
The Wendy Project, de Melissa Jane Osborne et Veronica Fish
L’histoire de Peter Pan aujourd’hui, (re)vécue par Wendy elle-même, après la disparition de son frère Michael. Culpabilité, tristesse, mutisme, et ce dessin d’une fluidité magique rappelant Craig Thompson.
L’histoire : Nouvelle-Angleterre, fin de l’été. Wendy Davies, 16 ans, plonge sa voiture dans un lac, avec ses deux petits frères à bord. À son réveil, on lui dit que Michael, le plus jeune, est mort. Wendy est persuadée qu’il est vivant et sous la garde d’un mystérieux garçon volant. La psychologue que ses parents l’obligent à voir, lui demande de dessiner ce qui lui passe par la tête. Mais peu à peu la frontière entre son imaginaire et la réalité s’estompe et Wendy commence à perdre pied.
Mon avis : Tout se fait en douceur, avec ce récit double, celui de la recherche (ou de l’attente) immobile d’un petit frère disparu, et celui d’une vie propre que ce monde parallèle contamine. Wendy, Michael, John et ses lunettes… Tous sont convoqués par Melissa Jane Osborne (scénario) et Veronica Fish (dessin) dans leur Wendy Project. Ces personnages “réels” (il faudrait tenter un jour la psychanalyse du critique qui écrit ce genre d’ineptie) se doublent eux-mêmes de silhouettes venues du texte séminal de Sir James Matthew Barrie, l’auteur de Peter Pan. Le reflet, dans la vitre d’une voiture, d’un garçon dont Wendy tombe amoureuse prend les atours de celui-qui-ne-voulait-pas-vieillir, par exemple.
Melissa Jane Osborne intègre des citations de Barrie, mais en en raturant une partie, car ce n’est pas d’un héros mais d’une héroïne qu’il s’agit. « La vie d’un homme d’une fille est un journal dans lequel il elle voudrait écrire une histoire mais en écrit une autre », par exemple. Une dimension loin d’être secondaire, puisque l’autrice revisite tout un pan de la culture mondiale avec les yeux d’une fille.
Double aussi parce que le livre que l’on tient entre nos mains est précisément ce carnet de dessin que Wendy se voit imposer par sa psy. Ne débute-t-il d’ailleurs pas par ces mots : « Ce livre appartient à Wendy » ? À plusieurs moments de l’histoire, Melissa Jane Osborne a recours au motif du « livre dans le livre » (Wendy tient ce même livre que l’on est en train de lire), en finesse, comme en passant. Façon de rappeler que tout, ici, est un jeu de miroirs multiples, et que tout est vrai puisque tout est illusion. Le titre peut ainsi s’entendre comme « Le projet Wendy » (créé par Fish et Osborne) et « Le projet de Wendy » (dont Wendy elle-même est l’autrice).
Toujours au rayon des doubles, il est vraiment difficile de séparer le scénario du dessin. Les deux fusionnent de façon assez remarquable, entre crayonnés noir et blanc pour la vie morne de tous les jours, la vie sans Michael, et l’irruption de la couleur lorsque Neverland s’invite brusquement. Qu’il s’agisse d’un discret « Garçons perdus » tagués sur un casier, ou de ce carnet de dessin de Wendy où s’expriment peu à peu ses croyances en cet autre monde, ce « pays de jamais » dont le mot « toujours » semble la clé.
De la couleur en petite touche, mais qui peut aller jusqu’au déferlement quand Wendy perd pied et se noie dans la tristesse, la culpabilité, le besoin de savoir Michael vivant, de savoir qu’il y a un autre monde où tout est possible, un monde que l’on peut atteindre en y croyant suffisamment fort. Et même s’il faut, pour cela, rejouer un accident de voiture (peut-être) mortel.
La narration avance en parfaite fluidité. Melissa Jane Osborne prend le cœur de son lecteur et ne le lâche plus, tandis que le trait de Veronica Fish, liquide, souple, sensoriel, n’est pas sans rappeler l’approche de Craig Thompson, auteur des merveilleux Blankets et Habibi.
En accompagnement : le Peter Pan de Loisel, comme l’autre face d’une même pièce, nettement plus grinçante et rugueuse.
Si vous aimez : les BD émotionnelles mais pas mièvres comme celles de Craig Thompson. Mention spéciale pour Blankets, où Thompson parvient, en revenant sur sa propre histoire, à explorer toute la profondeur d’un être humain, avec ses ténèbres et sa lumière.
The Wendy Project
Écrit par Melissa Jane Osborne
Dessiné par Veronica Fish
Édité par Ankama