The War of Mine : Les Sims en Bosnie (par B1K)

The War of Mine : Les Sims en Bosnie (par B1K)

C’était il y a un peu plus de 21 ans. Encerclant Sarajevo sur ses collines, les Serbes débutaient leur siège meurtrier des populations bosniaques : le plus long des guerres modernes. 10 000 civils y sont morts, et aujourd’hui encore, peu de pâtés de maisons y sont vierges d’impacts de balles et de cratères noircis. Cet événement sordide, tout le monde l’a vécu à la télé, de loin, confortablement, avec les commentaires de BHL en fond. Les Polonais de 11 bits studios, eux, s’en sont inspirés pour en restituer l’ambiance merdique et nous mettre le nez dedans. Bienvenue dans The War of Mine, un jeu vraiment pas marrant.

À chaque personnage sa petite bio. Voici Bruno (le bizut cuisinier).

À chaque personnage sa petite bio. Voici Bruno (le bizut cuisinier).

Des humains ordinaires

Vous contrôlez Pavel, Marko et Bruno : un mec en forme qui court vite, un malin au gros sac à dos, un petit gros qui fait bien la cuisine. Ou bien Katia, Roman, Arica, ça dépend des parties. Tous ont leurs petits talents.

Coincés dans la ville en attendant la fin de la guerre, ils tentent de survivre tant bien que mal le jour… Puis dorment, montent la garde et vont piller les environs à tour de rôle la nuit. Comme dans tout survival, le but est de tenir le plus longtemps possible. L’horloge tourne et votre faim s’aggrave, les jours se succèdent dans votre refuge et la situation devient de plus en plus dure à gérer.

Le gameplay est très classique. En 2D vue de côté, vous contrôlez chaque personnage à tour de rôle dans des bâtiments en ruine pour amasser des ressources et crafter des items. Comme dans beaucoup de survivals, le début n’est pas évident. Difficile de deviner quel bidule sera utile, quel objet doit être crafté en priorité. Alors on tente, on se trompe, on pleure quand Bruno se fait trucider par des pillards (c’est toujours Bruno j’ai l’impression, Bruno est un bizut). Et on perd lamentablement. Et comme dans tous les die and retry, on recommence et on survit un peu plus longtemps.

Le jeu retransmet assez intelligemment les sensations du personnage.

Le jeu retransmet assez intelligemment les sensations du personnage.

Un gameplay classique

Ici, il n’est que peu question de combats, les personnages ne sont pas franchement formés au krav maga, et les armes sont extrêmement rares. Après une journée à s’organiser et à fabriquer des lits, un poêle, une pelle ou un collecteur d’eau, la nuit est plus l’occasion de s’infiltrer dans des bâtiments loin du refuge, et parfois de faire des rencontres, rarement agréables. Le style, réaliste et graphique à la fois, retransmet assez intelligemment les sensations du personnage contrôlé. Les zones qu’il ne voit pas directement sont floues, plus sombres, au dessin moins détaillé. Et tout ce qui fait du bruit dans ces espaces est matérialisé par un petit rond rouge. Un système à la fois pratique et réaliste.

Les premières zones accessibles au loot nocturne sont généralement simples et peu peuplées, mais le danger croit à mesure qu’on s’éloigne du refuge, et les bandits, les déserteurs, les snipers, et certaines personnes défendant simplement leur bout de gras pourront en un clin d’œil provoquer un décès (une catastrophe qui généralement scellera le destin du groupe entier).

Heureusement, chaque PNJ semble avoir des réactions différentes, un caractère propre. Une femme alertée va chercher son mari en courant plutôt que de vous affronter, un déserteur parano va vous trouer sans poser de question, certains militaires vont hésiter à vous tuer et préfèreront commercer avec vous, le curé avec qui vous êtes malpoli vous suivra pour vous ordonner de partir. Agréable, pour une fois dans un jeu d’infiltration, de voir des réactions pas trop uniformes quand on se fait repérer.

Les PNJ qui vous repèrent ont à peu près tous leur propre réaction, et sont imprévisibles.

Les PNJ qui vous repèrent ont à peu près tous leur propre réaction, et sont imprévisibles.

