² https://television.telerama.fr/television/bruno-heller-le-cerveau-du-mentalist,131195.php

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