
Tower, la délicate reconstitution de la première tuerie de masse des États-Unis
Le premier août 1966, un sniper grimpe au sommet de la tour de l’université du Texas et ouvre le feu sur les passants. Tower retrace 96 min d’angoisse, de courage, de peur, de mort, et de vie, malgré tout, en adoptant le point de vue de ceux qui furent au cœur de cet événement, d’un genre qui commence à nous être familier aussi, de ce côté de l’Atlantique.
C’est à l’occasion du festival international du film de La Roche-sur-Yon en Vendée qu’il nous a été donné de découvrir cet étrange documentaire de Keith Maitland, sorti le 12 octobre aux États-Unis. Reconstitution composite, faite d’archives et de témoignages liés par une animation rotoscopique, ce documentaire immersif permet d’éviter les images morbides, sans pour autant laisser d’ambiguïté sur le sort des différents protagonistes. Jamais complaisant, ni violent, ni voyeur, le procédé qui consiste à dessiner une animation à partir de prises de vue réelles permet de garder une distance pudique avec le drame. Des photos, des vidéos viennent compléter l’ensemble avec pour finir les témoignages de quelques survivants, aujourd’hui.
Quand il entre à l’université du Texas, Keith Maitland entend parler pour la première fois de la tuerie qui a eu lieu quelques années auparavant, par la bouche même d’un témoin direct, son professeur d’histoire présent ce jour-là. En 2006, à l’occasion du 40e anniversaire du drame, il commence à collecter la matière pour enfin sortir ce documentaire, dix ans plus tard.
Techniquement, l’animation concentre notre attention sur une bouche qui tremble, une chaleur qui écrase, un vélo échoué ou les quelques larmes dans les yeux de cette jeune femme qui gît, hors de portée des secours. Le sound design illustre, mais ne dramatise pas, la musique, jamais emphatique, recrée l’époque, et les voix sont douces, posées. Le réalisateur, sur le fil, semble guidé par une seule idée : la compassion. Vous savez, ce mot comme aucun autre qui signifie, étymologiquement, « souffrir avec ». Ni à la place, ni pour, encore moins contre : avec.
Victimes directes, témoins, journalistes, flics, chacun raconte. Alors on écoute, on regarde, on arrête de respirer parfois et on retient ce qui nous pique les yeux, parce que cette douleur, ce traumatisme, cette culpabilité, cette vie brisée et cette perte irremplaçable, quoi que l’on ressente, ce sont les leurs, pas les nôtres.
Enfin, intelligence suprême, Maitland évite les références au tueur, à peine cité à la fin, pas montré, abattu hors champ et ne fabrique donc pas de martyr, ni de super héros, mais des êtres qui ont senti leur courage dépasser leur peur à un moment, pour leur permettre d’agir. Des témoins encore aujourd’hui rongés par un syndrome post-traumatique ancré à la culpabilité de ne pas avoir bougé plus tôt.
Et nous, nous en ressortons vivants, sonnés, hantés à s’en réveiller la nuit, avec la conviction que tout le monde devrait voir ce documentaire fracassant de beauté.
Tower de Keith Maitland – 2016
Avec : Violett Beane, Louie Arnette, Blair Jackson, Monty Muir…
Musique de : Osei Essed
Visuel : Kino Lorber