Bâtards de pillards !

Les contrôles sont aussi simples à prendre en main, et rappellent un peu Les Sims dans l’utilisation de la souris… Le craft, le danger et la faim en plus, l’achat de canapés kitsch en moins. La difficulté vient en fait uniquement de la gestion des ressources. Par exemple, la nuit, des pilleurs viendront harceler votre refuge : si vous n’avez pas prévu d’assembler une arme, ou d’installer des barricades, ces enflures vous suceront le sang lentement, jusqu’à la mort. Tous les soirs ils se pointeront, vous tabasseront et voleront un peu de cette viande de rat que vous avez eu tant de difficulté à trouver. Ils ont beau être des PNJ qu’on ne voit même pas à l’écran, on a vraiment la haine en faisant le bilan, à chaque retour de maraude, des précieuses ressources disparues sur lesquelles on comptait tant.

Ce jeu soigne beaucoup l’aspect social et psychologique de l’aventure. Ces pillages, par exemple, vont déprimer vos personnages, qui vont commencer par se traîner, pour ensuite carrément refuser d’obéir à vos ordres (même les plus simples, comme aller manger la dernière boite de conserve du frigo). Un peu comme quand un Sim ronchon refuse de faire ses devoirs, dans un contexte plus léger. Le fait d’être soi-même un sale enfoiré, en refusant d’aider ses voisins ou en volant en douce toutes les ressources d’un hôpital, a d’ailleurs aussi un gros impact sur votre moral.

Alors que les jeux vidéo ont tendance à beaucoup nous bassiner avec les choix qu’on doit y faire et leurs conséquences, The War of Mine est l’un des rares à tenir ses promesses dans le domaine. Et puis, pour une fois, le jeu nous pousse à faire les choix d’enculés : être un chevalier blanc (la décision de 90% des joueurs selon les statistiques de fin de partie de The Walking Dead) est extrêmement difficile. Survivre demande parfois de voler des innocents. C’est la guerre, c’est Darwin, pas un concert de Sinsemilia. Et la culpabilité n’est pas qu’une donnée affectant les personnages. On est franchement un petit peu affecté aussi, derrière son écran…

Roman pille le frigo d’un couple sans défense. Mais son moral risque d’en prendre un gros coup.

Roman pille le frigo d’un couple sans défense. Mais son moral risque d’en prendre un gros coup.

Une expérience marquante et déprimante

C’est la grande force de ce jeu, qui compense son aspect un peu répétitif. Rarement une expérience vidéoludique n’a poussé aussi loin le réalisme émotionnel. Voir Bruno le cuisinier se confier, paniquer, abandonner tout espoir, dire que c’est foutu, fait sincèrement de la peine. Voir un PNJ réclamer des médicaments pour son papa malade donne vraiment envie de perdre une précieuse nuit de loot pour l’aider, presque gratuitement. Sans être scénarisé, ce jeu raconte une histoire triste à chaque partie, une histoire crédible et qui prend aux tripes.

Par exemple. La dernière partie, je l’ai commencée avec mes trois personnages en plutôt bonne santé. Tout allait à peu près bien, on a aidé nos voisins, soulagé le malade d’une famille. Et puis j’ai fait chou blanc trois nuits d’affilée lors de mes sorties, me faisant repérer, ou n’ayant pas les bons outils pour progresser. Du coup, nous n’avons pas pu nous protéger des pillards. Pendant chacun des derniers jours, la nourriture collectée la veille était volée, et Marko et Bruno blessés. Ils se sont acharnés sur Bruno, c’était horrible.

Un soir, Marko a tenté sa chance dans une maison remplie de déserteurs. Il boitait. Il s’est fait tirer dessus, dans le dos. La même nuit, Bruno est mort des blessures de la veille. Soudainement seul, Pavel n’a pas réussi à bouger de la journée, anéanti. La nuit suivante, les pillards sont revenus, mais ne l’ont même pas blessé : ils ont tout emporté, sauf deux planches et quelques bouts de métal. Le lendemain, Pavel s’était pendu.

Fin de la partie. Mangeage de chocolat réconfortant devant un épisode de The Big Bang Theory en se mouchant très fort dans un Kleenex.

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