
The Waybacks & Friends feat. Joan Osborne – Back In The USA
Les États-Unis d’Amérique sont une énigme pour nous autres européens… Collection de clichés hérités des productions hollywoodiennes et des séries télévisées, fantasmes nés de toutes ces années à observer le fameux rêve américain à distance, au travers des récits de ceux qui ont été « aux states », il y a le choix. Et puis il y a la musique, probablement la forme d’expression artistique qui a le mieux permis à la culture américaine de s’épanouir. Or, voici que se pointe un album qui permet de tout comprendre en un clin d’œil, sans avoir besoin de prendre l’avion. On embarque ?
Back in the USA, c’est d’abord la rencontre entre trois entités distinctes qu’il nous faut prendre séparément pour bien appréhender le résultat final, la grande photo comme ils disent.

The Waybacks
La première, c’est The Waybacks, petit groupe californien natif de San Francisco, complètement inconnu sous nos latitudes et pour cause, ils représentent la première pièce de notre puzzle made in USA. Forts d’une poignée d’albums studio, car il faut bien en passer par là pour se faire un nom, ils appartiennent à la grande famille fondée par le Grateful Dead dans les années 60, les Jam Bands. Le concept est assez simple, privilégier la musique live et les improvisations en public plutôt que les ventes de disques et les passages radio, le tout en pratiquant une musique mêlant le blues, le rock, la folk music et le bluegrass (sorte de country music moderne intégrant des instruments traditionnels tels le banjo ou la mandoline à des rythmiques plus contemporaines). Une certaine idée de la liberté en somme.

Joan Osborne
Arrive ensuite Joan Osborne, chanteuse soul par essence, ne dédaignant cependant pas s’aventurer aux frontières de la pop, de la country et du gospel. Après avoir connu un succès international avec son album Relish (1995) et l’imparable single One of Us, elle a consciemment choisi de tourner le dos au star system pour se consacrer à une musique plus confidentielle, débarrassée des contingences commerciales. Unanimement considérée comme l’une des plus grandes voix du rhythm and blues des trente dernières années, elle est donc la seconde pièce de notre puzzle, la volonté.
La dernière pièce, et non des moindres, c’est l’album de Bruce Springsteen, Born in the USA. Par où commencer pour décrire le chef-d’œuvre du Boss ? Peut-être par le fait que c’est grâce à ce disque qu’il a hérité de ce surnom, le Patron. Rien que la pochette, le mec pisse sur le drapeau, littéralement, et dans le même temps, pas un américain ne viendra vous dire que Born in the USA est antipatriotique ! Il n’y a que lui pour réussir un tour de force pareil. Mais au-delà de la musique, c’est surtout les paroles de ces douze chansons qui ont créé la légende Springsteen… Il nous parle des gens normaux, ces gens qu’il continuait à fréquenter même après avoir vendu des wagons d’albums (30 millions pour être précis).

Une envie pressante…
De la douleur des vétérans et de l’absurdité de la guerre aussi (le titre Born in the USA, tellement mal compris par les nationalistes qui n’y voient qu’un hymne patriotique alors qu’il s’agit du contraire), et de la nécessité d’utiliser le rock’n’roll comme une arme d’éducation massive (« We learned more from a three minute record than we ever learned in school » / « On a plus appris d’un disque de trois minutes que tout ce que l’on a appris à l’école » – No Surrender). Et puis d’amour bien sûr, de bars modestes et d’amitié autour d’un verre, la vie simple. Smalltown, USA mode d’emploi.
Back in the USA rassemble donc ces trois éléments endémiques à la culture américaine pour aboutir à un album en forme de voyage initiatique qui a tout du choc culturel pour le néophyte. Joan Osborne rejoint The Waybacks sur scène pour reprendre Born in the USA dans son intégralité. Le puzzle est complet, prenons donc un peu de recul pour admirer l’image qu’il compose.
Chaque titre de l’album original subit un traitement particulier, souvent au moyen de reprises d’autres morceaux qui viennent se greffer sur la structure de base, le tout agrémenté par des phases d’improvisations où le groupe laisse libre court à son plaisir de jouer. Au sommet de la pyramide, Joan Osborne fait office de chef d’orchestre, maintient le truc en place et en profite pour intégrer le public à l’ensemble. Et l’auditeur par la même occasion, qui se retrouve plongé dans l’ambiance comme s’il était collé à la scène !
Des détails ? Prenez Darlington County traversé par le fantôme du Honky Tonk Women des Rolling Stones, Downbound Train magnifiquement embrassé par le Stand by Me de Ben E. King, No Surrender couplé au Born to Run du Boss en personne, comme une évidence ! Pas de retraite, pas de compromis, on fait hurler les pneus sur l’asphalte et on avance !
On en arrive aux morceaux de bravoure de l’album, avec I’m Going Down transfiguré par le Papa Was a Rolling Stone des Temptations, un clin d’œil à la Motown qui a toujours exercé une influence décisive sur Springsteen, et ce à différents niveaux. Par les harmonies et le rythme bien sûr, notamment sur les premiers albums de son groupe, le E Street Band, mais aussi par l’importance qu’a eu le label sur la démocratisation de la musique noire au sein de la communauté blanche à une époque où la ségrégation raciale faisait encore rage dans le pays. Chanteur blanc, cœur noir, voilà un portrait assez fidèle de l’homme qui nous intéresse ici.

The Waybacks et Bob « Grateful Dead » Weir
Et puis il y a cette version de Dancing in the Dark qui justifierait à elle seule l’achat de l’album… On démarre sur le For What It’s Worth des Buffalo Springfield pour embrayer en douceur sur What’s Going On de Marvin Gaye, un couplet de Born in the USA à la sauce rhythm’n’ blues plus tard, le tempo s’accélère et on retombe sur le titre original, joué à tombeau ouvert où chacun des musiciens y va de son petit solo. Magique.
Comme toutes les bonnes choses ont une fin, My Hometown vient clore l’album tout en délicatesse avec ce message limpide, « Son, take a good look around, this is your hometown » (« Mon fils, regarde bien autour de toi, tu viens de là »). L’identité comme un refuge confortable, et non comme quelque chose qui divise, le concept même de Hometown est intraduisible en français mais en dit long sur la mentalité américaine. Le foyer, ce n’est pas que quatre murs et une barrière autour, c’est toute la communauté.
D’où l’importance de ces albums, l’original et celui qui nous occupe aujourd’hui. À l’heure où les États-Unis se déchirent sur cette idée d’appartenance, ces chansons nous rappellent que l’Amérique, ce n’est pas cela. Que le pays existe parce qu’on a détruit des murs au lieu d’en construire de nouveaux, entre les communautés, entre les musiques, entre les cultures. Du coup, Back in the USA semble être un titre parfait, presque un programme. Et ceux qui veulent « rendre l’Amérique grande à nouveau » feraient bien de s’en inspirer.